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La nomination de Gabriel Attal à Matignon, au terme de six mois au pas de course rue de Grenelle, suscite bien des interrogations alors que le Président de la République a répété vouloir mettre l’école au cœur d’un nouveau pacte avec la Nation. Le volontarisme du jeune prodige et son « choc des savoirs » sont-ils condamnés aux destins des coquelicots, vite éclos et rapidement fanés ?

Dimension interministérielle de l’éducation

« J’emmène avec moi la cause de l’école » déclarait le Premier ministre dès sa prise de fonction. Sans préjuger des insondables incertitudes de l’avenir, voilà une belle façon de jauger la capacité du nouveau chef du Gouvernement à hisser son action au niveau interministériel qu’il a désormais la responsabilité d’incarner.

En effet, l’ampleur du défi éducatif dépasse largement les murs de l’école et il n’est plus de politique éducative qui puisse se limiter aux frontières de l’Education nationale. Le suivi des élèves en difficultés mobilise autant les centres sociaux et les associations locales que les seuls enseignants. Si elle s’appuie sur l’école, la lutte contre la radicalisation associe les préfectures et les services de renseignements territoriaux. Même l’attractivité des carrières d’enseignants implique d’offrir des opportunités d’évolution et de mobilité professionnelle au-delà du seul périmètre ministériel.

De ce point de vue, l’exceptionnelle trajectoire de Gabriel Attal offre l’opportunité de donner toute sa dimension et toute son ampleur à notre politique éducative. Identifions ici trois sujets qui pourraient constituer l’aiguillon d’une véritable politique interministérielle.

Soutien aux familles

Premièrement, la relation avec les familles. C’est une faiblesse bien identifiée de notre école républicaine, parce qu’elle a longtemps conçu sa mission comme un nécessaire arrachement de l’élève à ses déterminismes culturels et sociaux. Si cette approche pouvait se justifier à une époque où les enfants grandissaient au sein de communautés rurales fortes et parfois étouffantes, ce n’est plus le cas d’un pays où une famille sur cinq est monoparentales et où les parents, quel que soit leur milieu, sont souvent démunis pour accompagner le parcours de leurs enfants.

La récente étude PISA a souligné que le soutien des parents était déterminant pour la réussite de leur enfant, en particulier pour les familles modestes, et la France apparaît très en retrait sur ce sujet. Le lien avec les familles ne peut reposer exclusivement sur des enseignants souvent étouffés par la multiplication de leurs missions, et implique de renforcer le lien avec les mairies, les caisses d’allocation familiales et les associations locales qui disposent de la proximité qui fait souvent défaut à l’institution scolaire. Alors que le Gouvernement oscille entre soutien aux mères seules et culpabilisation des familles défaillantes, il serait bienvenu de fixer un véritable cap en la matière.

Mutations de la formation professionnelle

L’orientation constitue un autre sujet sur lequel le Premier ministre pourra mettre avantageusement à profit ses nouvelles fonctions. Alors que le rétrécissement démographique accroit les tensions sur le marché de l’emploi, la France n’a plus les moyens de continuer à sélectionner par l’échec au travers de cursus aussi monolithiques que peu adaptés à la diversité des besoins de notre société.

Les atermoiements autour du lycée professionnel le soulignent bien assez : les leviers pour constituer des véritables filières professionnelles d’excellence sont tout autant dans les centres de formation d’apprentis et dans les entreprises qu’à l’école. La réforme de 2018 a ouvert un vaste bouleversement de l’apprentissage qui a permis de bouger les lignes d’une offre de formation trop longtemps figée mais dont le désordre constitue désormais une vraie menace pour la cohérence de l’action publique. Alors que France compétences accusera en 2024 un déficit de près de 4 milliards d’euros, il n’est que trop temps de remettre un peu d’ordre dans un paysage dont la complexité et les effets d’aubaine peuvent compromettre la dynamique d’ouverture et d’innovations.

Un cadre clair pour l’initiative éducative privée

Enfin, la succession des appels à projet en matière éducative, au titre de la politique de la ville, du plan d’investissement dans les compétences ou du plan d’investissement d’avenir a abouti à une juxtaposition et à une superposition de dispositifs dont la faible lisibilité constitue désormais un vrai frein à l’émergence d’initiatives pour répondre aux besoins des jeunes et des familles. Depuis 2010, ce sont ainsi au moins 60 milliards d’euros qui ont été consacré aux territoires numériques éducatifs, aux internats d’excellence…, sans que ces dispositifs n’aient véritablement trouvé de modèle pérenne ni fait la démonstration de leur pertinence.

Numérique éducatif, éducation au développement durable, à la santé, à l’égalité entre les filles et les garçons, accompagnement des décrocheurs, etc. : autant de domaines qui ont vu l’émergence d’un paysage complexe d’acteurs nationaux et locaux, publics et privées, dont la faible lisibilité ne permet pas d’assurer l’égalité des citoyens devant le service public de l’éducation. Ces partenariats ont dorénavant besoin d’un cadre clair, au-delà d’un régime de subvention aussi fragile sur le plan juridique que peu robuste sur le plan économique, pour apporter les garanties indispensables aux familles comme aux contribuables.

Soutien aux familles, orientation et insertion dans l’emploi, élargissement maîtrisé du service public de l’éducation : autant de chantiers qui devraient permettre au nouveau Premier ministre de faire la démonstration de sa capacité à hisser son verbe clair et percutant à la hauteur des défis et des besoins de la Nation. Souhaitons-lui de réussir.

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Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut