Cantine, goûter, garderie, TAP[1] : l’école ne se limite pas à la classe et aux enseignants. Sous l’appellation de périscolaire, on désigne des moments et des activités variés, qui ont largement lieu dans l’enceinte de l’école, mais au cours desquels les enfants sont encadrés par des animateurs recrutés par les mairies ou par des associations. De cette diversité d’organisations résulte de grandes disparités d’exigences et des difficultés croissantes à assurer la protection des enfants qui se traduisent par de nombreux cas de violences. Comment mieux accompagner les familles et les éducateurs pour prévenir, identifier et sanctionner ces violences ?

Le collectif SOS Périscolaire, qui a recueilli depuis 2021 plus de 150 témoignages de parents et de professionnels émanant d’une trentaine de départements, propose ici un diagnostic du caractère systémique de ces violences et des pistes de solutions concrètes pouvant être mises en œuvre pour les prévenir.

Si le périscolaire ne dépend pas de l’Éducation Nationale, ni pour son organisation, ni pour le recrutement des encadrants, il est pour les parents et les enfants difficile de le distinguer du temps scolaire, le périscolaire se tenant à l’intérieur des murs de l’école, dans le prolongement des temps de classe.

Suivant les régions, la journée alterne entre garderie du matin (périscolaire), classe (éducation nationale), cantine et récréation de la « pause méridienne » (périscolaire), classe (éducation nationale), puis goûter et garderie ou les TAP (temps d’activités périscolaires).

Les signalements de maltraitances sont quasiment inexistants dans un milieu qui évolue en vase clos et dans la peur de perdre son travail

Mêmes lieux, personnel différent, responsabilités différentes. Organisation ? Hiérarchie ? Souvent les parents n’ont aucune idée de ce qui est prévu pour leur enfant ni de quel animateur sera chargé de s’en occuper, faute de recevoir formellement cette information.

Une opacité qui provoque des ruptures très fréquentes dans la chaîne de remontée des problèmes, et empêche les parents d’identifier clairement les problématiques et les personnels maltraitants. Les animateurs eux-mêmes sont victimes d’un système où ils doivent se « débrouiller » face au manque – parfois total – de formation et à un sous-effectif chronique[1].

Les signalements de maltraitances sont quasiment inexistants dans un milieu qui évolue en quasi-vase clos et dans la peur de perdre son travail, déjà précaire. La profession souffre, les enfants souffrent, mais le sujet n’est pas prioritaire. En matière de protection de l’enfance le chantier est vaste entre les violences intrafamiliales, l’inceste, le harcèlement scolaire, le cyber harcèlement, … Les problèmes du périscolaire sont à la fois sous-estimés et largement invisibilisés. Pourtant, les causes sont connues.

Animateurs : une pénurie qui dure

La première cause de tension au périscolaire est la difficulté à recruter. En effet, cette problématique nationale, due au manque d’attractivité, a induit un recours à des profils non qualifiés et sans expérience ; un problème qui persiste depuis des années faute d’avoir su (re)valoriser le métier qui n’attire plus les étudiants. Cette carence est exacerbée dans certaines agglomérations comme Paris avec le passage à la semaine de 5 jours qui a nécessité l’embauche soudaine de milliers d’animateurs et d’animatrices.

La situation est exacerbée dans les grandes agglomérations où le passage à la semaine de 5 jours a nécessité l’embauche soudaine de milliers d’animateurs

Des horaires de travail morcelés, un salaire horaire minimal et peu de contractualisation (le statut de vacataire étant très répandu) n’attirent pas vers ce métier. Résultat :  une très grande difficulté à trouver des candidats pour les postes d’animateurs périscolaires.

Les parents n’ayant pas d’autre choix – ni les moyens financiers – de se passer du périscolaire, les mairies font le choix de garder au maximum le service ouvert. Cette pratique mène à deux écueils majeurs qui peuvent se cumuler : le recrutement d’un personnel non qualifié et sans garantie de capacités, et un mode d’accueil « dégradé », c’est-à-dire ne respectant pas les quotas d’encadrements règlementés.

Les animateurs qui étaient autrefois garants d’une forme d’éducation populaire, sont souvent dans l’impossibilité d’exercer leur métier correctement, faute de moyens humains, matériels et/ou de compétences, et sont parfois livrés à eux-mêmes pour gérer des grands groupes d’enfants à partir de 2 ans et demi pour les plus petits.

Autorité à géométrie variable

Les premières violences, et les plus répandues sont ce que l’on appelle les violences « dites » éducatives ordinaires (VEO) que l’on attribue habituellement au cercle familial et qui ont pris place au sein de l’école, exercées par des animateurs censés être formés pour ne pas reproduire ces schémas.

Il est frappant de constater au fil des témoignages reçus par notre collectif, que tous les types de violences éducatives ordinaires sont pratiquées sur les enfants. Le panel est édifiant. Les plus fréquentes sont les violences verbales qui vont des hurlements, à la menace, la critique et l’humiliation, en passant par l’insulte.

Les enfants porteurs de handicaps sont aussi régulièrement la cible de brimades.

Des animateurs de différentes écoles témoignent eux-mêmes de phrases entendues chez leurs collègues du type « ne fais pas le con avec moi », « ferme ta gueule », « lève-toi si tu ne veux pas connaître la souffrance », « p’tit PD », « toi, t’es vilaine », et d’animateurs hurlant sur les enfants.

Les enfants porteurs de handicaps sont aussi régulièrement la cible de brimades. Humiliés, traités de “bébés”, de “gros lard”, certains sont bousculés, tirés par la capuche ou se voient confisquer leurs lunettes de vue s’ils ne réagissent pas assez vite… ou même, comme une animatrice nous l’a rapporté au sujet d’une enfant, sorti dans la cour, tenu en laisse par un animateur, lui demandant de faire le chien !

Prohibée par la loi depuis 2011, les punitions collectives restent fréquentes.

Pourtant interdites depuis la loi Chatel de 2011, les punitions collectives sont fréquentes : des enfants sont privés de jeu tout le temps de la récréation du midi et obligés de s’asseoir par terre dans la cour, ou contraints de mettre la tête dans les bras sur la table au réfectoire, dans le silence total jusqu’à la fin du service, lorsqu’ils ont terminé de manger. Un témoignage rapporte même un système de « points de sagesse » à la cantine, permettant de « mériter » son dessert ou son goûter.

Les menaces courantes jouent sur la peur des enfants : celle de l’enfermement dans le noir, de la privation de revoir leurs parents, ou celle des monstres. Des menaces parfois malheureusement suivies des faits, des enfants ayant été enfermés dans des armoires ou des toilettes dans le noir en guise de punition. Un témoignage raconte qu’un animateur allait jusqu’à se griffer lui-même pour attester de la présence du monstre dans l’école, garantissant aux enfants de maternelle qu’il s’en prendrait à eux s’ils n’étaient pas sages.

A cause de vous l’animatrice va être renvoyée, vous êtes méchants

Plusieurs témoignages rapportent des enfants pris pour cible, bousculés, intimidés et menacés de représailles par des animateurs après que leurs parents aient fait remonter des faits de violences verbales ou physiques. D’autres racontent un procédé de culpabilisation lorsqu’une responsable du périscolaire dit à des enfants ayant eu le courage de dévoiler des violences « A cause de vous l’animatrice va être renvoyée, vous êtes méchants ».

Aux violences ordinaires s’ajoutent les violences physiques : enfants maintenus de force dans leur lit pendant le temps de sieste, fessées, claques, coups de fourchette sur la tête, pincements, oreilles tirées, enfants poussés violemment, forcés de terminer leurs repas jusqu’à en vomir, ou encore des ballons de baskets envoyés sciemment sur des enfants dans la tête ou les parties génitales. Un témoignage fait aussi état d’un enfant victime d’étranglement par un animateur.

Les violences physiques et sexuelles restent souvent l’unique déclencheur de poursuites judiciaires. En effet, pour la plupart des parents – au-delà de la difficulté à identifier les violences subies et les auteurs – tant qu’il n’y a pas de marques de coups, porter plainte semble disproportionné. Pourtant, d’après notre expérience, c’est la seule chose qui semble ébranler un peu l’institution, avec la médiatisation.

Manques cruels de formations solides

Si la personnalité de l’encadrant est déterminante, le manque cruel d’une formation solide semble être une des causes principales de ces violences. En effet, à ce niveau, le constat est alarmant : le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) est aujourd’hui la formation de référence pour l’animation en périscolaire alors que des qualifications bien supérieures étaient demandées à juste titre dans les crèches jusqu’à récemment.

La définition du BAFA est pourtant claire sur le site du gouvernement : « Le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur permet d’encadrer à titre non professionnel, de façon occasionnelle, des enfants et des adolescents en accueils collectifs de mineurs (plus généralement appelés colo/centres de vacances et centres de loisirs). ».

Le BAFA forme donc à encadrer « occasionnellement » des enfants, et non pas à gérer des groupes au quotidien. Il ne garantit aucun savoir-faire avec les enfants. Très facile à obtenir, les lacunes de ce programme sont immenses en particulier en termes de psychologie de l’enfant, de prévention des violences, de gestion des conflits et de besoins psycho affectifs de la petite enfance.

Les lacunes du BAFA sont immenses en termes de psychologie de l’enfant, de prévention des violences et de gestion des conflits

Le sujet de l’autorité n’y tient pas de place, niant cette notion pourtant fondamentale dans la réflexion sur les violences faites aux enfants. Dans la réalité, le métier d’animateur nécessite à la fois une autorité naturelle et une capacité à faire respecter les règles à un groupe d’enfants sans violence. La disparité des comportements des animateurs et leurs réactions face aux difficultés rencontrées, mêlées aux conditions de travail précaires et difficiles, et à une vision personnelle de l’autorité, ouvrent la voie à de nombreux débordements.

Un flou qui permet les abus

Le constat est sans appel : les violences faites aux enfants dans le cadre du périscolaire sont rendues possible par un système qui ne se remet pas en question.

En cas de problème dans un cadre périscolaire, la procédure pour les parents – pour faire valoir leurs droits, et faire reconnaitre les violences – est complexe, variable, et difficilement accessible. De plus, peu de valeur est accordée à la parole de l’enfant, lorsqu’elle est entendue.

En cas d’incident, des confrontations entre l’enfant et l’animateur sans la présence des parents

Il n’y a pas de procédure nationale officielle de remontée des plaintes. A chaque cas, chaque équipe périscolaire répond différemment en proposant parfois un rendez-vous aux parents, parfois des confrontations entre l’enfant et l’animateur sans la présence des parents, ou encore des sanctions –exclusion d’un enfant des activités par exemple – ou, plus rarement, le déplacement de l’animateur mis en cause dans une autre école.

Dans un témoignage reçu, un enfant avait dénoncé des gestes violents et contraignants pendant la sieste. Sa mère avait fait remonter ce problème au responsable du périscolaire, indiquant à ce dernier qu’elle interdisait à l’équipe d’interroger son enfant sur ce sujet en dehors de sa présence. L’enfant a tout de même été convoqué sans sa mère face à l’animateur mis en cause, ajoutant de la crainte aux violences déjà subies.

Dans une autre ville, une petite fille a été prise à partie par trois animatrices venues la chercher en pleine classe pour avoir révélé l’humiliation et l’isolement qui lui étaient imposés sans raison à la cantine. Ailleurs, un enfant ayant dénoncé des tapes reçues de la part d’une animatrice a immédiatement été qualifié de « menteur ». Cette dernière étant soutenue par le maire, les parents se sont vu imposer des rendez-vous en dehors de leurs disponibilités, et entendu dire que leur fils ne serait plus accueilli s’ils ne venaient pas. Ils se sont vus conseillés de retirer leur enfant du centre aéré

Si le maire décide de ne pas croire l’enfant, aucun recours, autre que judiciaire, n’est possible

A Paris, les usagers peuvent se tourner vers la Direction des Affaires Scolaires – lorsqu’ils en ont connaissance – pour demander l’ouverture d’une enquête administrative. En région, par contre, les parents sont rapidement confrontés directement aux élus ou au maire lui-même. Ce dernier est dans une certaine mesure à la fois le premier échelon et le dernier : si leurs interlocuteurs décident de ne pas croire l’enfant ni de prendre au sérieux les remontées, aucun recours, autre que judiciaire, n’est possible.

Cela décourage souvent les parents ou les animateurs qui veulent signaler des abus et qui doivent faire face à une hiérarchie parfois peu scrupuleuse, notamment lorsque les personnels se connaissent et que le lanceur d’alerte peut y laisser son poste. Les droits et les devoirs des adultes entre eux ne sont pas clairement définis entretenant un mélange des genres et un copinage qui prévalent sur l’assainissement d’une situation difficile.

Les animateurs titulaires, fonctionnaires, peuvent aussi se trouver tiraillés entre leur devoir de réserve et leur obligation de signalement et ils sont rarement accompagnés pour démêler cette contradiction qui ne devrait pas en être une.

Identifier et diffuser les bonnes pratiques

Un élan des institutions est nécessaire pour rassembler, rassurer et mieux guider les animateurs en leurs donnant toutes les ressources dont ils ont besoin pour assurer, comme ils le doivent, la sécurité physique et affective des enfants dont ils ont la charge. 

En attendant des formations complètes et adaptées, des premières solutions concrètes, simples, et peu couteuses peuvent être mises en place. Elles reposent en général sur la volonté et la détermination individuelles des acteurs de terrain mais il est possible de faire autrement notamment dans le partage des pratiques et simplement par l’application des recommandations ou règlements existants.

Des propositions simples pour mieux protéger les enfants

  1. La charte de l’animateurtelle qu’elle a été formalisée par la ville de Paris, par exemple – devrait être généralisée et systématiquement signée. Elle pourrait être enrichie d’informations pratiques pour pallier le faible degré de connaissance des agents.
  2. Une formation qualitative et obligatoire, en e-learning, à suivre avant embauche – y compris pour les vacataires – pour apporter les premières clefs avant d’aller sur le terrain. Celle-ci pourrait être enrichies de modules complémentaires pour les titulaires sur des thématiques telles que la gestion des conflits, la psychologie de l’enfant, etc.
  3. Une réunion périscolaire systématique en début d’année pour établir un lien entre l’équipe et les parents. Le projet pédagogique – malheureusement encore trop souvent inexistant – pourrait y être présenté aux parents.
  4. Faciliter l’accès aux responsables, pour permettre aux parents de les contacter en cas de problème.
  5. Un système de signalement anonyme pour éviter que des encadrants ne soient confrontés à leurs délits après des dizaines d’années de mauvais services. Le fameux « tout le monde savait ».
  6. Des mesures comme la tenue d’un cahier d’incident doivent être suivies de contrôles pour définitivement ouvrir le périscolaire sur l’extérieur et briser l’opacité qui permet de passer sous silence un grand nombre de problèmes.
  7. Le principe de précaution doit être appliqué sans réserve et sans exception en particulier dans les cas de suspicion d’abus sexuels.
  8. Les responsables doivent mieux communiquer avec leurs équipes autour du devoir de réserve et du devoir de signalement pour que les animateurs puissent lancer l’alerte sans perdre leur travail, ni être stigmatisés.
  9. Les agents doivent avoir connaissances des recours auprès de leur hiérarchie. 

Un système fragile à enrichir

Les procédures doivent viser deux thématiques principales : la montée en compétences des agents, et la fiabilité de la chaine de communication hiérarchique. Sachant que le système tient par la seule volonté des animateurs de faire du bon travail, et par la tolérance des parents face à une organisation dont ils dépendent, ces deux axes, compétences et signalements, pourraient à eux seuls résoudre une grande partie du problème.

Les animateurs doivent avoir accès à des ressources pédagogiques et psychologiques adaptées

Les encadrants doivent être nourris et informés. Ils ont besoin d’avoir accès à des ressources physiques pour animer des ateliers de qualité, mais aussi des ressources psychologiques pour faire face aux situations qu’ils doivent gérer avec les enfants et qui nécessitent des compétences spécifiques.

On notera que le personnel se voit confier la charge d’enfants aux profils variés, incluant des enfants en situation de handicap, qui sont en première ligne dans le cas de violences d’exaspération et de brimades.  Les animateurs ont également besoin de maîtriser des outils et disposer de procédures officielles pour réagir face à des enfants dont les comportements sont complexes à gérer.

La prévention des abus d’autorité en contexte périscolaire doit également s’appuyer sur la libération de la parole des enfants. En premier lieu parce que nombre d’entre eux peinent à distinguer les abus dans le comportement d’adultes qu’ils identifient comme des figures d’autorité. Ils peuvent également éprouver des difficultés à mettre des mots sur les violences qu’ils subissent.

Les adultes, de leur côté – professionnels comme parents – ne disposent pas forcément des outils théoriques et pratiques pour recueillir la parole des enfants, lire les souffrances derrière leurs comportements.

Il semble donc y avoir un réel besoin d’une sensibilisation commune des personnels, des parents et des enfants à la problématique des abus d’autorité pour qu’elle soit investie collectivement.

Il est nécessaire de permettre aux familles, comme aux acteurs du périscolaire de se rencontrer, d’échanger, et de se rapprocher pour faire front contre les violences faites aux enfants, et pour trouver ensemble, sans compromission, la volonté de forcer le système à s’améliorer.

Collectif SOS Périscolaire

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[1] D’après l’Association nationale des directeurs et cadres de l’éducation des villes et collectivités territoriales (Andev), certaines communes accusaient en 2021 jusqu’à 37 % de déficit au niveau des effectifs.


[1] Temps d’activités périscolaires