Au-delà du coup politique, la nomination de Pap Ndiaye permettra-t-elle de redonner sa dimension sociétale au défi éducatif ? Ou, au contraire, s’enlisant dans de vaines querelles idéologiques, sera-t-il à son tour aspiré par les rouages d’une machine désorientée par les injonctions successives ?

En nommant Pap Ndiaye à la tête de la vénérable maison qui chapeaute les 50.000 écoles, le million d’enseignants et les 12 millions d’élèves de notre pays, le Président de la République peut se targuer d’une première victoire : la surprise. A quelles conditions pourra-t-il prolonger cet incontestable effet tactique et insuffler durablement un nouveau souffle à un système éducatif épuisé par les postures et laminé par la succession des crises ?

Heurs et malheurs de l’école de la confiance

Le mandat de son prédécesseur s’était ouvert avec une promesse, celle du bon sens. Dans les premiers pas de son mandat, M. Blanquer a eu l’immense mérite de donner à son expertise une vraie dimension politique en affichant son intention de rompre avec les postures et les dogmatismes. 5 ans plus tard, aspiré par les rouages d’une machine dont les la crise sanitaire a cruellement souligné les dysfonctionnements, il n’a malheureusement pas su convaincre que le « Mammouth » était devenu ce « peuple de colibris » qu’il promouvait brillamment au temps de ses succès.

Le nouveau ministre dispose à son tour de beaucoup d’atouts pour relever cette ambition et porter « le nouveau pacte éducatif » promu par le Président de la République. Intellectuel engagé, défenseur d’une diversité trop souvent ignorée par notre tradition universaliste, il aura sans aucun doute à cœur d’incarner le renouvellement d’une promesse républicaine dont l’abattement ne cesse de déchirer plus profondément le tissu national.

Le défi éducatif, au-delà de l’Education nationale

Son hommage, à l’occasion de sa prise de fonctions, au Service national universel est un premier signe de cette volonté de démocratisation. Universitaire reconnu, figure d’une société civile soucieuse d’ouverture et de diversité, il peut insuffler le virage sociétal esquissé par M. Macron pendant sa campagne. La réforme du collège et celle du lycée professionnel constituent autant de sujets qui peuvent lui permettre d’incarner une école soucieuse du développement de chaque personne, de révéler les talents et de promouvoir des modèles de réussites variés.

De ce point de vue, s’il est un enseignement déterminant des précédents mandats, c’est qu’on ne relèvera pas l’immense défi éducatif à coup de circulaires. C’est d’une vision qu’il est besoin. M. Ndiaye peut-il être l’homme d’une ambition éducative élargie à l’ensemble de la société, ouverte aux mouvements du monde, à l’échelle d’un défi éducatif conçu au-delà des difficultés de l’Education nationale ?

S’il est le ministre d’une société mobilisée pour tous ses enfants, fondée sur des alliances et des partenariats, en premier lieu avec les familles trop souvent laissées à la porte de l’école, alors on pourra dire qu’il aura tiré les leçons de ses prédécesseurs. S’il s’attache à renouer la confiance avec les collectivités, à donner d’emblée des signes de sa volonté de s’appuyer sur les énergies et les initiatives locales, on pourra dire qu’il n’aura pas versé dans l’illusion du dirigisme sur lequel se sont inlassablement échouées les meilleures volontés.

L’illusion de la verticalité du pouvoir

Et, au contraire, s’il cédait aux sirènes trompeuses de la verticalité du pouvoir, s’il retombait dans l’illusion qu’on peut inlassablement refaire à neuf écoles, classes et élèves à chaque nouveau mandat, alors son temps serait malheureusement déjà compté. S’il engage son énergie et son crédit dans les conflits éculés de l’égalité et de la méritocratie, dans l’inénarrable querelle des anciens et des modernes, des républicains et des démocrates, alors l’effet de surprise se dissipera vite.

Souhaitons au contraire à M. Ndiaye de redonner un cap clair au navire amiral dont il vient de prendre la tête. Souhaitons-lui de garder la tête dehors, tournée vers son environnement complexe et foisonnant plutôt que vers l’inextricable machine qui compose ses ponts et ses coursives. Souhaitons-lui de porter son regard aussi loin que possible sur l’immense océan de l’éducation sur laquelle notre pays joue une partie décisive de son avenir. Et souhaitons-lui de se rappeler sans cesse qu’on ne gouverne pas un paquebot comme un hors-bord, sauf à casser rapidement son gouvernail.

Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut,
Le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation

Lire la tribune de G. Prévost dans les Echos