Le net resserrement de la natalité depuis 2014 va se traduire par une importante baisse de la population scolaire, qui devrait perdre près d’un million d’élèves d’ici 2030. Si cette évolution peut apparaître préoccupante, elle peut également constituer une opportunité pour un système scolaire empêtré dans les conséquences de la massification.

Le solde naturel de la France, qui mesure la différence entre les naissances et les décès, voit une diminution tendancielle régulière, passant de + 400.000 en 1964 à + 300.000 en 2007. Le début des années 2010 voit cependant un décrochage brutal pour atteindre +50.000 en 2022, niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ce resserrement soudain de la natalité ne semble pas lié à la crise sanitaire, qu’il l’a largement précédée. Depuis 2014, le nombre de naissances, qui détermine la taille d’une classe d’âge, plonge régulièrement.

Après le boom des années 1960 et 1970, il s’établit durablement autour de 800.000 depuis le début des années 1980 jusqu’en 2014, date à laquelle il s’affaisse fortement et régulièrement pour atteindre 720.000 en 2022, soit une baisse de plus de 11 % en moins de 10 ans (DEPP, 2023).

L’implacable diminution de la population scolaire

Les conséquences sur le système éducatif sont d’ores et déjà observables. Que ce soit au premier ou au second degré, le nombre d’élèves par classe continue de diminuer : à la rentrée 2023, les écoles maternelles et élémentaires comptent 70.000 élèves en moins qu’en 2022 ce qui correspond à une baisse de 1 %. Cette tendance, si elle reste contenue, devrait se poursuivre en s’accentuant au fil des prochaines rentrées scolaires.

Le déficit de naissances va se propager mécaniquement à l’ensemble du système éducatif, et pourrait ramener la population scolaire de 12 millions aujourd’hui à 11 millions à l’orée 2030

En effet, la diminution des classes d’âge nées depuis 2014 touche d’autant plus l’école qu’elle est cumulative à court terme, via l’addition des « creux » successifs, et à long terme, comme moins d’enfant se traduit fatalement par moins d’adultes susceptibles de devenir parents à leur tour.

Sans préjuger des évolutions à venir de la natalité, le déficit de naissances entre 2014 et 2022 va se propager mécaniquement à l’ensemble du système éducatif, et pourrait ramener progressivement la population scolaire de 12 millions aujourd’hui à 11 millions à l’orée 2030.

Cette évolution n’est évidemment pas sans conséquence sur la profession d’enseignant. Elle se traduit d’ores et déjà par des suppressions de postes, au travers du moindre renouvellement des effectifs, d’autant que la perte d’attractivité affaiblit la sélectivité des concours.

Cette tendance reste cependant contenue à ce stade, comme en témoigne les 1500 postes supprimés à la rentrée 2023 pour près de 25.000 recrutements en moyenne annuelle.

École des villes, école des champs : vers une rupture éducative ?

Par ailleurs, ce resserrement démographique creuse les inégalités territoriales, en particulier au détriment des zones rurales. Dans le premier degré surtout, où le rattachement des écoles aux communes se traduit par l’isolement de nombreuses petites unités scolaires.

Ainsi 40 % des écoles primaires comptent moins de 4 classes et à ce titre ne disposent d’un directeur que 12 jours par an. Cette situation s’oppose également au partage de bonnes pratiques et à la formation continue, dont toutes les études montrent pourtant l’importance.

A ce jour, les projets de regroupements intercommunaux (PRI) ou d’écoles du socle rassemblant les écoles autour d’un collège sur le modèle de l’éducation prioritaire se sont heurtés à l’hostilité des élus locaux.

Non sans raison, échaudés qu’ils sont par des fermetures de classes qui signent souvent la désertification des petites communes de campagne ou de montagne.

En effet, devant le recul des services publics, les écoles rurales constituent souvent un relais indispensable de la vie publique et un atout de premier plan pour l’attractivité économique et culturelle.

Mutation de l’engagement associatif

A l’autre bout du spectre de la pyramide des âges, la disparition des générations nées dans l’entre-deux guerres se traduit par une évolution profonde du tissu associatif. Les associations sont des acteurs éducatifs locaux de premier plan au travers de l’éducation populaire, de l’aide aux devoirs ou des activités artistiques et culturelles.

Or une enquête récente consacrée aux pratiques bénévoles des Français souligne les premiers effets du passage de génération.

Elle constate un recul progressif de l’implication dans la vie associative des plus de 65 ans (Recherche&solidarités, 2023).

Une enquête sur les pratiques bénévoles des Français souligne le recul progressif de l’implication des plus de 65 ans qui constituent la colonne vertébrale de la vie associative.

Si l’implication des jeunes s’accroît, elle s’accompagne également d’une transformation des modalités, plus diffuses, et des motivations de l’engagement, plus liées aux aspirations professionnelles que ne l’était l’engagement militant de leurs aînés.

Cette évolution est d’autant plus importante que les communes rurales ont de plus en plus de difficultés à recruter les éducateurs et animateurs capables d’encadrer les activités périscolaires et extrascolaires (ANDEV, 2022).

Au bilan, le recul de l’offre éducative publique dans certains territoires peut conduire à une relative privatisation de l’éducation, circonscrite au cercle familial et amical immédiat, et restreindre considérablement le champ d’épanouissement de l’enfant, comme le souligne une enquête dédiée à la sociabilité des jeunes femmes de milieux populaire (INJEP, 2019).

Déclin ou opportunité d’un nouveau modèle éducatif ?

Pour autant, faut-il dramatiser cette évolution à l’aune du déclin qui hante notre vieux pays ? Si la baisse de natalité peut s’avérer inquiétante à terme pour l’équilibre des comptes de la nation, notamment de notre système de protection sociale, elle n’est pas sans intérêt au regard des difficultés de notre système scolaire.

Des 6000 bacheliers de 1900 aux 650.000 de 2022, notre école a en effet été profondément bouleversée par une massification dont les conséquences pédagogiques et sociales ont ébranlé une école républicaine fondée sur la méritocratie et le prestige du diplôme.

Les promesses de la “ réussite pour tous ”, incarnées par le slogan de « 80 % au bac », se sont traduites par une « inflation par les diplômes », synonyme de dévalorisation des perspectives offertes à ses lauréats et de la place même des enseignants dans notre société.

Le resserrement des classes d’âge constitue de ce point de vue une opportunité historique pour retrouver des marges de manœuvre, financières et humaines, mobiliser des ressources sans précédent et mieux accompagner chaque élève dans ses apprentissages.

En d’autres termes, avec 700.000 enfants contre 850.000 au début des années 2000, la France n’a simplement plus les moyens humains de laisser 10 % d’une classe d’âge sur le bord de la route.

Le resserrement démographique constitue en ce sens une formidable injonction à mieux personnaliser les apprentissages : ce n’est plus aux enfants de s’adapter à l’école mais à l’école de s’adapter aux besoins de ses élèves et de leur famille.

Avec 150 000 enfants de moins chaque année par rapport au début du siècle, la France n’a simplement plus les moyens de laisser décrocher 10 % d’une classe d’âge.

L’école ne peut plus se contenter d’être un lieu de transmission de connaissances mais elle doit également se donner les moyens d’accompagner chaque enfant dans son parcours, dans l’acquisition des compétences indispensables pour assumer ses responsabilités de professionnel, de citoyen et d’homme, en particulier à l’aune des grands défis de notre temps.

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