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Tribune – Cessons de confondre éducation et enseignement
L’ambition éducative de l’école ne peut se limiter aux seuls enseignements. Le poids des inégalités scolaires en France montre que les enfants ont besoin d’être mieux accompagnés dans leur développement personnel pour réussir leurs apprentissages et former leur projet de vie.
Alors que se profile la rentrée, le ministère de l’Éducation nationale a décidé, par un décret publié cet été, de faire appel aux surveillants – assistants d’éducation depuis 2003 – pour remplacer les absences de courte durée des enseignants au collège. Cette décision a suscité l’opposition des syndicats d’enseignants, qui y voient une nouvelle tentative du colmatage et le signe d’une politique du chiffre.
Recours aux surveillants : expédient RH ou vision éducative ?
Au-delà des postures, qu’elles soient managériales ou corporatistes, le recours aux surveillants soulève plusieurs réflexions qui dépassent la seule question du remplacement. Au fond, nos enfants n’ont-ils besoin que de professeurs ? N’ont-ils pas justement besoin d’autres expériences que celles de la classe ? Alors que les émeutes ont souligné l’ampleur du défi éducatif auquel fait face la société française, notre politique d’éducation peut-elle se résumer à l’enseignement ?
Cessons de confondre éducation et enseignement. Nos élèves ont autant besoin d’éducateurs bien formés que d’enseignants aussi diplômés que déconsidérés. L’enseignement n’est pas une fin en soi : c’est une modalité d’apprentissage qui a ses vertus mais qui peut aussi se révéler inadaptée quand les besoins du développement de l’enfant, physiques, intellectuels ou affectifs, l’orientent davantage vers l’expérience, la prise de responsabilité et l’expression collective.
Nos enfants n’ont pas seulement besoin des « séquences pédagogiques numériques », prévues par le décret estival. Un véritable effort éducatif, soucieux de mieux accompagner la croissance et l’épanouissement de nos enfants, suppose de mieux les mettre en action, en coopération, au travers d’activités physiques, de mises en situation ou d’apprentissages par l’engagement à l’instar de ce que le service civique ou le SNU propose aux jeunes adultes.
Instruction ou éducation ?
Les sciences de l’éducation comme les sciences cognitives ont montré de longue date l’importance décisive du développement de la personnalité. Ces résultats montrent qu’un service public d’éducation circonscrit à l’enseignement ne répond pas pleinement aux besoins des enfants et de leurs familles. Pour apprendre, les enfants ont besoin de donner du sens, d’avoir confiance en eux et de s’appuyer sur des relations qui les font grandir. Avant d’être un mathématicien brillant, il importe d’être un jeune épanoui et bien dans sa peau.
Rien n’est plus faux à ce sujet que l’adage selon lequel « l’école instruit et la famille éduque ». D’abord parce que l’enfant a besoin d’autres figures éducatives que celles de ses parents. Ensuite parce que la diversité des éducateurs est gage de sécurité, de profondeur affective et de prévention des abus. Enfin parce que les familles, quelles que soient leurs ressources économiques et culturelles, ont besoin de relais, de regards croisés pour aider l’enfant à former sa personnalité et son projet, en particulier à l’adolescence.
Faire une vraie place aux éducateurs à l’école
Le défi éducatif concerne tous les éducateurs et pas les seuls enseignants, débordés d’injonctions successives. Laissons les professeurs enseigner l’histoire, le français ou la physique, plutôt que de leur demander d’éduquer à la citoyenneté, à la santé ou au développement durable. Et appuyons-nous davantage sur des éducateurs rompus aux méthodes de pédagogies actives, capables d’organiser et d’animer des activités collectives, des mises en situation, des jeux de rôle. Autant d’outils que les enseignants qui le souhaitent pourront mobiliser pour prolonger leur enseignement et équilibrer théorie et pratiques en fonction des besoins de chacun.
L’emploi des surveillants ne doit pas se borner à boucher les trous des emplois du temps mal ficelés des collégiens. C’est l’opportunité de mieux associer les métiers de l’éducation et de l’animation à l’école en leur confiant un véritable rôle éducatif, complémentaire de celui des enseignants. Cela suppose un véritable emploi, à rebours des contrats courts et des temps partiels auxquels ils sont aujourd’hui réduits. Un vrai statut aussi, grâce à un corps de fonctionnaires territoriaux attractif, appelé à construire le lien entre les temps scolaires, périscolaires et extrascolaires. Des perspectives de carrière enfin, au travers de formations régulières et de voies préférentielles d’accès à l’enseignement fondées sur la validation des acquis de l’expérience.
C’est en assumant davantage sa mission éducative que l’école retrouvera le sens de sa vocation, à rebours de notre dangereuse obsession pour la réussite scolaire. Sa mission n’est pas de sélectionner nos enfants en vue de diplômes dont l’utilité sociale apparait parfois contestable. Si l’école mérite d’être défendue comme un bien commun précieux, c’est parce qu’elle permet à chacun de faire l’expérience de « ses vertus et de ses talents », ainsi que le veut notre Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
Tribune – Cessons de confondre éducation et enseignement
Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut,
le think tank dédié aux jeunes et à l’éducation
Retrouvez notre décrytage de rentrée : Éducation sous tension(s) : 10 tendances à suivre
En tout premier lieu, j’avoue que j’aurais aimé rédiger ces lignes. Ne serait-ce que le titre !
Je tiens à souligner aussi que, pour l’avoir observé durant plus de trois années dans différentes écoles, quels que soient les motifs, ou objets et origines des dysfonctionnements provoquant les inégalités scolaires constatées, la dynamique d’un développement personnel (dont j’ai été témoin), pratiqué sur les enfants par certains enseignants, apporte effectivement des solutions alternatives, positives et salvatrices dans le champ de l’éducation.
Pour reprendre un autre point de cette Tribune, concernant les surveillants cette fois, je me réfère à ma propre expérience de collégien. Certes, c’était à une autre époque, mais eu égard au fait que je considère ce sujet comme étant intemporel, voire actuel, je cite mon exemple.
J’ai donc vécu ce que l’on appelait les « heures d’études ». Ces temps étaient programmés lorsque nous disposions d’un temps libre entre deux cours ; souvent d’une durée d’une heure – ou deux au grand maximum. Nous étions alors dirigés vers une salle de classe double où des surveillants nous attendaient. Nous étions conviés soit à réviser, soit à accomplir nos devoirs, en bénéficiant de leur assistance ; ces derniers, terminant leurs propres études, étaient spécialisés dans toutes sortes de disciplines et en passe de devenir eux-mêmes enseignants. Je me souviens alors avoir été enclin à poser des questions que je n’aurais pas osé poser à mon ou mes professeur(e)s. Le ou la surveillant(e) me répondait toujours avec bienveillance sans me demander pourquoi je butais sur le point en question ; ce qui aurait pu être le cas du ou de la professeur(e) qui considérait parfois que l’on devait poser les questions en temps et en heure au fil de son cours ! Et souvent, qui plus est, j’observais que ces surveillant(e)s empruntaient d’autres voies que celles utilisées par nos professeur(e)s pour nous expliquer les choses ; pour moi, c’était un « plus » pédagogique et un confort psychologique dont je pensais ne pas disposer aussi librement avec certains de mes enseignant(e)s. Enfin, l’autre avantage que ces heures d’études procuraient, était que les niveaux étaient mélangés, ce qui nous permettait de faire connaissance avec les élèves d’autres classes, plus jeunes ou plus âgés. Mais la « touche » supplémentaire qui rejoint le présent article réside dans le fait que régulièrement, nous avions droit à une séance musicale d’un quart d’heure. Un futur professeur de mathématiques, féru de musique, avait obtenu l’autorisation de nous en faire écouter ; et pour rendre son intervention utile autant qu’agréable, il nous apportait toutes sortes d’éléments documentés pour que nous en conservions une trace. J’ai eu pour ma part la chance de croiser cette personne pendant deux ans au gré de mes heures d’études.
Aussi, je tiens à préciser que, loin de faire ami-ami avec ces surveillant(e)s, nous entretenions tout de même un autre type de relation, moins hiérarchique, plus empathique, sans que cela n’entrave leur capacité à nous recadrer lorsque cela se révélait nécessaire. Nous faisions quant à nous le distinguo entre eux ou elles et nos professeur(e)s, sans pour autant déconsidérer ces derniers à qui nous tenions montrer, au contraire, une certaine fierté d’avoir travaillé les sujets qui nous posaient initialement problème et une plus grande confiance en nous.
L’auteur ouvre par ailleurs la voie vers ce qui est susceptible de faciliter le développement personnel de l’enfant, par l’emploi de pistes différentes de celles proposées par l’enseignement stricto sensu, lesquelles étant réservées à la transmission des connaissances.
Or, comme le souligne également cet article, les enfants recherchent en effet l’expérience, qui seule, confronte l’individu à une réalité où il peut s’évaluer, réfléchir par lui-même et trouver des solutions de manière autonome, par voie de conséquences. L’ensemble lui permettant de s’ouvrir au monde avec plus d’aisance. Et c’est donc en cet endroit précis qu’il saura identifier les relations qui lui seront bénéfiques et le « feront grandir », comme énoncé par l’auteur.
Et ces expériences apporteront également au plan familial. Car en même temps qu’une véritable confrontation dans le milieu scolaire, l’enfant sera bien évidemment capable de laisser paraître plus aisément son affirmation de soi vis-à-vis de ses parents et de tous ses proches. Et si ces expériences sont créatives, inventives et facilitantes pour son développement personnel, les rapports n’en seront que plus posés, plus réfléchis, plus riches et donc plus constructifs pour le fonctionnement des interrelations, quelles soient-elles.
Enfin, si l’on admet que tous les adultes composant l’environnement de l’enfant représentent un seul et même système, il faut imaginer de nouvelles manières de rassembler tout le monde adulte – parents inclus – autour de lui, car au delà de l’apport direct dont il tirera profit de la part des professionnels des métiers de l’éducation, les parents, précisément, pourront bénéficier de la façon la plus authentique possible, « de regards croisés pour aider l’enfant à former sa personnalité et son projet (…) » comme cela est exposé dans le présent article.
Pour ma part, je ne parlerai pas du sport et de l’éducation physique qui ne sont pas mes domaines de compétences, mais en revanche, j’attire l’attention des lecteurs sur l’Art qui recouvre de nombreuses qualités en faveur du développement personnel de l’être humain en général et qui se trouve au cœur de mes propres préoccupations.
Et nous avons de nombreux exemples qui le démontrent, l’expliquent et le prouvent, à commencer par un rapport qui a été publié par le Think Tank VersLeHaut, et que j’ai plaisir ici à rappeler au bon souvenir des lecteurs de cette Tribune : « L’éducation, tout un art ! »
Ce document est d’importance, et pour les lecteurs qui n’en auraient pas encore pris connaissance, je recommande (sans prétention de ma part) de lire la page 13 de ce document qui est une bonne manière de répondre aux premiers questionnements sur ce sujet, et de collecter quelques idées de départ pour concevoir un projet artistique pour les enfants et plus largement la jeunesse. Sans nul doute que cette « mise en condition » donnera rapidement envie d’en savoir plus !
https://www.verslehaut.org/documents/rapport-leducation-tout-un-art/
Pascal FONTENEAU,
ex consultant et porteur d’un projet « Art, Culture & Éducation » pour la jeunesse.