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Une ambition à l'épreuve de la diversité des besoins

Sommaire

Introduction : 18 ans qui font bouger l'école

Chaque année, l‘école accueille un demi-million d’enfants en situation de handicap, soit plus de 4% de ses élèves. Pour faire face aux disparités qui les caractérisent, elle s’est fixé un cap, celui de l’inclusion. La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées reconnaît à tous les enfants le droit à une scolarisation ordinaire, au plus près de leur domicile et à un parcours scolaire.

La tentation est grande d’étendre indéfiniment le périmètre des « besoins éducatifs particuliers ». Aux 10 % des élèves qui justifient de tels besoins pour raisons médicales ou au titre d’une origine étrangère s’ajoutent les enfants éloignés de l’école pour des raisons diverses : maladie de longue durée, phobie scolaire, protection judiciaire, etc. D’autres cumulent les difficultés sans être toujours identifiés : handicap invisible, décrochage, situation familiale, harcèlement.

Comment préserver la dimension collective de l’école face aux demandes d’individualisation croissantes ? L’inclusion est souvent le catalyseur de toutes les difficultés de l’école : manque de formation, de moyens, de reconnaissance. 18 ans après, le bilan est pour le moins en demi-teinte : difficultés de mise en œuvre, incompréhensions des éducateurs, espoirs déçus des familles.

Mais, au-delà des difficultés, l’inclusion se révèle un formidable levier de transformation de l’école. En déplaçant le regard des éducateurs, elle les amène à mieux considérer l’enfant derrière l’élève, le collectif derrière les apprentissages. Elle souligne également qu’une véritable ambition éducative ne peut ignorer le rôle des enfants eux-mêmes, dont l’attention est appelée dès le plus jeune âge à la tolérance et à la vulnérabilité.

Avant-propos : Tous particuliers ?

Aux termes de la déclaration de Salamanque qui conclut la Conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux (UNESCO, 1994), l’école inclusive se définit au service des élèves à besoins éducatifs particuliers. Qui sont-ils ? Ceux qui « ne peuvent être scolarisés dans de bonnes conditions que si on leur prête une attention particulière pour répondre aux besoins qui leur sont propres ».

Une appellation à géométrie variable

Les deux premières catégories, qui appartiennent au champ du handicap, concentrent l’essentiel des réflexions et regroupent la très grande majorité des élèves concernés.

S’y ajoutent les élèves précoces, malades, sous main de justice, et nouvellement arrivés en France. Nous avons fait le choix ici de moins aborder leur situation, pour le faire ultérieurement à l’occasion de publications plus ciblées.

Certains chercheurs plaident pour une 7ème catégorie dédiée aux « enfants en situation sociale ou familiale difficile ».

 Cette catégorie recouvre une réalité indéniable mais difficile à appréhender faute de définition pédagogique ou administrative précise. Ces difficultés renvoient davantage à des « situations » qu’à des « besoins » au sens strict. Aussi, il est possible qu’au cours des prochaines années, la définition des besoins particuliers s’élargisse et privilégie la notion plus large de “situation particulière”.

Trouble, mal-être, difficulté, handicap, blocage… autisme ?

Beaucoup d’enfants souffrent de troubles invisibles ou complexes à identifier, ce qui peut avoir pour conséquence de les rendre plus difficiles à vivre encore. Parmi ceux-là, 80% seraient porteurs de handicap invisible. Faute de diagnostic, ils déploient d’épuisantes stratégies de compensation pour faire reconnaitre une difficulté ou masquer une différence qui peut sembler minime.

Une idée folle ? Des ambitions aux désillusions

L’école inclusive émerge à l’intersection de deux champs d’action publique : l’éducation et la santé. Son histoire est celle d’une oscillation constante entre ces deux secteurs, entre les établissements scolaires et les services médico-sociaux.

Genèse d’une découverte de la diversité

De l’anormal au spécifique

Historiquement, « l’éducation spéciale » s’implante au XVIIIème siècle dans plusieurs pays européens dans le sillage de l’essor de la médecine et de la psychologie ; et en contraste avec le peu de considération que l’on avait jusqu’alors pour l’enfant lui-même ! Ce tournant s’enracine dans les expériences menées avec des enfants sourds, aveugles ou « arriérés ». Les notions de curabilité ou d’éducabilité émergent sur le devant de la scène avec la figure controversée de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron (1797-1828).

On doit les premières institutions hébergeant des enfants « a-normaux » à Désiré-Magloire Bourneville, médecin aliéniste dont le combat aboutit en 1909 avec la loi pour un système scolaire adapté, qui créé des classes et des écoles pour enfants « arriérés ».

Si le vocabulaire paraît aujourd’hui suranné, cette mesure représente à l’époque une avancée considérable pour la prise en charge d’enfants jusqu’alors délaissés.

Durant les décennies qui suivent, il est question de « rééducation » de ces enfants et adolescents dits déficients et inadaptés.

Les projets d’intégration scolaire et sociale se développent surtout au cours des années 1970-1980 mais cristallisent durablement une forme de séparatisme. Parmi les enfants handicapés, certains commencent à bénéficier d’un accompagnement particulier dans des établissements scolaires de droit commun, d’autres sont regroupés dans des établissements associatifs ou hospitaliers. Le dialogue et les passerelles sont rares. Les éducateurs sont peu incités à partager leurs pratiques.

Éric Plaisance, professeur à l’université Paris Descartes, définit ainsi ce système : « Les structures spéciales ont été des lieux de relégation, de mise à l’écart, bien plus que des lieux de développement des capacités ». A cette époque la question de la norme se fait une place de plus en plus prégnante dans le champ des sciences sociales – à l’image du retentissement de l’ouvrage de Canguilhem, Le Normal et le Pathologique (1974).

Une forme d’intérêt pour les marginaux ou les vulnérables aboutit à l’émergence de politiques sociales et éducatives. Certains publics sont qualifiés de “prioritaires”. L’Éducation nationale commence à mieux consolider différentes voies pour répondre aux besoins éducatifs des enfants handicapés.

Une impulsion venue d’ailleurs

En 1975, l’émergence aux Etats-Unis du terme “besoin particuliers”, cœur de l’inclusive education est déterminante sur la scène internationale du handicap. Elle invite à un déplacement sémantique : les termes de « fonctionnement », « adaptation », « santé » prennent progressivement le pas sur « déficience » ou « incapacité ». Derrière ces nouvelles appellations, on cherche à se détourner de la médicalisation des questions éducatives et à se recentrer sur les possibilités d’apprentissage et sur les besoins de l’élève. “L’anormal” devient le “spécifique”, vers qui développer et mobiliser de nouveaux moyens éducatifs, sans discrimination.

Partout : redéfinir le handicap, requalifier l’école

Au cours des décennies suivantes, une refonte des systèmes éducatifs et de la formation des enseignants suit progressivement son cours sous l’influence d’ONG et d’associations de défense des droits des personnes handicapées.

Elle se traduit de différentes manières en Europe :

  • par le développement massif d’établissements spécialisés : c’est le cas de la Belgique, qui ne cherche pas à inclure les jeunes porteurs de handicap, mais à les prendre en charge de la manière la plus individualisée possible ;
  • par la généralisation de classes spécialisées au sein des écoles : c’est le cas en Suède, où des besoins particuliers sont diagnostiqués chez la grande majorité des élèves ;
  • par le développement d’outils adaptés au sein d’un système scolaire unique : c’est le cas en Italie, où les enseignants sont très fréquemment en lien avec des professionnels de la santé dans leurs classes.

La France a développé un système hybride, qui tend à se rapprocher progressivement du troisième. La loi d’orientation sur l’éducation de 1989 préconise la scolarisation en milieu ordinaire d’élèves présentant une déficience. Elle préfigure la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui pose de manière plus catégorique le droit pour tous les enfants d’être scolarisés en milieu ordinaire, au plus près de leur domicile et selon un parcours scolaire continu et adapté. 

Évaluer le besoin : mille et une nuances d’inclusion

En France, le cheminement de l’Éducation nationale vers l’école inclusive se traduit par un élargissement important du périmètre du handicap. Ce dernier représente une des sous-catégories des “besoins éducatifs particuliers” et les données s’accordent sur une très forte croissance du nombre d’élèves concernés pris en charge à l‘école, sur les deux dernières décennies. Entre 2004 et 2012 en France, il a quasiment doublé (à noter qu’à l’inverse, les effectifs des établissements spécialisés restent stables).

Sans faire oublier l’ampleur des inégalités et des difficultés sur le terrain, ce phénomène signe aussi de manière notoire une systématisation beaucoup plus forte du recours à la qualification d’handicapé. On observe en particulier une croissance de profils dits haut potentiel intellectuel ou précoces, souffrant d’un trouble de déficit de l’attention et d’hyperactivité, hypersensibilité.

L’essor de la “labellisation” de ces jeunes, le plus souvent CSP+ (car il a lieu surtout chez les familles aisées, de plus en plus nombreuses à demander des bilans auprès de pédopsychiatres) dit aussi le changement de regard sur les comportements “hors-normes” des enfants.

Des désaccords entre courants pédopsychiatriques en découlent : certains praticiens préfèrent y voir des failles émotionnelles, parfois lourdes, dans le développement de l’enfant, et non des handicaps, à la différence d’autres.

Il n’en demeure pas moins que la perception de la différence chez son enfant fait souvent vivre aux familles concernées de véritables parcours du combattant.

La première pierre de ce parcours consiste à comprendre ce qui définit vraiment la différence de l’enfant vis-à-vis d’une “norme” et d’un collectif. Trouver le meilleur accompagnement possible pour cet enfant n’est que la deuxième étape.

Pour accompagner le processus de changement : s’informer et comprendre, se faire accompagner dans les démarches, échanger avec un groupe de pairs aidants, il est important de trouver un ou des interlocuteurs francs.

Témoignage : PARENTS D’UN ENFANT EN SITUATION DE HANDICAP,

Par Aurélie Sigrand, co-fondatrice d’Ikigai

Notre association facilite l'inclusion des enfants avec autisme. La mission d’IKIGAÏ est de sensibiliser et d’outiller les éducateurs à l’accueil et l’accompagnement d’un enfant avec troubles du neurodéveloppement (autiste en particulier) en milieu ordinaire mais aussi d’épauler les parents dans leur parcours parental et éducatif avec leur enfant atypique. Notre expérience nous révèle que le handicap est dans 80 % des cas invisible ; dans les cas des troubles du neurodéveloppement, l'alerte, au-delà des inquiétudes des parents, est souvent donnée par la crèche ou l'école, au moment où les particularités liées au développement de l'enfant se confrontent à la collectivité et à la « norme ». Loin d'être linéaire, c'est tout un processus, avec ses hauts et ses bas, qui impacte le couple, la fratrie, mais aussi la carrière professionnelle de l'un ou des deux parents. Entre l'alerte et le diagnostic, la route est longue et sinueuse jusqu'à l’acceptation et la mise en action des parents, au gré des multiples consultations médicales successives. Le besoin de soutien est cyclique lors de ce parcours, pendant lequel on oscille entre des sentiments divers : colère, acceptation, tristesse, déni... Loin d'être linéaire, c'est tout un processus, avec ses hauts et ses bas, qui impacte le couple, la fratrie, la famille dans son ensemble mais aussi la carrière professionnelle de l'un ou des deux parents.

De nombreux associations ou services sociaux existent en France. Le “label handicap” est attribué par les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), placées sous la responsabilité des départements chefs de file en matière sociale.

La MDPH définit le besoin d’accompagnement humain et matériel et attribue un niveau d’aide financière en fonction de la situation individuelle de l’enfant et de sa famille : degré d’incapacité, niveau de prise en charge médicale par la sécurité sociale, besoins d’aménagement de ses lieux de vie, impact sur la vie professionnelle des parents, etc.

Le niveau d’aide est réévalué en fonction de l’évolution des besoins. On distingue 2 aides principales :

  • l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) compense les dépenses liées au handicap de l’enfant ;
  • la prestation de compensation du handicap (PCH) finance des aides humaines ou matérielles en fonction du niveau de ressources.
L‘évaluation du besoin est consignée dans un ou plusieurs documents de suivi à l’attention des adultes responsables de la scolarité de l’enfant. 2 documents-outils recensent les besoins éducatifs et les aménagements pédagogiques apportés.

La scolarisation inclusive se traduit par 3 types d’adaptations :

  • rythme des apprentissages ;
  • aménagement des locaux ;
  • méthodes d’apprentissage.

Le Projet personnalisé de scolarisation (PPS) centralise les besoins et aménagements à destination de l’enseignant référent. L’équilibre entre temps adaptés et communs est assuré par un coordinateur, souvent professeur des écoles certifié. La partie administrative est pilotée par le directeur ou le chef d’établissement.

FOCUS: Les enseignants référents

Tous les élèves avec un PPS en bénéficient d’un. Il est l’interlocuteur privilégié de la famille et de la MDPH.

Il joue le rôle de chef d’orchestre, seule personne légitime à faire le lien entre les différentes parties-prenantes !

Il veille à la mise en œuvre du PPS. Chaque enseignant-référent peut avoir jusqu’à 350 dossiers, parfois entre plusieurs établissements.

La bataille des sigles ne fait que commencer !

On distingue 4 dispositifs d’inclusion :

1. la Section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) permet aux élèves en grandes difficultés de préparer un projet d’orientation professionnelle dès le collège. A l’issue de la 3ème, les Établissements régionaux d’enseignements Adaptés (EREA) prolongent ce dispositif vers un CAP ou un baccalauréat professionnel. Dès la 6ème, la Commission d’orientation vers les enseignements adaptés du second degré (CDOEASH) peut y affecter les jeunes rencontrant de grandes difficultés d’apprentissage.

2. l’Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A) rassemble des enfants de tout âge pendant un an pour apprendre le français. Ils participent néanmoins à certains cours (sport notamment) pour rejoindre progressivement la classe ordinaire. On distingue les élèves non scolarisés antérieurement (NSA), mis en lumière par le documentaire “La Cour de Babel” (2013). Le Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivés et issus de familles du voyage (CASNAV) et, dans le second degré, le Centre d’information et d’orientation (CIO) sont chargés d’affecter ces élèves.

3. les Unités d’enseignement maternelle autisme (UEMA) et les Dispositifs accueil autisme maternelle (DAAM) accueillent les enfants diagnostiqués TSA (trouble du spectre de l’autisme).

4. les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) regroupent les enfants porteurs de handicap, le cas échéant en Unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA).

La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) répond à l’ensemble des demandes des familles notamment sur le plan scolaire. Elles constituent le principal aiguillage entre inclusion en milieu ordinaire et établissement spécialisé.

Le principe d’inclusion en milieu ordinaire prévoit des exceptions si on considère que l’inclusion n’est pas bénéfique à l’enfant et la prise en charge dans des établissements et services médico-sociaux (ESMS) est privilégiée.

4 principaux établissements accueillent et hébergent les jeunes porteurs de handicap :

  • les Instituts médico-éducatifs (IME) pour les enfants en situation de déficience intellectuelle ;
  • les Instituts d’éducation motrice (IEM) pour les jeunes en situation de handicap moteur ;
  • les Instituts psycho-thérapeutique et pédagogique (IPTP) pour des jeunes en situation de déficience intellectuelle légère à moyenne, présentant des troubles du comportement ;
  • Les Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) pour des jeunes présentant des troubles de la conduite et du comportement

Des parcours hybrides entre scolaire et médico-social ont été développés, souvent mobiles :

  • les Unités d’enseignement externalisées (UEE) permettant de suivre une scolarisation et une initiation professionnelle au sein-même des établissements spécialisés ;
  • les Réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) en primaire mettant à disposition enseignants spécialisés et psychologues ;
  • les Services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) offrent un soutien médical sur tous les lieux de vie de l’enfant pour favoriser l’autonomie ;
  • des Équipes mobiles spécialisées (EMS) appuient directement les enseignants en classe. Initiées en 2019, elles permettent de prévenir les ruptures de parcours ;
  • le Service d’assistance pédagogique à domicile (SAPAD) permettant aux enfants hospitalisés de suivre leur scolarité, souvent grâce à des partenariats comme l’École à l’hôpital en Île-de-France.
Ces enfants qui n’entrent dans aucune case
 

Les dispositifs existent et la croisée tant attendue des deux secteurs (scolaire et médico-social) est petit à petit incarnée par des unités mobiles, voire des formations communes aux enseignants et éducateurs. La présence, même épisodique d’un ergothérapeute, orthophoniste, psychomotricien ou psychologue, directement sur les lieux de vie de l’enfant est cruciale pour deux raisons : l’enseignant peut y trouver un relais effectif et le jeune et ses parents ne se perdent pas en allers/retours entre tous ces lieux de prise en charge.
Ces parcours restent néanmoins complexes à mettre en œuvre. Ils mobilisent des acteurs administratifs différents, ce qui peut fragiliser la capacité de suivi des enfants et de leur famille, Difficultés qui peuvent se traduire par de longues périodes de déscolarisation, faute d’obtenir deux places dans deux établissements différents.
Une étude publiée le 29 août dernier par l’Unapei, un réseau d’associations représentant les personnes atteintes de handicap mentaux, démontre qu’un quart des enfants souffrant de handicap mental n’ont pas fait leur rentrée à l’école cette année. Sur 2 103 jeunes accompagnés par ces associations, 23 % n’ont aucune heure de scolarisation, 28 % ont moins de six heures par semaine, 22 % entre six et douze et 27 % plus de douze.
En d’autres termes, près des trois quarts de ces enfants et adolescents vont à l’école moins de douze heures par semaine, alors que 24h d’enseignement sont dispensées en primaire et 26h au collège.

De leur côté, les capacités des établissements spécialisés demeurent drastiquement contraintes : l’attente pour une place en Institut médico-éducatif (IME), accueillant des jeunes porteurs d’un handicap mental, est en moyenne de 3 à 5 ans en France.Le manque de personnes ressources explique grandement l’errance de certains enfants et le désarroi de leurs parents. Toutes les institutions représentées ici souffrent, depuis plusieurs années, d’un lourd déficit de personnels.

Un quart des enfants souffrant de handicap mental n’ont pas fait leur rentrée à l’école en septembre 2023.

Au-delà de problématiques de ressources humaines, les élèves sont parfois plus victimes que bénéficiaires de ce principe. La juste compensation des difficultés de l’enfant repose sur une évaluation complexe de ses besoins et de ceux de sa famille et ce système d’aiguillages complexes rencontre de nombreux obstacles.Certains enfants ne supportent pas le milieu où ils sont affectés et la question des moyens à leur disposition se pose continuellement, au risque de déstabiliser les équipes éducatives.
Si l’on se penche sur les compensations mises en place pour les élèves, on soulève des contradictions énormes : un tiers-temps peut être attribué à un élève qui exprime des difficultés à se concentrer aussi longtemps que les autres, cela en dépit de tout bon sens.
Certains élèves porteurs de handicap, troublés par le cadre de l’école ordinaire et en recherche d’un épanouissement loin du collectif, ne demandent qu’à être en hôpital de jour ou en IME.
Les familles ensuite, n’ont pas nécessairement le sentiment d’être gagnantes. De nombreux parents refusent l’affectation en SEGPA, trop stigmatisante et qui semble reléguer l’élève à une « voie de garage ». Peut-on les en blâmer ?

 

Témoignage : LES LIMITES DE L’INCLUSION EN CLASSE ORDINAIRE

Par une enseignante en dispositif ULIS

Dans le département, on a plein de cas d’élèves qui sont au collège alors qu’ils seraient mieux dans un établissement spécialisé. Et je dis “on” parce que je sais que je ne suis pas la seule. Il n’y a pas que le fait d’apprendre à lire et à écrire, pour développer certaines compétences, c’est parfois préférable de quitter le cadre scolaire. Ça peut être très violent d’être à l’école pour certains.

J’ai un élève, en dispositif ULIS avec une notification d’AESH qui est plus souvent en “temps de regroupement dans une salle de classe réservée à cet usage” qu’en classe ordinaire ; en fait, tout le temps sauf pour l’EPS

Finalement, nous nous disons que c’est d’autant plus dommage pour ces enfants qui souffrent de ce parcours scolaire, parce que les parents en ont conscience également. Cependant, il s’avère que même si l’enfant serait plus épanoui dans un IME par exemple, dans notre département, il y a 4 ans d’attente, c’est long. Alors quand on est parent, faire le deuil de “l’enfant idéal” alors qu’il n’a que 6 ans pour faire la demande de prise en charge en IME pour 4 ans plus tard, c’est également violent et difficile.

 

Dynamique insoutenable, équilibre introuvable

Entre théorie et pratique, le grand fossé

Cette difficile mise en application de la loi de 2005 s’explique au fond par trois écueils majeurs : la lenteur de sa mise à exécution, doublée d’un manque d’anticipation, et sa rigidité.

Lorsqu’elle est promulguée, administrations et collectivités ne sont pas préparées à sa mise en œuvre. Alors que près de 4 milliards d’euros sont consacrés à l’école inclusive rien que pour l’année 2022, les listes d’attente pour tous les dispositifs et instituts spécialisés s’allongent d’année en année. Ce constat se couple à celui d’une crise de vocation généralisée dans le secteur de l’aide à la personne.

Les enseignants sont dès lors tenus depuis des années de mettre en pratique l’école inclusive sans bénéficier de consignes claires. Les textes institutionnels sont flous, parlent de valeurs mais donnent peu d’éléments quant à la manière

d’appliquer concrètement la loi. Ils ne reçoivent pas de formation à la hauteur de la tâche, surtout s’ils exercent depuis longtemps. Les dispositifs pré-cités (PPS, PPRE…) restent souvent lettre morte, à défaut d’avoir été explicités en salle des professeurs.

Du reste, les établissements qui recensent le plus de cas particuliers sont aussi ceux où le turnover des enseignants est le plus important.

Pour expliquer cette indiscutable tension entre la pensée et la pratique, il faut aussi invoquer la structuration centralisée à l’extrême du système français. Le pilotage unique des formations et concours, dispositifs et parcours, subventions et allocations, dont découle des services publics tentaculaires, est certes efficiente sur le principe mais manque de souplesse dans son application.

Focus : Comment se forment les enseignants ?

Crée en 2017, le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI) permet à un enseignant du premier et du second degré d’attester d’une qualification adaptée pour accompagner des élèves à besoins éducatifs particuliers. Cette formation est difficile d’accès, ce qui peut expliquer que le nombre d’enseignants suivant chaque année cette formation spécialisée ait fortement reculé. Ceux qui se lancent dans cette formation veulent pouvoir identifier les besoins particuliers à chaque élève, proposer des adaptations pertinentes… Ils peuvent devenir personne-ressource dans et en dehors de l’établissement scolaire.

Le CAPPEI est spécifiquement plébiscitée par les enseignants d’EPS qui représentent, à eux seuls, 50% des candidats (A. André et N. Margas, L’inclusion, 2021).

Par ailleurs depuis 2020, une formation initiale est mise en place pour tous les enseignants (elle concerne donc les nouveaux et futurs enseignants et non ceux qui ont commencé leur carrière avant 2020). Elle est d’une durée minimale de 25 heures. Les critiques aujourd’hui émises pointent un apprentissage trop court et peu ancré dans la pratique selon le rapport d’enquête n°2178 de l’Assemblée nationale.

Ce système d’administration centralisé rattache de nombreuses réformes en lien avec le handicap à un quinquennat, quand ces mesures quand ces mesures nécessiteraient une mise en œuvre et une capacité d’analyse étendues sur le très long-terme.

Enfin, le fonctionnement en périmètres ministériels est inadapté à une politique inclusive fondée sur plusieurs domaines d’actions publiques : santé, éducation, social, transport, aménagements. D’autant que l’administration chargée de l’allocation des moyens souffre d’un défaut capacité locale à mobiliser des personnes de natures différentes. En résulte en particulier la fragilité du modèle économique d’associations financées par des subventions alors qu’elles assument de fait une mission de service public.

Le poids social du handicap

Les difficultés d’une bonne mise en œuvre des politiques sociales du handicap s’expliquent aussi sur le plan socio-économique. D’une part, à mesure que l’enfant porteur de handicap grandit, ses difficultés scolaires se traduisent en difficultés d’insertion professionnelle.

D’autre part, il est malaisé de distinguer les besoins de l’enfant de la situation économique et culturelle de sa famille. On constate une corrélation frappante entre handicap et ressources économiques des familles, comme illustré dans le tableau ci-après.

En effet, un enfant en situation de handicap constitue un facteur de précarités au travers de son effet négatif sur l’emploi des mères, 2,5 fois moins présentes sur le marché du travail que les autres.

En 2020, d’après la DREES, leur niveau de vie mensuel moyen des familles d’enfants en situation de handicap est de 1 567 euros, soit 272 euros de moins que la moyenne des autres ménages avec enfant de moins de 20 ans.

A l’inverse, les familles aisées développent des stratégies adaptatives, du fait de moyens financiers plus conséquents mais aussi d’un accès privilégié à l’information.

Les inégalités se creusent encore à mesure que les personnes concernées s’approchent de l’âge de 16 ans, qui correspond à la fin d‘obligation de scolarisation ou de formation. Devenir lycéen est exceptionnel quand on présente un besoin éducatif particulier : le pourcentage de lycéens porteurs de handicap, toutes filières confondues est de 2,51%. Il diminue de moitié après le collège alors même qu’ils sont 75% à être scolarisé en classe ordinaire au premier degré.

Vers un épuisement des ressources ?

Le système scolaire tel qu’il a été dessiné par la loi de 2005 se révèle extrêmement ambitieux et porte plusieurs mérites. Il a bousculé les exigences pédagogiques et ouvert la possibilité d’un parcours éducatif et d’une équipe de suivi de scolarisation à chaque enfant.

En témoigne l’opportunité pour les jeunes accueillis en établissement spécialisé, d’obtenir un Identifiant National Elève (INE, qui permet notamment de passer des examens) – mesure tardive, adoptée en 2023, et néanmoins fondamentale !

L’explosion des effectifs d’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH), – dont on féminisera l’usage du terme, 93 % de ces emplois étant occupés par des femmes – depuis les années 2000 en constitue également une illustration flagrante. L’AESH s’est imposée comme l’intermédiaire incontournable entre l’enseignant, la famille et l’élève qu’elle accompagne dans ses apprentissages scolaires.

Les familles perçoivent légitimement leur présence comme la mesure d’adaptation la plus aboutie pour prendre en compte le handicap en milieu ordinaire. Partant, son attribution est au centre de toutes les polémiques. “On veut avoir une AESH”, et cette demande implique une attente de plusieurs mois ou années suivant approbation de la MDPH.

Les effectifs ont d’ailleurs été significativement augmenté : elles étaient 125.000 en 2021, et représentent aujourd’hui le 2ème métier de l’Éducation nationale après les professeurs des écoles.

Néanmoins, leur statut demeure excessivement précaire : un revenu moyen mensuel aux alentours de 850 euros net, 80% de contrats à durée déterminée et une formation au handicap qui est perçue insuffisante, malgré des conditions strictes d’obtention de diplôme.

La création des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) en 2019 visait à mieux mutualiser les ressources à l’échelle des collèges de secteurs et de privilégier des temps plein afin de fidéliser et de professionnaliser les AESH. Ces efforts, traduits par des organisations administratives parfois complexes, n’ont pas à ce stade permis d’atteindre les résultats escomptés.

Au bilan, malgré des effectifs en constante progression, l’emploi des AESH ne permet pas de répondre durablement aux besoins des familles ni des enseignants.

Une dynamique insoutenable ?

Alors que le nombre d’élèves en situation de handicap (ESH) scolarisés en milieu ordinaire ne cesse de progresser, passant d’un effectif de 134 000 à 430 000 entre 2004 et 2022, le taux de croissance du nombre de notifications d’aide humaine atteint les 12 à 13% par an, un rythme deux fois plus rapide que le rythme d’augmentation du nombre d’ESH.

Du côté du budget national, on observe qu’en consacrant 2,1 % de sa richesse nationale à l’invalidité, l’Hexagone se place dans la moyenne européenne. Mais que, à la différence des autres pays européens, les dépenses de la France en la matière ne cessent de croître pour répondre à l’ensemble des exigences liées à l’inclusion.

Pourtant les aides financières compensent à peine la prise en compte scolaire et/ou médicale d’un enfant porteur de handicap pour les familles. Elles sont considérées comme insuffisantes par la plupart des familles bénéficiaires : de multiples prises en charge ne sont pas prises en compte par la sécurité sociale.

Par ailleurs, le peu de temps consacré à l’explicitation et la prise en main de ces dispositifs est souvent évoqué. Les enseignants non spécialisés, et pourtant tous en prise avec des besoins particuliers dans leurs classes, ne sont pas ou peu formés à leur usage précis et aux potentialités cachées derrière ces sigles. D’après un sondage de l’Ifop réalisé en septembre 2023, seul un quart de l’ensemble des enseignants déclare avoir bénéficié de formations sur le sujet.

Toutefois, des initiatives réussies, à l’image du LAB9A émergent, sous l’impulsion des académies.

PÉPITE ÉDUCATIVE : LAB9A, Une initiative de l’académie de Paris

Le Lab9A c’est une salle de classe. Un lieu de formation. Un espace d’apprentissage. Mais même si elle prend place dans une école primaire du 9ème arrondissement, elle se concentre sur les adultes. Sur les éducateurs et leur demande de formation pour permettre l’inclusion d’un élève ayant un trouble neurodéveloppemental. Soutenu par le rectorat de Paris, le Lab9A délivre des formations qui permettent aux enseignants d’avoir des réponses pratiques aux situations particulières qu’ils rencontrent.

En une année, c’est plus de 300 personnes qui ont été formées alors même qu’un atelier peut accueillir 14 personnes. Cet engouement montre l’importance d’aller à la rencontre des besoins particuliers des éducateurs. Les modules de formations s’attardent sur :

  • La conception et la création de matériel adapté et individualisé comme des pictogrammes, dans le sens de la conception universelle de l’apprentissage ;
  • L’accessibilité et la découverte, autour d’un pôle de ressources qui permet aux formés d’emprunter et d’essayer auprès de leurs élèves avant d’investir localement.

Ce dispositif innovant en est au début de son aventure. Des formations de formateurs vont être dispensées pour permettre à d’autres académies de développer leur propre Lab.

De l'idée au réel : dépasser les contradictions

En affirmant que chaque enfant est capable d’apprendre et d’être accompagné vers l’autonomie, nous faisons le “pari de l’éducabilité”, pour citer le chercheur Philippe Meirieu. Le nécessité de ne laisser aucun élève au bord du chemin a parfois poussé l’école à parer au plus pressé quitte à perdre de vue l’objectif d’adaptation des pratiques aux besoins individuels des élèves. Une contradiction qui peut être dépassée comme le démontrent des initiatives prometteuses.

L’hypothèse d’éducabilité, qui se veut avant tout un engagement éthique, met l’école au défi de s’adapter à l’enfant, ses besoins et son rythme de progression. Cette exigence d’inclusion et d’hospitalité porte en elle-même certaines contradictions.

Les rigidités institutionnelles – classes, programmes, encadrement – restreignent les possibilités d’adaptation et la recherche de l’autonomie de l’enfant.

La centralisation rend donc l’école inclusive peu opératoire et pousse les équipes éducatives à bricoler pour conjuguer continuité institutionnelle et objectifs d’accueil.

Sans réelle efficacité : l’ONU a interpelé la France à deux reprises consécutives en 2019 et en 2022, et pointé du doigt son retard dans la mise en œuvre des principes votés en 2005.

D’après un sondage Ifop mené en septembre 2023, les enseignants sont les premiers à afficher une ambivalence : adhésion au principe mais doute profond quant à sa portée pratique.

Ils expriment ainsi de fortes appréhensions : presque tous s’accordent à dire qu’il s’agit d’une source de travail supplémentaire, et même de tracas et de contraintes pour 80% d’entre eux.

Néanmoins, pour l’immense majorité, l’inclusion est à la fois un droit (90%), une nécessité (74%) pour les élèves concernés, mais aussi une obligation professionnelle, preuve qu’ils sont empreints de ce principe d’éducabilité.

Comment dépasser ces contradictions ? En acceptant par exemple de réinterroger l’organisation et les pratiques à l’aune de principes, comme ceux proposés par les chercheurs A. Akkari et J.C. Kalubi (cf.schéma ci-dessous).

Et d’en faire découler de nouveaux usages plus conformes quitte à bousculer les conventions établies.

Distinguer et hiérarchiser les besoins

Les troubles dont souffrent les élèves à besoins éducatifs particuliers nécessitent des gestes professionnels précis et sur-mesure. Mais ils répondent aussi, pour beaucoup d’entre eux à des réflexes et des bonnes pratiques communs : c’est là toute la contradiction !

À un enfant intellectuellement précoce bénéficieront peut-être les mêmes aménagements que ceux qui conviennent à un enfant hyperactif. Une même méthode de lecture adaptée fonctionnera probablement autant pour un élève non-francophone que pour un enfant dyslexique…

L’observation et la mise à disposition d’outils éducatifs diversifiés pour tous les enfants sont au moins aussi importants que la conception et le suivi de dispositifs spécialisés.

Sortir du « tout compensatoire »

Derrière la pénurie des Accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) émerge un débat de fond : celui de la juste place des accompagnants auprès de l’enfant.

Un récent rapport du Sénat souligne un « phénomène de massification de l’aide humaine » qui se traduit par une « externalisation » par l’Éducation nationale de l’inclusion des élèves au travers de la multiplication des AESH :

« Il revient d’abord à l’école de s’adapter et la possibilité de recourir à l’aide humaine ne doit pas conduire l’institution scolaire à s’exonérer de sa responsabilité pédagogique. »

Ce rapport estime que le caractère indispensable de l’AESH auprès de l’élève s’est imposé parmi les familles comme les enseignants, conduisant à en généraliser l’attribution aux dépends de solutions alternatives.

Or le caractère systématique du recours à des mesures de compensation, dont l’AESH est la figure la plus courante, peut empêcher la prise d’autonomie dont l’enfant a besoin pour grandir.

Ressource coûteuse, épuisable, et désormais rare – car ce métier mal identifié souffre logiquement d’une forte crise de vocations – le recours massif aux AESH pose également la question de la soutenabilité budgétaire de l’école inclusive. Le budget estimé de 3,5 milliards d’euros connaît une augmentation considérable (+66 % par rapport à 2017, Conseil National du Handicap 2023), au même titre que la croissance du nombre de notifications d’aide humaine pour les élèves en situation de handicap (+12 à 13% par an, Rapport du Sénat, 2022).

Au bilan, la volonté a souvent pris le pas sur les moyens, et l’objectif a parfois occulté le chemin pour y parvenir.

Outils et pistes proposées par la conception universelle des apprentissages

à retrouver sur le site de la pcua

L’urgence d’un accueil massif et soudain des enfants en situation de handicap a contribué à pérenniser le recours à des outils relevant d’une logique compensatoire. Pourtant la finalité appelait au contraire un renouvellement profond de l’approche éducative en vue d’une meilleure accessibilité. Pour transformer leurs pratiques, les éducateurs doivent pouvoir prendre le temps de l’observation des enfants, de la réflexion sur leurs outils, de la concertation avec leurs pairs, du dialogue avec les familles.

Rendre accessible ne veut pas dire simplifier

L’importance du temps long pour permettre aux éducateurs de transformer leurs pratiques est également essentielle pour ne pas simplement réduire la complexité mais de créer les moyens et les méthodes nécessaires à l’inclusion.

En ce sens, la conception universelle des apprentissages, qui a pris son essor aux Etats-Unis et au Canada, envisage de manière globale l’environnement dans lequel évolue l’élève. Elle se construit autour du principe suivant : répondre « à un besoin potentiel avant qu’il ne se manifeste, [avec des outils qui] ne gênent personne et peuvent être utiles à tous » (Betty Bouchoucha, 2023). Davantage qu’une méthode, elle désigne une série de réflexes.

Un exemple bien connu est celui des plans inclinés : « toute personne qui serait ralentie dans sa mobilité, de manière provisoire ou définitive, peut en profiter – personne se déplaçant en fauteuil roulant, provisoirement avec des béquilles, chargée d’objets encombrants, d’une poussette… ». Et personne n’en sera dérangé.

En d’autres termes, la conception universelle des apprentissages consiste à « raconter la même chose, de plusieurs manières différentes » (Bataille et Midelet, 2014). Par exemple, pour l’apprentissage de la lecture et permettre à tous les élèves de décrypter les caractères et comprendre le sens d’un texte, l’enseignant propose d’emblée des supports adaptés : taille de la police, espacement entre les paragraphes et les mots, mise en valeur des consignes, etc.

Si cet investissement initial peut sembler exigent au premier abord, il s’avère rentable à moyen terme parce que ces supports peuvent être réutilisés dans de multiples situations. Dans cette démarche, l’enseignant doit garder en tête qu’il ne s’agit pas seulement d’entrer dans les apprentissages, mais aussi d’accéder aux apprentissages : la fin ne doit pas être éludée par les moyens.

D’un point de vue cognitif, ces pratiques pédagogiques visent à permettre l’effort, non à l’éliminer ou à se substituer à l’enfant. En effet, si l’élève ne se confronte pas, s’il ne rencontre aucun obstacle, le progrès n’a pas lieu. En cela, l’accessibilité des apprentissages n’est pas un nivellement par le bas et se démarque de pratiques qui peuvent altérer l’objectif d’un apprentissage, rentrant davantage dans le champ de la compensation.

Du diagnostic au juste besoin

Sauf exception, le diagnostic médical de l’élève n’a pas sa place en classe. Julia Midelet, enseignante spécialisée et formatrice, souligne à cet égard une incohérence manifeste : 95 % des formations à l’école inclusive sont construites sur la base d’une typologie de handicaps.

Le plan de formation des éducateurs entre lui-même en contradiction avec le principe d’accessibilité, ce qui révèle le retard de la France en la matière. Il leur sera par exemple plus facile de trouver une formation pour enseigner la lecture aux élèves dyslexiques qu’une formation axées sur les difficultés de déchiffrage.

Car sur le terrain, l’élaboration d’une pédagogie différenciée pour la majorité des handicaps se construit par la connaissance de l’élève et non de son trouble. Le plus souvent, les enseignants spécialisés développent des pratiques qui permettent d’aider l’élève à pallier un trouble de la mémoire, de la concentration, de l’hyperactivité : memento, temps supplémentaire, autorisations à se lever et se déplacer, recours à des outils numériques…

La nuance a son importance : il s’agit de prendre en compte l’élève et non de prendre en charge sa différence.

Un même handicap ne demandera pas nécessairement la même adaptation pédagogique et aucun élève ne vient avec son mode d’emploi. En cela, l’école inclusive encourage les enseignants à se fier à eux-mêmes d’une part – croire en leurs propres observations et déductions – et à être accompagnés d’autre part d’outils tels que ceux que propose la conception universelle des apprentissages.

Dans les faits, un enseignant trouvera moins d’utilité à parcourir le dossier médical de son élève qu’à engager une conversation avec sa famille, ses précédents éducateurs, et à consacrer un long moment à l’observation de ses réactions et de ses habitudes.

Pour autant, ces moments privilégiés ne sont pas faciles à mettre en place aujourd’hui, dans une école qui n’accorde pas une grande place aux parents, et où les effectifs par classe sont assez conséquents (avec 22 élèves par classe dans l’enseignement préélémentaire par exemple, nous nous plaçons largement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE qui s’établit à 14 d’après Regards sur l’éducation 2023).

Outre la préservation du secret médical, cette mise en retrait du diagnostic permet ainsi de prendre en compte l’élève et non de prendre en charge sa différence. Considérer l’élève comme tel et non comme « ULIS » ou « handicapé » ou même « différent » a pour objectif d’éviter tout effet stigmatisant, auprès des autres élèves comme à ses propres yeux.

Pas de baguette magique... mais des initiatives prometteuses

L’école inclusive ne s’institue pas autour d’une consigne claire à déployer dans toutes les classes. Elle est indissociable de sa dimension expérimentale et est appelée à s’adapter au contexte de la classe et aux pratiques de chaque enseignant”. Les éducateurs, comme les pouvoirs publics, sont amenés à multiplier les tentatives et affiner leur observation, à capitaliser sur ce qui fonctionne, à grand renfort de créativité et d’inspirations. Les mots du sociologue Eric Plaisance (2013, De l’éducation spéciale à l’éducation inclusive) résument cette idée :

« L’inclusion n’est pas donnée une fois pour toutes, elle réclame l’inventivité permanente de chacun. »

Une myriade de dispositifs, de partenariats, d’initiatives : près de 20 ans après la loi, l’école inclusive en reste largement à ses balbutiements. Avec les questions du collectif et des partenariats, celle des moyens reste centrale.

Faute d’exhaustivité, on peut appréhender ces initiatives sous trois orientations principales :

  • Aménager l’espace éducatif ;
  • Rendre les supports accessibles ;
  • Développer ou explorer l’offre numérique pour l’inclusion.
Des espaces plus favorables pour tous
 

Exploré depuis quelques années, l’aménagement de la salle de classe en espaces distincts permet aux élèves de trouver plus facilement leur place et leur rôle. La classe ULIS du collège Hawking à Fleury (Orne) en est un exemple réussi.

Depuis 2018 le Département du Calvados a engagé de nombreuses évolutions d’aménagements portant sur les espaces de plusieurs établissements du territoire visant à rendre le collège pleinement inclusif, notamment par l’aménagement de la classe du dispositif ULIS.

Ce projet bénéficie du soutien du plan France 2030, opéré par la Banque des territoires dans le cadre de l ‘appel à manifestation d’intérêt « Innovation dans la forme scolaire ».

La coordinatrice ULIS du collège Hawking à Fleury (Orne) a participé à l’élaboration de ce nouvel espace de travail et d’apprentissage.

D’abord réfractaire au projet, car elle craignait que cet aménagement singulier ait pour conséquence de stigmatiser davantage les élèves d’ULIS, elle constate aujourd’hui de nombreux effets positifs, et pour certains inattendus, à cette démarche.

« Maintenant que mes collègues l’ont vu, ils demandent la même chose, notamment pour créer des espaces qui sont des lieux d’échange, de plaisir, mais qui font partie de la scolarité, dans les espaces collectifs de l’établissement.En REP+ particulièrement, c‘est important que les élèves prennent plaisir à venir au collège […], et en tant que prof on doit « s’autoriser » à tout ça. »
 
L’aménagement de la classe vise à créer différents espaces par une disposition en zones du mobilier où les élèves ne sont pas systématiquement tournés vers le tableau et l’enseignante (un tableau tourné contre le mur pour s’entraîner à l’abri du regard des autres, un espace consacré aux plantes, que les élèves viennent arroser au quotidien) et à rendre plus visible les apprentissages (tous les emplois du temps des élèves sont affichés de manière très visible sur un mur…). L’ensemble a un impact réel sur le climat scolaire et sur les apprentissages.
Cette démarche participe d’une logique plus large dont l’idée est de penser l’usage d’un lieu au regard des besoins des plus vulnérables. C’est aussi ce à quoi répond le design actif dont l’objectif est de rapprocher l’activité physique de celles et ceux qui en sont le plus éloignés, par l’aménagement de l’espace public. Il y a donc un lien intéressant à aborder pour aller voir au-delà de la salle de classe tout en restant dans l’école : celui qui relie aménagement de l’espace, activité physique et inclusion.

L’émergence dans les classes de supports adaptés
 
En termes d’outils inclusifs, l’adaptation des supports n’en est aujourd’hui qu’à ses balbutiements, alors qu’elle demeure un incontournable pour les professeurs. Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun manuel scolaire adapté en France, ni en braille, ni pour les élèves dys.
En revanche un nouveau langage est né pour faciliter l’apprentissage de la lecture d’enfants porteurs de différents handicaps, le « facile à lire et à comprendre » (FALC).Trois structures œuvrent pour rendre les supports accessibles, puisqu’ils sont ainsi traduits en langue des signes, selon des modalités adaptées aux dyspraxiques, ou en FALC pour faciliter le déchiffrage et la compréhension de l’écrit.
 
PÉPITES ÉDUCATIVES : Le cartable fantastique 
 
Le cartable fantastique développe des ressources pour aider les ESH à travailler dans la classe de façon autonome. C’est donc dans ce cadre que l’association développe puis propose en libre accès sur son site internet des exercices et des livres adaptés, des informations et des outils pour aménager et contourner le handicap. Elle se concentre sur les enfants dyspraxiques.
Conçu comme un centre de ressources croisant les regards de médecins, chercheurs, enseignants, familles et enfants, ce site veut faciliter la scolarité des enfants en situation de trouble de la coordination motrice.
Lire, écrire, conjuguer, calculer, convertir… autant de compétences essentielles au quotidien mais difficile à acquérir pour certains enfants sans outils adaptés.
Les exercices ont été rédigés en fonction des besoins particuliers des élèves dyspraxiques puis adaptés pour les autres élèves de la classe. De cette façon, les objectifs d’un même exercice sont accessibles à tous et poursuivis par tous au même moment !
 
LES SIGNES DE VOLTAIRE :
 
Près de 50% des personnes en situation de surdité disent souffrir d’isolement social. À l’école, le constat est plus sévère encore : même dans les établissements disposant d’un pôle d’enseignement pour les élèves sourds, ceux-ci ne sont pas réellement inclus dans le collectif (les personnels, les enseignants, les autres élèves ne savent pas communiquer en langue des signes françaises (LSF), la sonnerie n’est pas accompagnée d’alarmes lumineuses, etc.).
Conçu par la Fondation Voltaire, avec et par les formateurs sourds experts en LSF, ce parcours est destiné à toute personne, à partir de 11 ans, qui débute en LSF. Il permet de découvrir et mémoriser à son rythme 1 000 signes et 200 phrases de base, mais aussi de découvrir la communication non verbale. 

Pour s’inscrire : https://lsf.fondation-voltaire.fr

EMOFACE
 
Joie, colère, peur, tristesse, surprise, et dégoût sont les 6 émotions fondamentales définies par le psychologue américain Paul Eckmann. Pour les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme, la reconnaissance et la compréhension des signaux émotionnels autant que la gestion de ses propres émotions sont autant de difficultés qu’elles rencontrent. 
C’est pour répondre à cet enjeu que l’application Emoface Play & Learn Emotions est née. Par l’intervention d’avatars en 3D animés, elle permet aux enfants d’apprendre à reconnaître les émotions exprimées par d’autres personnes, à exprimer eux-mêmes ces émotions, à intégrer les codes sociaux, généraliser les compétences acquises dans les situations de la vie réelle, et enfin, à interagir plus sereinement avec les autres.
Cette application ludique et innovante convient aux enfants autistes, mais peut également être utile aux enfants et adolescents avec troubles neurodéveloppementaux, ou présentant une déficience intellectuelle, ainsi qu’aux enfants ayant besoin d’améliorer leurs compétences socio-émotionnelles.
 
EDUMALIN
 
Au carrefour de la pédagogie, des sciences de l’apprentissage et du numérique, l’idée est de permettre aux enseignants de visualiser la progression des acquis des élèves, d’accompagner les élèves à développer le « savoir apprendre ».
L’objectif est que le parcours ne désavantage aucun groupe d’élèves tout en restant exigeante dans la manière de présenter le savoir. Ainsi, les fonctionnalités de la plateforme évoluent vers une accessibilité universelle, notamment au travers d’une progressive traduction des cours en Facile à lire et à comprendre (FALC). Cela favorise l’autodétermination mais aussi la pair-aidance, puisque les EBEP peuvent travailler les mêmes contenus que leurs camarades de classe.

Le numérique au service de l’inclusion ?


Le numérique s’impose comme une perspective incontournable de l’école inclusive à grands renfort d’outils dédiés aux besoins éducatifs particuliers, à destination des élèves comme des éducateurs. Cependant, le secteur « handitech », comme l’édition scolaire inclusive, tâtonne encore et les outils numériques continuent de chercher leur juste place en classe.Nous avons choisi de mettre en avant 3 pépites éducatives pour illustrer cet apport. Elles proposent des intermédiaires utiles entre l’élève et sa classe, que ce soit pour faciliter l’usage de la langue des signes, apprendre à interpréter les émotions, ou expliciter les méthodes de travail.

PÉPITES ÉDUCATIVES : SIGNES DE SENS

 
Basée à Lille, Signe de sens conçoit des dispositifs inclusifs qui facilitent l’apprentissage pour des personnes aux besoins spécifiques (que ce soit sensoriel, psychique, ou physique). Et en tant qu’acteur de la transformation vers l’école inclusive, elle travaille également avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale. Son objectif est donc d’outiller les enseignants et éducateurs autant que d’accompagner des entreprises et des collectivités.
Elle n’est pas dans la prise de position mais dans la conception ! Prenons comme exemple Ben le Koala, personnage dont la mission est d’accompagner les enfants de 3 à 6 ans dans les apprentissages précoces et du quotidien. C’est un dispositif global sous la forme d’une application avec vidéos et carnets imprimés sur : apprendre à se brosser les dents, faire ses lacets, revenir au calme… Cette application a 27000 utilisateurs réguliers !
Pour découvrir la méthodologie et les autres outils : signesdesens.org/notre-methodologie
 
ÉDITIONS KILÉMA
 
Créée fin 2021, elle est la toute première maison d’édition francophone engagée pour l’inclusion ! Du constat prégnant d’un défaut de livres adaptés au niveau et aux centres d’intérêts d’enfants à besoins éducatifs particuliers ainsi que d’une absence de manuels scolaires pour ces mêmes enfants, l’objectif de Kiléma éditions est de « donner accès à chacun dans sa diversité au savoir, à la culture et à l’emploi afin de participer à la construction d’une société inclusive dans laquelle chacun a sa place ».
En collaborant avec d’autres maisons, comme Gallimard ou Sarbacane, elle propose un catalogue d’ouvrages en FALC (“facile à lire et à comprendre”) pour permettre aux personnes présentant des troubles d’accéder à une littérature adaptée à leurs besoins spécifiques et en fonction de leur âge.
Les choix des ouvrages se font en fonction des programmes de l’éducation nationale. Et c’est ainsi que L’étranger de Camus, Roméo et Juliette de Shakespeare ou encore L’odyssée d’Hugo de Fabien Clavel (d’ailleurs traduit par l’auteur lui-même), sont autant d’exemples d’ouvrages adaptés et inclusifs que les Editions Kiléma ont publiés !
Les contacter ? A cette adresse : contact@kilema-editions.fr

 

L’enfant au coeur

Il est indispensable d’associer la théorie du pari d’éducabilité (tous les enfants sont capables d’apprendre et de grandir) de Philippe Meirieu à ce que ce dernier appelle le principe de liberté : nul ne peut apprendre ou se développer seul et nul ne peut apprendre ni grandir à la place de quiconque. L’apprentissage naît dans la relation, et ne se construit que dans une volonté réciproque.

 

L’éducateur ne doit pas se retrouver seul face aux enjeux éducatifs, et l’enfant non plus. En ce sens, le principe de liberté se trouve corrélé au principe de partenariat : entre les autorités éducatives, entre les leviers qui peuvent être actionnés, etc. Et le besoin de temps et de confiance pour se développer et se connaitre va de pair avec un soutien de la part des éducateurs auprès de l’enfant, et entre eux.

Le sport, porte d’entrée de l’école inclusive ?

L’éducation physique et sportive (EPS) est une des illustrations de cette ambition possible d’une école inclusive. Seule discipline scolaire qui engage corporellement et émotionnellement les élèves indépendamment de leurs différences, elle est aussi la seule à incarner très directement les notions de solidarité et de collectif.

A la découverte de soi, des autres et du collectif

Derrière le corps, c’est le sujet dans sa globalité qui doit être pris en compte. Parler d’EPS se maintient dans le temps, mais la question de l’éducation corporelle comme moyen de développer les capacités humaines sur tous les plans (cognitifs, émotionnels, physiques, intellectuels, sociaux, etc.) y trouve toute sa place dans la discipline actuelle. Au-delà de son caractère sanitaire, l’EPS permet donc de mieux se connaitre et de mieux connaitre l’autre.

 

Elle offre des opportunités concrètes de développer des relations sociales entre les élèves. Au travers des émotions partagées, des encouragements, ou des supports opératoires comme parer son camarade en accro-gym. L’EPS bénéficie de leviers spécifiques encourageant l’affiliation entre pairs. Néanmoins, il faut prendre conscience des risques associés à ces leviers : l’engagement corporel vécu seul ou les contacts corporels malveillants, par exemple, peuvent amplifier les risques d’exclusion.

De même, l’EPS apparait comme un terrain favorable à la différenciation pédagogique dès lors qu’elle est moins soumise à la pression des programmes scolaires.

Ainsi, plutôt que l’évaluation des performances, d’autres critères trouvent leur place dans cette discipline et permettent d’intégrer les spécificités des élèves : valoriser la collaboration, l’autonomie, etc.

 

C’est aussi une discipline qui donne de l’importance à d’autres aspects de l’apprentissage tels le fait de prendre du plaisir. Généralement hors les murs (de la salle de classe), l’EPS est un temps privilégié pour montrer aux élèves que la réussite peut prendre des formes multiples et où les différences permettent la complémentarité.

 

Puisque l’inclusion concerne également les éducateurs, il y a nécessité à leur donner outils et partenaires pour favoriser l’accessibilité de l’enseignement et la participation pleine et entière de ces élèves.

L’éducation physique et sportive est la seule discipline scolaire qui engage corporellement et émotionnellement les élèves indépendamment de leurs différences.

FOCUS : Sport et Autisme : un collectif pour l’inclusion

Depuis quelques années, la compréhension et la prise en charge du trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont devenues un enjeu important en termes de santé publique. Le nombre de personnes diagnostiquées est en constante augmentation (selon les données de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, le TSA concerne 1 naissance sur 100).

 

La diversité du TSA et des contextes de pratique d’activités physiques nécessite souvent

des adaptations au cas par cas, ce qui ne facilite pas l’inclusion de ces élèves.

 

D’autant plus que les professionnels font face à des difficultés à mettre en place des activités physiques (manque de personnels encadrants, de formation, de matériels adaptés, etc.). Pourtant, dès lors que la pratique est adaptée aux capacités de la personne, l’activité physique peut contribuer à la création d’un cadre social optimal permettant le développement des compétences sociales des personnes présentant ce trouble.

 

C’est en ce sens qu’Olivia Collet, doctorante affiliée aux laboratoires VIPS2 et LP3C de l’Université Rennes 2 et chargée d’étude au sein de l’ONG PLAY International, prépare une thèse sur “Sport et Autisme : un collectif pour l’inclusion”, un projet à la fois collectif et pluridisciplinaire, qui a pour objectif de favoriser l’inclusion sociale des enfants présentant un TSA.

 

En liant acteurs de terrain et recherche au service du projet mené, la thèse a pour objectif d’élaborer et d’évaluer l’impact d’un programme pédagogique inclusif basé sur l’activité physique et le jeu sportif, prévoyant la participation conjointe d’enfants avec TSA et au développement typique.

 

Pour en savoir plus : lab@play-international.org

Les enfants, premiers acteurs de l’inclusion

La constitution d’un collectif autour de la différence est à la fois l’une des « conditions favorables » à l’école inclusive et l’effet recherché de son application. Cet aspect, apport fondamental de la loi de 2005, est partie prenante de sa définition : “L’école inclusive doit permettre […]de considérer les différences entre les individus non comme des problèmes mais comme source d’enrichissements mutuels” (Midelet, 2020). Elle implique des stratégies de création d’un collectif et de sensibilisation à la différence de tous les élèves (ou étudiants, co-équipiers, collaborateurs), que les éducateurs peuvent apprendre à mettre en place. C’est d’ailleurs l’un des volets les plus importants du diplôme d’enseignant spécialisé (certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive ou CAPEI).

Mais c’est aussi dans la prise en compte du regard que beaucoup se joue. Les enfants “voient la différence même s’ils ne la comprennent pas” explique Mathilde Loiseau, ergothérapeute. C’est pourquoi, l’enjeu en tant qu’éducateur est d’apporter l’information que la différence existe pour la comprendre et l’accepter. L’ergothérapeute a pu assister à une journée de sensibilisation à l’autisme dans une école et en observer les effets.

Le véritable succès d’un établissement inclusif se fera à l’aune du développement des relations sociales entre tous ses élèves.

Son constat est révélateur : cette journée a permis aux enfants d’avoir les clefs de compréhension et d’aller vers, plutôt que d’exclure ces élèves ayant un TSA (de nouveaux liens se sont créés en dehors des temps en classe).

 

Le véritable succès d’un établissement inclusif se fera à l’aune du développement des relations sociales entre tous ses élèves. C’est loin d’être gagné quand aujourd’hui, malgré les témoignages de réussite comme celui de Gabrielle (ci-dessous), la majorité des enfants sourds et malentendants scolarisés en milieu ordinaire réclament un retour en institution. Jusqu’à ce que tous les élèves de leur classe soient formés à la langue des signes, sur quelles bases consolider des amitiés sur les bancs de l’école ?

 

TÉMOIGNAGE : GABRIELLE, SENSIBILISÉE A LA DIFFÉRENCE EN PRIMAIRE

« Antoine, un élève de ma classe de CE2, portait des appareils car il n’entendait quasiment rien. Je ne crois pas que la maîtresse nous l’ait présenté ainsi. Nous connaissions son handicap car il était dans cette école depuis toujours. Il n’était pas dans notre classe tout le temps, ne faisait pas les interrogations avec nous par exemple. Il passait aussi du temps dans une classe spéciale de notre école, avec d’autres enfants comme lui. Lorsqu’il était avec nous, une dame s’asseyait à côté de lui pour lui traduire le cours en langue des signes.

 

Je me souviens qu’à cause de sa surdité, il pouvait se montrer un peu « décalé » (il parlait fort par exemple) mais dans la classe, il n’était pas du tout considéré de manière différente qu’un autre. Il avait son groupe d’amis, avec qui il avait des affinités, comme n’importe lequel d’entre nous. C’est peut-être parce que nous étions petits, mais nous ne nous sentions pas du tout « obligés » d’aller sociabiliser avec lui à cause de son handicap.

 

Je trouvais sa présence très naturelle dans la classe. Je me dis que s’il était dans ma classe aujourd’hui au lycée, nous aurions plus conscience de sa différence et nous pourrions aller vers lui pour voir s’il a besoin d’aide, de manière plus systématique, mais moins naturelle. »

On sait que de nombreux parents d’élèves font obstacle à l’intégration, dans la classe de leur enfant, d’un élève dont le handicap effraie. Pour cette raison, il ne faut pas considérer l’objectif d’inclusion avec angélisme, mais au prisme du développement de bonnes pratiques ayant fait leurs preuves et puissent être partagées entre tous les enseignants.

 

C’est en ce sens qu’aux États-Unis la scolarisation des élèves en situation de handicap à l’école est devenue obligatoire à partir de 1995. L’école est obligée d’accueillir et intégrer ces élèves sans quoi elle doit dédommager leur déplacement vers une autre école.

 

La dynamique éducative là-bas est plus participative en se basant sur des compétences et des pratiques partagées, avec des conséquences profitables à tous (tutorat, projets de groupe…). Aujourd’hui, ce sont deux tiers des élèves en situation de handicap qui sont en école ordinaire plus de 80 % du temps.

En replaçant l’enfant comme acteur de son propre besoin, on amène l’école à reconnaitre un accompagnement, une inclusion réflexive. L’inclusion réside dans le temps long, entre l’observation et l’interconnaissance.

Il faut non seulement permettre un meilleur outillage de l’accompagnant, mais aussi favoriser les moments en inclusion pour que la diversité d’un groupe fasse évoluer les attitudes des élèves entre eux à l’égard de la différence.

Focus : l’inclusion des enfants autistes

Depuis 2013, les Unités d’enseignement en maternelle pour les enfants autistes (UEMEA) constituent des exemples de scolarisation ou de sociabilisation hybrides. Parallèlement aux temps de travail au sein de classes spécifiques, les enfants porteurs d’autisme peuvent bénéficier de temps d’inclusion dans des classes ordinaires. De même, les moments hors classe comme la récréation et la cantine sont partagés avec les autres élèves de l’école.

Dans ces cas, faut-il expliciter la situation auprès des autres enfants, pour les sensibiliser à la différence ?
 
En maternelle, les éducateurs veillent à ne pas plaquer leur regard d’adulte sur des représentations d’enfants qui ne sont pas toujours excluantes, malgré leurs réactions plus spontanées.
On considère souvent que c’est au collège que les jeunes en situation de handicap prennent pleinement conscience du décalage qui les affecte et que les difficultés sociales se cristallisent. Mais c’est aussi là que les autres élèves développent des ressources empathiques et que l’attractivité du collectif se renforce pour l’enfant.

Après l’école : une « garde rapprochée » autour de la personne
 
A mesure que l’enfant grandit, le besoin de renforcer le collectif autour de la prise en compte du handicap gagne en importance. Une équipe d’éducateurs soudée et communicante permet de faire perdurer et fructifier les pratiques développées autour de ses apprentissages, ses relations sociales et son bien-être.

L’Éducation nationale met en place depuis peu des formations croisées entre enseignants et éducateurs spécialisés qui gagneraient largement à être développées, en s’implantant à échelon local et en incitant au maximum les formateurs à croiser leurs regards et leurs supports pour éviter le risque de générer deux discours parallèles sur un même temps de formation.

C’est en particulier lors des moments charnières d’une scolarité que les jeunes sont en proie à leur propre vulnérabilité : passage au collège, vœux d’affectation au lycée, recherche d’emploi… La mise en place d’un dialogue entre éducateurs est fondamentale dans ces cas précis. Un
dialogue que les parents sont fréquemment amenés à provoquer et qui
pourrait être systématisé, par un usage généralisé du Livret de parcours
inclusif. Le rôle de l’enseignant référent est à ce titre, fondamental.
 
Témoignage : ELISE, MAMAN D’UN JEUNE AUTISTE BACHELIER CETTE ANNEE
 
Mon fils Côme a été diagnostiqué très jeune d’un trouble autistique. Après avoir passé son brevet, il a été reçu dans un grand lycée, par des enseignants qui ont directement reconnu n’être pas formés à sa prise en charge.
Étonnement, cet environnement s’est révélé plus adapté pour Côme que la petite structure Montessori dans laquelle il avait réalisé l’ensemble de sa scolarité. Déjà parce qu’il était moins sollicité, plus à son aise dans un cadre plus académique qu’au collège, et dans lequel il pouvait manifester son besoin d’indépendance. Mais aussi parce que les équipes enseignantes sont entrées en contact avec nous assez vite, en toute humilité et avec bienveillance. Curieux, ils ont cherché à faire du mieux possible. Nous avons constaté que les enseignants les moins équipés étaient parfois les plus astucieux et coopératifs.

Il éprouve des difficultés à passer à l’oral, comprendre l’implicite dans les questions d’un jury, avoir des réactions sociales adaptées…

Et au terme des années lycée, les oraux des concours ont représenté un immense défi pour lui. On avait hésité à lui faire porter un badge “je suis autiste, soyez patient” à cette occasion !
Mais malgré des résultats positifs aux examens, ”l’absence de choix” s’est fait ressentir à ce stade. On ne pouvait faire autrement que nous limiter aux quelques écoles qui proposaient un dispositif d’accueil des jeunes autistes (type Aspie Friendly) et qui se situaient près de notre domicile pour qu’il puisse obtenir mon aide au quotidien.
 
Sans surprise, pour les jeunes porteurs de handicap scolarisés en milieu ordinaire, le passage au lycée et aux études supérieures est loin d’être un long fleuve tranquille.
Parmi les obstacles rencontrés dans l’orientation, il y a celui du peu de temps d’anticipation alloué aux parents, une fois l’affection connue, pour préparer la rentrée suivante. Les lieux de transition (comme avant cela le passage en 6ème) sont des moments de fragilité, où le suivi doit être plus rapproché encore.
Même si la procédure AFFELNET en fin de 3e accorde une bonification aux élèves à besoins éducatifs particuliers ou que le GEVA-sco, le livret de parcours inclusif et l’enseignant-référent (voir p.9) permettent d’assurer une continuité entre équipes éducatives, la fragilité demeure.
 
Depuis 2005, la loi donne la responsabilité au supérieur d’accueillir les élèves porteurs de handicap et de mettre en place des aménagements au-delà du bâti.
 
La croissance des effectifs de ces jeunes dans le supérieur est d’ailleurs impressionnante : de 13 à 14% par an.Pourtant, beaucoup d’entre eux choisissent par défaut une orientation en BTS car le suivi personnalisé est plus rassurant, très similaire au fonctionnement dans le secondaire.
Les deux dispositifs publics qui agissent pour améliorer les moments de transition entre école et formation sont l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
Ils encouragent les Centres de Formation en Apprentissage (CFA), les universités mais aussi certaines grandes écoles comme Sciences Po, à outiller les élèves et les étudiants de pratiques inclusives : distribuer une version écrite du cours aux élèves avant qu’ils n’y assistent, mettre en place une transcription en direct, bénéficier de l’alternance ou d’un apprentissage…
 
Le chômage touche deux fois plus les jeunes porteurs de handicap que les autres aujourd’hui.
 

Le système post-bac pour la prise en compte des jeunes handicapés est moins centralisé.
 
Pour bénéficier de ces aménagements, il n’est pas nécessaire par exemple d’avoir obtenu un dossier MDPH. En conséquence, malgré un plan national qui accorde 15 millions d’euros aux universités pour les aménagements au handicap, ces derniers sont assez hétérogènes et peu répandus au sein des établissements privés.
De fait, 98% de ces jeunes s’inscrivent en universités publiques. Par ailleurs des programmes prennent racine au sein-même des écoles et centres de formations comme Aspie Friendly, qui accompagne les élèves autistes et non autistes à l’inclusion ou la Fédé 100% Handinamique, réseau d’associations étudiantes des universités et grandes écoles pour l’entraide de jeunes handicapés.
 
Les entreprises françaises sont soumises à une obligation légale d’embauche de personnes en situation de handicap (6% de travailleurs handicapés pour des effectifs supérieurs à 20 employés). Là-aussi, l’AGEFIPH et le FIPHFP interviennent dans la prise en charge des surcoûts, l’appui à la formation et la mise en place d’un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 employés et dans les CFA.
Pour autant, le chômage touche deux fois plus les jeunes porteurs de handicap que les autres aujourd’hui, et les entreprises peinent à atteindre les 6% imposés par l’obligation légale. Le travail d’associations comme l’Arpejeh est primordial pour prolonger ces initiatives, par la mise en place par exemple du mentorat entre salariés d’entreprises et jeunes en situation de handicap.

PÉPITE ÉDUCATIVE : L’ARPEJEH
 
L’Arpejeh (Accompagner la Réalisation des Projets d’Études de Jeunes Élèves et Étudiants Handicapés) le souligne : la tendance dans le monde de l’entreprise n’est pas à payer l’amende lorsque les 6% ne sont pas atteints mais à la création de référents handicaps pour encourager l’inclusion et l’embauche. L’objectif de l’association va dans ce sens : faire en sorte que les personnes avec un handicap et le monde du travail se rencontrent plus facilement. Encore beaucoup de personnes ont une vision restreinte du handicap, encore beaucoup de jeunes ne connaissent pas l’ensemble des métiers existants.
 
Ces jeunes avec un handicap sont avant tout des jeunes, et c’est de cette manière que l’association les accompagne ou les présente aux entreprises.
 
Elle veut les aider à trouver leur place rapidement tout en étant qualifiés et préparés. C’est au travers du mentorat avec des salariés préalablement formés pour les jeunes de 18 à 30 ans, de visite en entreprise ou de coaching professionnel dès la 3ème, ou encore de forum de découverte dès la 4ème qu’elle agit. Pour mener ses actions, elle travaille avec l’Éducation nationale, de nombreux partenaires académiques, plus d’une centaine d’entreprises et un large panel d’associations.

Deuxième souffle

2005, c’était hier. Les enfants entrent à l’école à 3 ans, en moyenne ils en sortent à 21 ans. Les bambins entrés en maternelle lors du vote de la loi pour l’école inclusive achèvent donc cette année leur scolarité. C’est à cette échelle vécue qu’il faut évaluer l’effort de l’école.

À bien des égards, l’école inclusive demeure au milieu du gué : un quart des enfants porteurs de handicap mental n’ont pas fait leur rentrée en 2023. Trop d’enfants ne trouvent pas à l’école les ressources dont ils ont besoin, trop d’éducateurs s’épuisent dans des dilemmes inextricables, trop de familles restent démunies face à un cruel parcours d’obstacles.

Déjà loin du départ, encore loin de l’arrivée et le découragement peut gagner les éducateurs. Mais si les ressources manquent, ce n’est pas seulement faute de moyens, c’est aussi parce que nous ne cessons de parer au plus pressé. En 2023, seul le quart des enseignants déclare avoir bénéficié de formations sur le sujet.

Faute de temps et d’outils, les éducateurs ont fait comme ils ont pu. A l’image du sportif qui compense insensiblement une douleur, la gêne est progressivement devenue blessure, la blessure s’est enflammée et ne nous permet plus d’avancer ainsi. Peut-être est-ce au fond la réaction saine d’un organisme qui sait que quelque chose doit changer vraiment. Le deuxième souffle c’est le regain d’énergie qui survient quand l’organisme s’est adapté à l’effort. Quand il s’installe dans la durée.

Sortir de la compensation, c’est aussi remettre la relation éducative au centre. C’est redonner son rôle éducatif à l’enseignant, c’est mieux associer les éducateurs à l’école, c’est donner aux familles une vraie place dans la vie de l’école. C’est aussi et peut être d’abord faire confiance aux enfants pour qu’ils puissent jouer le rôle indispensable qui leur est dévolu dans la grande aventure éducative.

Ce n’est qu’à ce prix que l’école inclusive aura fait avancer toute l’école.

Recommandations : 5 propositions pour avancer

1. Créer un corps d’éducateurs scolaires au sein de la fonction publique territoriale rassemblant AESH, ATSEM et AED. Et doter ces éducateurs d’un plan de formation ambitieux relatif aux élèves à besoins particuliers et à la différenciation pédagogique.

2. Développer des binômes enseignant/éducateur pendant toute la durée de la scolarité obligatoire des élèves sur le modèle des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM).

3. Systématiser, sous forme de délégation de service public, le recours à des associations spécialisées afin de mieux accompagner les familles, soutenir les équipes éducatives par des actions de formation et de partage des bonnes pratiques, et mieux accompagner les transitions entre école et collège, collège et lycée, etc.

4. Favoriser la pleine participation des personnes handicapées et de leur famille à la mise en oeuvre locale du service public, notamment au travers du développement des Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

5. Déployer une politique publique d’accès à l’emploi des parents d’enfant en situation de handicap (ministère de l’emploi).