Prudemment, les candidats se sont mis d’accord pour ne pas parler d’éducation, alors que ce sera l’un des sujets essentiels de demain, argumente Guillaume Prévost, délégué général de VersLeHaut, think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation.

La campagne présidentielle a encore une fois largement ignoré le défi éducatif. Le débat d’entre-deux-tours n’a consacré que 14 minutes à l’éducation, moins qu’au port du voile ! Comment expliquer le désintérêt du débat démocratique pour un sujet aussi décisif pour son avenir ?

L’éducation et la jeunesse figurent pourtant au tout premier rang des enjeux du quinquennat qui s’ouvre. Alors que, d’après l’Insee, la France de 2030 comptera davantage de plus de 65 ans que de moins de 25 ans, les conditions d’accès des jeunes à l’emploi détermineront chaque année un peu plus le taux d’emploi, les perspectives de croissance et la cohésion sociale dans notre pays.

Au moins autant que la réforme des retraites, c’est la capacité des 15-25 ans de 2022 à innover et inventer les emplois de demain qui financera notre modèle social en 2030. Au moins autant que le soutien de court-terme au pouvoir d’achat, c’est la qualité de notre système de formation qui permettra de répondre au déclassement qui déchire le tissu social.

La question mérite donc d’être posée : pourquoi, quand vient le temps des débats, des visions et des projets, l’éducation cède-t-elle le pas au pouvoir d’achat et à l’immigration ?

Où sont les projets politiques ?

Une première raison est que les moyens ont pris le pas sur les fins. Le fonctionnement de l’outil, de l’appareil administratif occulte les missions qui lui sont assignées.

Au fond, la société ne débat pas d’éducation parce qu’elle estime que ce n’est pas son affaire. L’éducation c’est l’affaire de l’école, de son million de professeurs, de ses milliards d’euros et de son monceau de circulaires. A titre d’exemple, la réforme du baccalauréat, pourtant un des rares sujets éducatifs abordés dans cette campagne, tient en un décret de corrections éparses, en 7 arrêtés et en 5 circulaires dont aucune n’a jamais franchi les portes du Parlement.

Et pour mieux favoriser le développement des talents, pour relever le défi des compétences dans la compétition internationale, pour promouvoir la coopération à l’heure du réchauffement climatique, on repassera. En guise de vision à hauteur des enjeux, le débat présidentiel a tranché de toute sa hauteur de vue : ce sera « 30 minutes de sport » d’un côté et « retour aux filières L, ES et S » de l’autre !

« Pas de vague, mon vieux, pas de vague »

La deuxième raison est liée à la première, c’est que l’éducation c’est l’affaire des enseignants. Et qu’ils ne sont pas contents.

Et qui oserait leur donner tort alors que deux ans de pandémie ont révélé les inextricables situations dans lesquelles ils se débattent ? Quand, du handicap à l’immigration, la société ne cesse de confier ses contradictions et ses insuffisances à une école emportée par les déchirements du tissu social ?

Les candidats n’ont pas parlé d’éducation, parce qu’au fond, il n’y avait que des coups à prendre. Seuls 19 % des enseignants estiment que leur métier a une bonne image contre 56 % pour l’ensemble de la population (SNUIPP, 2022). Cet écart de perception saisissant souligne un profond malaise, dont les ressorts sont largement occultés par l’opinion publique. Comme on dit en salle des profs : « Pas de vague, mon vieux, pas de vague » !

Nos candidats s’en sont donc sagement tenus à des engagements de revalorisation suivant une loi d’airain qu’on promet d’autant plus qu’on a peu de probabilité d’arriver au pouvoir.

Et pourtant, comment envisager la revalorisation des enseignants sans clarifier leurs missions, au-delà des seules heures de classe ? Les enseignants déclarent travailler plus de 40 heures par semaine, contre 28 règlementaires en primaire et entre 14 et 18 heures au collège et au lycée. Heureux l’employeur dont les salariés travaillent entre 40 % et 180 % de plus que leurs obligations contractuelles ! Mais pourquoi sont-ils donc formés sur le temps scolaire, au prix de 20 % des absences devant élèves (Cour des comptes, 2021) ? Avant d’envisager des « missions nouvelles », il serait sage de se mettre d’accord sur les actuelles, et de les rémunérer en conséquence.

Et comment entretenir la motivation et l’implication sans parler déroulement de carrières ? Alors que les corps enseignants se sont massivement féminisés, notamment pour des raisons de conciliation avec la vie familiale, leur gestion statutaire et impersonnelle apparaît de plus en plus décalée avec les aspirations de la société. Au-delà des seuls enjeux salariaux, il apparaît au contraire urgent d’offrir des opportunités, des perspectives, ne serait-ce qu’en vue de promouvoir l’égalité professionnelle (85 % des professeurs de écoles sont des femmes d’après le bilan social 2021 du ministère).

Désenchantement des milieux populaires

Enfin, la troisième raison tient à l’iniquité de notre système éducatif, qui exclut précisément ceux qui devraient en attendre le plus. Si on parle d’éducation, c’est au sujet des filières du lycée général, qui ne concerne que 30 % d’une classe d’âge ou pour débattre du système d’affectation à Henri IV ou à Sciences Po. Qui s’intéresse aux lycées professionnels et à ses diplômés dont plus de la moitié est sans emploi au bout d’un an (DARES 2022) ?

L’éducation ne mobilise pas les classes populaires parce qu’elles n’en attendent plus grand chose, ou en tout cas bien moins que des mesures de soutien à la consommation. Ont-elles tort quand près de la moitié d’une classe d’âge étend sa peine tout au long d’un collège inadapté à ses aspirations et ses talents, avant d’être « orientée » vers des filières déclassées ? Qui peut leur donner tort de se défier d’un système qui sanctionne essentiellement la transmission dans les familles disposant d’un capital culturel qui leur est étranger ?

Alors, prudemment, les candidats se sont mis d’accord pour ne pas en parler. Dépourvus de cap clair, la prudence leur tient de boussole sur l’océan incertain de l’éducation. Faut-il leur donner tort ?

Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut,
Le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation

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