Photo ISA HARSIN/SIPA

Le dimanche 24 avril 2022 clôt une campagne présidentielle qui fera date s’agissant de la participation. Au deuxième tour, 28% des électeurs ont rejeté les urnes, soit le plus haut niveau depuis l’élection de George Pompidou contre Alain Poher en 1969. Ce désenchantement à l’égard de la politique se retrouve principalement chez la jeunesse qui s’est le plus tenue à distance du vote, avec 41% d’abstentionnistes chez les 18-24ans, en comparaison de ses aînés.  

Dans ce contexte préoccupant, nous vous proposons de découvrir les principaux enseignements tirés de la quatrième édition des “Café, croissants, éducation” de VersLeHaut, qui s’est tenue le 26 avril 2022, en présence de Daniel Gaxie, professeur émérite de science politique de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, d’Aurore Barbier et de Lou Lachenal, co-auteures d’un livre sur l’engagement des jeunes et Timothé Makele de l’association Unis-Cité. 

Auto-exclusion du vote ou indifférence politique ? 

Près d’un jeune sur deux ne s’est pas rendu aux urnes lors des premier et second tours de l’élection présidentielle 2022, un chiffre qui met en exergue la désaffiliation de la jeunesse vis-à-vis du monde politique. S’il faut se méfier des enquêtes fondées sur les déclarations des votants, moins robustes que les données issues des listes électorales, il apparaît certain que la jeunesse s’est moins rendue aux urnes que les citoyens des autres tranches d’âge.  

L’âge constitue en effet un déterminant du vote dont on observe la constance, quel que soit le contexte électoral (Gaxie, 1978). À titre de comparaison, ceux qui votent le plus sont les 60-69 ans, avec près de 78% de participation. Contraste saisissant qui marque une réelle différence d’approche de la participation politique. Loin d’être unique, ce comportement se répète donc élection après élection.  

Daniel Gaxie, professeur émérite de science politique, résume les enjeux de l’analyse électorale : « l’abstention a toujours obéi dans tous les pays et obéira toujours à des facteurs sociaux ». C’est-à-dire qu’il faut prendre en compte l’âge mais aussi d’autres facteurs socio-économiques pour comprendre la complexité des déterminants du non déplacement aux urnes.  

Pour être plus précis encore, ceux qui sont les plus distants du politique, ceux qui s’abstiennent, sont souvent les plus touchés par les difficultés de la vie. L’abstention est ainsi plus forte chez les catégories populaires à commencer par les jeunes défavorisés. D’après Daniel Gaxie, « l’abstention augmente de façon inverse de la position sociale et de l’âge ». Plus l’individu est jeune et issu de catégories sociales défavorisées, moins il vote (Gaxie, 1978). Dans un débat qui sous-estime parfois l’influence des conditions socio-économiques, ce constat sociologique doit être souligné afin de mieux cerner le rapport au politique des jeunes.  

Une des causes de l’absence de participation électorale excluant la jeunesse du jeu électoral est liée directement au phénomène de mal-inscription. Les mal-inscrits sont les électeurs qui figurent sur la liste électorale d’une commune où ils ne vivent pas. 

Près de 7,6 millions de citoyens en France sont mal-inscrits d’après l’ONG A Voté, engagée en faveur de la défense des droits civiques. 

Pourquoi cibler la jeunesse alors que les mal-inscrits touchent l’ensemble de la population ? Parce que c’est un sujet qui concerne en grande partie la jeunesse, mobile et étudiante. Ce problème est ainsi souvent porté en étendard pour expliquer l’abstention des jeunes.  

Plus largement, l’abstention se révèle comme une manifestation d’indifférence à l’égard de la politique. Les jeunes ne se sentant pas concernés, ils s’auto-excluent et s’éloignent des urnes. 

L’abstention n’a rien d’inéluctable  

Des solutions sont envisageables. La chercheuse en science politique Céline Braconnier évoque dans un travail pour le Centre d’analyse stratégique l’idée d’une inscription d’office universelle (Braconnier, 2007). Cette piste de réflexion permettrait, d’après ses promoteurs, d’inscrire automatiquement sur les listes électorales l’ensemble des personnes résidant dans une commune, et ainsi de résoudre ce problème de grande ampleur.  

Créée en 2021 au lendemain des élections départementales, l’association A voté entend répondre à la croissance alarmante de l’abstention constatée lors des régionales où elle s’est élevée à un niveau record de 66% au premier tour. A voté lutte contre l’abstention en encourageant les citoyens éloignés du vote, spécifiquement les jeunes, à participer aux élections. Par exemple, du 17 février au 8 avril 2022, l’ensemble des membres de Tinder en France âgés de 18 à 25 ans ont vu apparaître plusieurs vidéos détaillant les démarches à suivre pour l’élection présidentielle de 2022. Ainsi l’application fait défiler des profils d’utilisateurs sur plusieurs critères, dont le genre et la position géographique. L’utilisateur indique s’il les apprécie ou non en balayant l’écran (ou « swiper ») vers la droite ou vers la gauche. De manière occasionnelle, une vidéo spéciale apparaît et dirige les membres vers le site d’A Voté pour s’informer sur l’élection.   

Cette démarche innovante permet d’aller chercher directement les jeunes mal-inscrits derrière leurs écrans. En plus de ces stratégies nouvelles, l’association réalise du « porte-à-porte » plus classique afin de s’adresser à un public le plus large possible.  

Les conseils municipaux des jeunes (CMJ) sont également une réponse à la crise actuelle, ils favorisent l’apprentissage de la citoyenneté au niveau local. Ces conseils peuvent prendre des formes variables selon les communes, puisqu’il n’existe pas de règles établies au niveau national. Les CMJ permettent à des jeunes de participer à la vie de la cité, de donner leur avis sur les actions du conseil municipal et donc de se politiser. 

Enfin une dernière solution peut être évoquée afin de combattre en amont l’indifférence politique. Grâce notamment au travail de Camille Amilhat, à retrouver ici, on sait que l’école est un lieu important de la socialisation politique et qu’elle peut « augmenter la compétence civique des jeunes » (Amilhat, 2021).  

L’intérêt accordé aux problèmes politiques commence très tôt chez l’enfant et continue tout au long de l’apprentissage scolaire. « Apprendre le métier de citoyen » se fait en premier lieu en cours d’éducation civique. La responsable de la recherche de VersLeHaut, Camille Amilhat, propose des solutions afin de faciliter cet apprentissage comme les classes d’éducation civique à effectif réduit, afin de garantir un climat de classe plus ouvert que dans les autres disciplines et qui valorise la parole des élèves les plus en difficulté. Ou encore la visite d’institutions publiques pour familiariser les jeunes avec l’univers politique. 

Enfin, la forte abstention des jeunes, observable dans la plupart des démocraties occidentales, pourrait également recouvrir un effet de génération, celle de citoyens qui se sentent encore plus déconnectés et désaffiliés de la politique que leurs aînés, mais pas nécessairement d’un engagement citoyen.  

Une jeunesse réellement désengagée ? 

« C’est dur d’avoir vingt ans en 2020. » Voilà le constat introductif d’Ok, boomers ? Des jeunes face aux défis du siècle publié en 2022 par quatre étudiantes Aurore barbier, Morgane Fanchette, Emma Kiladjan et Lou Lachenal. À travers cette introduction, on pense aux longues files d’attentes des jeunes espérant une aide alimentaire, aux cours à distance dans des appartements plus qu’étroits et aux effets psychologiques d’un confinement prolongé, à un âge généralement propice aux rencontres et à la vie collective.  

Dans une société en crise, les quatre auteures ne dressent pas cependant un portrait sombre d’une jeunesse perdue, mais apportent une analyse fine des engagements citoyens. À travers de nombreux témoignages, elles montrent une jeunesse engagée d’une autre manière que les générations qui la précèdent. D’après Lou Lachenal et Aurore Barbier, « les jeunes se sentent de plus en plus éloignés de la politique à cause de sa complexification. Mais ils se sentent plus en lien avec les politiques qui défendent les idées qui leur parlent grâce aux réseaux sociaux. »  

Ces nouvelles manières de s’informer sont elles aussi spécifiques à la jeunesse. Comme le remarque Daniel Gaxie, « très rares sont les jeunes qui écoutent la radio, qui regardent la télévision, qui lisent les journaux papiers ». À l’inverse, les jeunes s’informent grâce aux nouveaux canaux numériques : podcasts, informations en ligne et réseaux sociaux. Il y a une relative transformation des modes d’information et des causes défendues comme la lutte contre le réchauffement climatique ou bien contre les inégalités liées au genre. Un engagement donc qui ne passe pas nécessairement par le vote mais par des causes jugées plus concrètes et prégnantes comme les résultats de notre enquête annuelle le baromètre Jeunesse&Confiance 2021 le montre. 

Une déconnexion des jeunes du vote peut être due aussi en partie à leur mauvaise représentation dans les principales institutions et la classe politique.  Par exemple, la composition sociale de l’Assemblée nationale ne reflète pas celle de la société. La XVème législature, la dernière en date, a fait entrer près de 60% des députés entre 40 et 59 ans, quand, en France, cette tranche d’âge représente 31% des plus de 18 ans. On peut noter tout de même la présence de 27 élus de moins de 30 ans. Il faut également souligner la surreprésentation des cadres (32%), des fonctionnaires (22,5%) et des professions libérales (8,5%) tandis que les employés, les ouvriers ou les retraités sont très minoritaires. 

L’idéal de la démocratie représentative présente le Parlement comme un miroir de la société. L’idée a fait son chemin pour l’égalité femmes-hommes depuis 1998, où on commençait à discuter de la sous-représentation féminine. Si l’idée d’une discrimination positive est aujourd’hui acceptée afin de lutter contre la sous-représentation des femmes, pourquoi ne pas imposer des quotas de jeunes à l’Assemblée nationale  ?  

Retrouvez le replay du Café, croissants, éducation #4 avec Daniel Gaxie ou encore notre format plus court “Éduc, et quoi ? Éduquons-nous !” disponible sur notre page Instagram. 

Oscar Leroy

Chargé d’études

Crédit photo de couverture : GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Bibliographie

Amilhat, C., 2021, Apprendre le métier de citoyen. Contribution à l’étude de la socialisation politique scolaire, Thèse de science politique sous la direction de Daniel Gaxie, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 534 p.

Barbier A. Fanchette F., Kiladjian E., Lachenal L., 2022, Ok Boomer ? Des jeunes faces au défi du siècle, Paris, VA Éditions,200 p.

Braconnier C., Dormagen J., Verrier B, 2007, Non-inscrits, mal-inscrits et abstentionnistes : diagnostic et pistes pour une réforme de l’inscription sur les listes électorales, Centre d’analyse stratégique, 11, Paris, La Documentation française, 82 p.

Gaxie D., 1978, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Le Seuil (Hors collection), 296 p.