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Éducation sous tension(s) : 10 tendances à suivre

Éducateurs – Où sont les hommes ?

L’invisibilité – relative – des hommes dans le champ éducatif suscite des interrogations. Au sein de la famille en premier lieu, où les pères apparaissent encore souvent en retrait, mais également dans les institutions éducatives où de nombreux métiers sont très largement féminisés. Doit-on s’inquiéter de l’effacement des figures masculines de l’environnement éducatif de nos enfants ?

Les récentes émeutes de l’été 2023 ont fait ressurgir des propos accusateurs sur l’absence des pères. La carence de modèles masculins dans les institutions éducatives est également évoquée pour expliquer les difficultés rencontrées par certains garçons dans leur parcours scolaire. Les enjeux relatifs à la place des hommes dans l’éducation des enfants dépassent cependant cette façade médiatique. Elle renvoie fondamentalement à des représentations genrées de l’ordre social qui imprègnent nos modes de vie et façonnent nos institutions.

L’expression du masculin et du féminin se forme dès l’enfance

 

 

Les enfants se forgent très tôt une représentation de l’ordre social à partir de leur environnement familial, géographique, scolaire. Wilfried Lignier et Julie Pagis, dans L’enfance de l’ordre en fournissent une vibrante illustration par leur étude auprès d’enfants d’école élémentaire. Les archétypes sexués y occupent une place significative.

 

 

C’est pourquoi un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales notait déjà en 2012 : « la rencontre des jeunes enfants avec des professionnels masculins assurant des soins de maternage et le change des couches et participant à leur éducation au sein des diverses structures, apparaît une nécessité pour déconstruire la division sexuelle des tâches et des activités.

 

 

 

L’invisibilisation des hommes dans les métiers de l’éducation suscite des interrogations.

 

 

 

L’absence de référent éducatif masculin peut amener l’enfant à considérer l’acte éducatif comme « naturellement » féminin. Et ainsi constituer une attente vis-à-vis des professionnels de l’éducation d’une forme de relation plus spécifiquement associée aux stéréotypes du caractère féminin.

 

 

Par ailleurs, de nombreux enfants souffrent de l’absence d’un modèle masculin « positif ». Dans la très grande majorité des familles monoparentales – près d’un quart des familles françaises selon l’INSEE, même si ce chiffre est à relativiser du fait de situations de gardes partagées – le parent seul est une femme. Même si, dans ces familles, tous les pères ne sont pas absents ou désengagés, il n’en demeure pas moins que leur image est souvent dégradée.

 

 

Pour ces enfants, comme pour ceux qui, en protection de l’enfance par exemple, ont pu être confrontés à des figures masculines violentes, l’enjeu de la confiance envers les hommes est particulièrement aigu.

 

 

Ces représentations, profondément ancrées chez de nombreux enfants, perdurent à l’âge adulte et expliquent sans doute en partie, leur reproduction dans le temps. Cependant, la question de l’implication des pères et celle de la place des hommes dans les métiers de l’éducation portent également des facteurs spécifiques qui méritent d’être distingués.

 

 

 

 

Des « nouveaux pères » parfois empêchés ou déconsidérés

 

 

Dans une étude de 2016 de l’UNAF, les pères interrogés marquaient majoritairement l’intention « d’être davantage présents auprès de leurs enfants et de s’investir davantage auprès d’eux » que leur propre père – dont 60% considèrent qu’il était peu ou pas impliqué auprès d’eux. Ils sont ainsi 86% à déclarer élever différemment leur enfant par rapport à ce qu’ils ont eux-mêmes connu.

 

 

Cette étude montre cependant que cette volonté est parfois empêchée par un manque de confiance ou des difficultés à trouver du temps disponible. La perception de ces freins est différente selon la catégorie socio-professionnelle. Ainsi, là où seulement 28% des cadres estiment que leur conjointe est plus à l’aise qu’eux avec leurs enfants, ce sentiment affecte 44% des ouvriers et 50% des agriculteurs.

 

 

La perception de leur propre compétence dépend en partie de l’image que leur renvoie leurs interlocuteurs dans le domaine éducatif  : professionnels de la petite enfance, enseignants, services sociaux. Or, ces domaines sont encore marqués par une « tendance qu’ont généralement les institutions responsables du bien-être des enfants de s’adresser plus aux mères qu’aux pères et de leur accorder une plus grande crédibilité en matière de soins des enfants.

 

 

Ainsi, quoique l’on ait assisté depuis quelques décennies à des changements importants sur le plan des rôles parentaux, les institutions semblent encore peu s’ajuster à ces nouvelles réalités familiales » (« Apprivoiser les pères en protection de l’enfance », Dialogue, 2016).

 

 

Les pères n’ont par ailleurs pas tous la possibilité effective d’articuler les exigences professionnelles et familiales à leur convenance. Si les employés estiment majoritaire-ment disposer de temps suffisant pour faire ce qu’ils souhaitent avec leur enfant (60%), ce chiffre diminue fortement chez les cadres (44%) et les agriculteurs (37%).

 

 

Des nouvelles réalités familiales auxquelles les institutions ont encore du mal à s’adapter.

 

 

L’implication des pères semble donc devoir s’inscrire dans une réflexion autour de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle qui est sans doute encore trop souvent orientée sur la figure de la mère – notamment en matière de congés parentaux et d’aménagement du temps de travail.

 

 

Comme le souligne le sociologue Gerard Neyrand : « On demande aux pères de prendre une place auprès des enfants, qu’on ne leur accorde pas totalement » .

 

 

L’implication des pères peut également nécessiter un accompagnement spécifique. C’est ce que suggère le psychologue canadien Carl Lacharité pour qui « il est important de permettre aux pères de disposer d’espaces pour se dire, élaborer leurs propres récits, réfléchir à leur expérience dans la famille dans des lieux accueillants et dialogiques » (« Agir auprès des pères en situation de vulnérabilité, une invitation au dialogue et à la réflexion », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2018).

 

Faut-il se satisfaire de la féminisation des métiers éducatifs ?

 

 

La forte féminisation des métiers de l’éducation n’est plus à prouver. Ainsi, les femmes représentent plus de 70% des enseignants de l’Éducation nationale. Certaines fonctions éducatives sont même occupées presque exclusivement par des femmes : 99% des assistantes de maternelle, 92,4% des accompagnants des élèves en situation de handicap, 86,4% des enseignants du premier degré.

 

 

La prédominance de stéréotypes de genres semble particulièrement forte. Les fonctions de soin ou de « maternage » sont celles où la place des femmes est prédominante. La part des hommes plafonnait en 2014 à 1,5% dans les métiers auprès des enfants de moins de 6 ans  !

 

 

Par opposition, même dans le secteur très féminisé de la protection de l’enfance, des missions comme la gestion de la violence sont plus spécifiquement associées aux hommes , qui sont 60% des éducateurs dans les foyers n’accueillant que des garçons.

 

 

L’OCDE pointe cependant deux autres facteurs déterminants dans l’attrait des métiers éducatifs, l’enseignement en particulier, pour les femmes. En premier lieu, du fait de leur plus grande implication dans les responsabilités familiales, la souplesse d’organisation dont jouissent les enseignants peut expliquer le choix d’une carrière permettant de concilier les exigences personnelles et professionnelles. Par ailleurs, l’absence de discrimination salariale dans l’enseignement rend la carrière attractive pour les femmes mais moins pour les hommes qui bénéficient dans d’autres secteurs d’une rémunération bien supérieure.

 

 

Comment, dès lors, attirer plus d’hommes dans les métiers de l’éducation ? L’OCDE considère que « la reconnaissance de l’enseignement dans la société permettrait d’attirer davantage de talents dans la profession, et ce quel que soit leur sexe. »

 

 

Au-delà de l’enseignement, c’est une grande partie des métiers de l’éducation les plus féminisés qui méritent une réelle revalorisation : agent territorial spécialisé des écoles maternelles, accompagnants d’élèves en situation de handicap, auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants, etc.

 

 

La revalorisation des métiers de l’éducation ne peut ignorer les ressorts de leur féminisation

 

 

On rejoint ici la stratégie mise en œuvre en France. La campagne « Les métiers de la petite enfance nous font grandir », lancée en avril 2023, officiellement destinée à renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance, met volontairement en avant un professionnel masculin.

 

 

Mais d’autres approches semblent également prometteuses. Ainsi, en Allemagne, le groupe Männer in Kitas créé par le ministère de la famille mise sur des groupes de soutien spécifiquement destiné aux hommes pour leur donner confiance dans leur compétence et dépasser les jugements dont ils peuvent avoir l’impression d’être victimes.

 

aller au-delà des injonctions simplistes

 

 

Ce rapide panorama nous permet de mesurer à quel point l’implication des hommes dans l’éducation des enfants se présente comme un vaste chantier. Elle met en jeu nos représentations sociales, ancrées au plus profond du fonctionnement des institutions éducatives.

 

 

Elle relève également du volontarisme public – attractivité des métiers éducatifs – et privé – conciliation vie personnelle/vie professionnelle, égalité salariale homme/femme. Sans de profondes transformations, les injonctions et les postures offusquées – mais où sont donc les hommes ? – ont peu de chances de porter leurs fruits.

 

 

Éducation sous tension(s) : 10 tendances à suivre