Les fracas de la guerre à nos portes ne doivent pas détourner le débat démocratique du défi éducatif. Au contraire, l’actualité souligne à quel point la question des compétences est au cœur de notre souveraineté.

A 6 jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’actualité internationale ne doit pas nous détourner de la nécessaire transformation de notre système éducatif. La recrudescence de la compétition économique et des tensions internationales doit au contraire nous convaincre davantage de l’urgence d’asseoir les transformations de notre société sur un espace d’éducation et de formation ouvert et performant.

Quand M. Poutine agite la menace de représailles nucléaires, mesure-t-on que la crédibilité de notre dissuasion repose sur la capacité de la Marine nationale à recruter à niveau baccalauréat et à former des jeunes atomiciens pour piloter les réacteurs nucléaires de nos sous-marins ? Que le développement des technologies d’interception missiles est en passe de remettre en cause l’équilibre géopolitique connu sous l’inquiétante expression de « destruction mutuelle assurée » ?

Cette situation nous oblige à regarder la réalité en face et à prendre les mesures qui s’imposent. La réindustrialisation dont on nous rebat sans cesse les oreilles reste conditionnée à la capacité de nos entreprises à recruter, former et fidéliser des techniciens capables de mettre en œuvre et d’entretenir des chaines de production automatisées.

Alors que les Européens se demandent comment traverser l’hiver sans gaz russe aux brûleurs des terrasses de cafés, faut-il rappeler que le chantier de Flamanville accueille depuis 2007, dans plus de 200 bungalows du « Camping de la plage », les travailleurs venus de Roumanie ou du Portugal, faute de personnels qualifiés en France pour construire les complexes tuyauteries et les vastes œuvres de bétons contraints qui forment le squelette et les artères d’une réacteur à eau pressurisée ?

Tandis que le public se passionne pour l’accès aux grandes écoles, qui ne concerne qu’au plus 1 élève sur 10, 9 s’évertuent à éviter les pièges d’un système de sélection par l’échec, dont près de 2 sortiront sans qualification, durablement affectée dans leur confiance en eux et dans la société. Étrange passion française pour l’algorithme de sélection des grands lycées parisiens, qui concerne au mieux 300 élèves par an, tandis que 300.000 sont orientés vers des lycées professionnels déclassés et inadaptés au marché du travail.

Changer l’éducation, c’est d’abord donner à la France les moyens de sa compétitivité et de sa souveraineté dans un monde qui ne l’attend pas et qui ne partage pas forcément notre passion pour les privilèges, les statuts et les castes. Les enjeux sont pourtant désormais bien identifiés, notamment grâce au développement des évaluations et des comparaisons internationales.

Ils consistent à mieux accompagner l’ensemble des jeunes dans leur parcours personnel et professionnel, au cours d’un cycle qui va de la fin du collège à l’emploi. Ils consistent à s’assurer de l’acquisition préalable des fondamentaux nécessaires, disciplinaires bien sûr, lire, écrire, compter, mais aussi en termes de comportements, de compétences relationnelles et d’aptitudes à la coopération.

De ce point de vue, une réforme courageuse du collège apparaît incontournable afin de renforcer la cohérence et la continuité de l’ensemble de la scolarité obligatoire et de mieux prendre en compte la diversité des profils et des compétences.

Ces réformes sont profondes et doivent également s’attacher à mieux valoriser des enseignants épuisés par la crise sanitaire et dont l’engagement est ébranlé par la succession des injonctions et une absurde verticalité institutionnelle. Elles doivent également s’appuyer sur une plus grande attention aux apprentissages hors de la classe, notamment au développement pour tous des activités sportives, artistiques et culturelles.

Elles doivent également mieux associer les collectivités territoriales, dont la légitimité et les compétences sont désormais incontournables, comme l’a montré la quasi-extinction de la réforme des rythmes scolaires. « Il faut tout un village pour éduquer un enfant » et leur rôle est déterminant mieux associer au défi éducatif l’ensemble du tissu social : familles, associations et entreprises.

Cette exigence partenariale, clé de l’éducation du 21ème siècle, implique également de mieux s’accorder sur le cadre de notre politique éducative, à niveau législatif voire constitutionnel. La réforme du baccalauréat, portée par un décret de corrections éparses du Code de l’éducation et par un tombereau de circulaires, illustre l’impérieuse nécessité que la société se réapproprie les valeurs et les principes qui guident sa politique éducative.

L’histoire à nos portes nous rappelle que « les gouvernements libres ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil » (Royer-Collard) et que notre avenir se construit dès à présent. Notre démocratie doit se ressaisir du défi éducatif et transformer un système à bout de souffle. C’est à ce prix seulement qu’elle pourra assurer son indépendance et sa souveraineté au milieu des immenses incertitudes de notre temps.

Guillaume Prévost est Délégué général de VersLeHaut,
Le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation

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