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Alors que l’armée russe envahit l’Ukraine et que plus de deux millions de réfugiés ont déjà fui le pays d’après l’ONU, l’Europe a les yeux rivés vers son extrémité Est. Les femmes et les enfants représentent une grande partie des migrants. Il se pose alors la question du maintien de l’éducation des jeunes en déroute mais aussi des élèves restant dans le pays en guerre. Dans les pays en proie aux violences armées, l’éducation est affectée de manière durable et la question est de savoir comment la rétablir pendant et après la fin des conflits.

S’instruire en mouvement : migrer mais garantir l’accès à l’éducation

Parmi de nombreuses populations déplacées, une personne sur trois est en âge d’être scolarisée d’après l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La question migratoire ne peut donc être évoquée sans celle de l’éducation. Ainsi, le rapport Éducation & immigration publié le 16 février 2021 par VersLeHaut, souligne la nécessité d’un investissement éducatif important pour intégrer les migrants au sein du pays d’accueil.

Les situations d’urgence présentent un certain nombre de menaces pour la sécurité, la santé mentale et physique et le développement des enfants. Ils sont soumis à d’importantes sources de stress dues en particulier aux craintes liées à la guerre. Les souffrances sont multiples après une exposition de près ou de loin aux violences du conflit, de déplacement forcé, de l’installation précaire et lors du retour éventuel. Ces situations exposent les enfants à plusieurs risques cumulatifs pour leur développement physique, émotionnel et social. La violence domestique et le stress parental, les pressions économiques et l’enfermement dans le foyer, fréquents en cas de conflit et de crise humanitaire, contribuent également à la détresse des enfants.

Les enfants sont forcés de fuir leur foyer et sont entassés dans des camps de personnes déplacées comme Tatiana une jeune fille ukrainienne, dont l’UNICEF a dressé un portrait, qui se retrouve dans un centre de réfugiés temporaire près du point de passage de Palanca, à la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine. Le système de scolarisation doit être mis en place dès que possible afin de recréer un climat de confiance au sein des familles. Cela permet alors d’assurer une certaine stabilité et de préparer un retour aux relations normales au sein de la communauté une fois terminée la situation d’urgence. En effet, les jeunes ukrainiens fuyant la guerre doivent retrouver une atmosphère apaisée grâce à un retour à l’école. En somme plus l’enfant est en dehors de l’école, plus il sera affecté par le climat de violence.

Les enfants réfugiés peuvent parfois fréquenter les écoles ordinaires des pays d’accueil, comme le prévoit le droit international, mais dans les faits, très peu en ont la possibilité. Certains gouvernements hôtes refusent de mettre à disposition – ou d’autoriser les agences internationales à mettre à disposition – des activités éducatives pour les réfugiés. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la protection des enfants pendant la période de déplacement et des premières violences, mais bien un processus de guérison générationnel à long terme.

Il arrive que les pays hôtes ne soient pas habitués à recevoir des réfugiés, comme, en ce moment, la Pologne, qui accueille largement plus d’un million de migrants ukrainiens depuis le début du conflit. Dans ce genre de cas, il est nécessaire de créer des structures d’éducation dans un premier temps dans les camps d’accueil puis d’intégrer les élèves au système éducatif local. L’intégration passe par l’apprentissage de la langue et de la culture du pays d’accueil afin de redonner des repères à l’enfant et à sa famille. Le passeport éducatif, partenariat mondial entre l’UNICEF et Microsoft, vise à aider les enfants à poursuivre leur apprentissage en leur donnant accès à une éducation de qualité. Cette plateforme numérique personnalisée propose aux élèves un programme d’enseignement interactif. Elle comprend des leçons adaptatives ainsi que du matériel d’apprentissage. Au Liban, l’UNICEF utilise cette innovation pédagogique pour favoriser l’insertion des jeunes au sein de l’éducation nationale. C’est une piste intéressante pour assurer la continuité éducative des enfants, malgré les circonstances extrêmes dans lesquelles ils sont placés.

Continuer l’école pendant le conflit

Au-delà des ressources de première nécessité, l’article 28 (1) de la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée et ratifiée par l’Assemblée générale de l’ONU, définit le droit de chaque enfant à l’éducation. Cette convention, largement adoptée dans le droit international à ce jour, donne aux enfants un accès à la scolarité même en période de conflit. Ainsi, les efforts d’aide dans les crises humanitaires sont traditionnellement associés à un soulagement à court terme, par l’envoi de fourniture d’eau et de nourriture, d’abris. En présentant l’éducation comme une préoccupation humanitaire nouvelle et légitime, les défenseurs soulignent le rôle crucial de l’éducation dans l’atténuation des conséquences psychosociales des conflits et dans le renforcement du développement de la paix. Si à l’Est de l’Ukraine l’éducation n’est plus une priorité à cause de la proximité des violences en cours, l’école est maintenue dans l’extrémité ouest du pays comme à Lviv encore à l’abri de la menace russe.

Néanmoins, au cours des deux dernières décennies, la nécessité d’une assistance éducative dans les crises humanitaires est de plus en plus soulignée en tant que « quatrième pilier de l’aide humanitaire », ou ce que l’on appelle aujourd’hui « l’éducation dans les situations d’urgence ». En présentant l’éducation comme une préoccupation humanitaire nouvelle et légitime, les défenseurs de cette approche soulignent le rôle crucial de l’éducation à la fois dans l’atténuation des conséquences psychosociales pendant les conflits mais aussi à plus à long terme après la guerre.

En cas de conflit, l’approvisionnement et le soutien logistique sont essentiels pour planifier une éducation de qualité. D’après l’UNICEF le conflit en Ukraine représente une menace immédiate et croissante pour la vie et le bien-être des 7,5 millions d’enfants du pays. Les besoins humanitaires et donc éducatifs se multiplient d’heure en heure alors que les combats s’intensifient. En effet, un enfant ne peut pas apprendre à écrire si le matériel d’écriture de base n’est pas fourni à temps. La mise en place pratique d’environnements protecteurs est impérative dans les crises afin de répondre aux besoins particuliers créés par les déplacements, les conflits localisés et le chaos ambiant.

La question de la durée se pose également : comment faire cohabiter les besoins de très court terme, comme créer des espaces d’éducation, de joie, de partage avec des spécialistes psychosociaux et les besoins d’intégration de plus long terme dans un nouveau lieu ? L’équilibre est difficile à tenir entre les deux temporalités, ce qui implique un arbitrage entre le maintien dans le système antérieur et une projection dans le futur, si la crise s’installe pour plusieurs années, avec pour horizon l’intégration durable dans le pays d’accueil.

Reconstruire l’école après la guerre

Après une dizaine de jours de conflits, 2 millions de réfugiés ont fui l’Ukraine principalement vers cinq pays voisins dont la Pologne. Les réfugiés qui traversent sont à l’abri de la violence, mais aucun n’a été épargné par les pertes et les traumatismes psychologiques. Derrière les statistiques se cachent deux millions d’histoires de séparation, d’angoisse et de perte. Un travail thérapeutique doit être mis en place afin de restaurer un sentiment de sécurité. L’école est l’institution fondamentale contrecarrant la culture de guerre, favorisant une guérison et libérant la parole.

L’éducation dans les situations d’urgence complexes et de post-crise devrait offrir aux enfants et aux jeunes l’espoir de devenir des citoyens actifs dans une future société pacifique qui exige de nouvelles compétences en matière de convivialité.  Par exemple, la participation et la fréquentation scolaire peuvent protéger les enfants contre le recrutement dans les forces armées et contre les risques liés aux conflits tels que la violence sexiste, le recrutement dans les forces et groupes armés, la traite, le travail des enfants et le mariage précoce.

Enfin de nombreux projets de recherche interdisciplinaires se concentrent sur les liens potentiels entre l’art et le bien-être. Ces travaux comme “Arts education in emergency” ou bien “What works to promote children’s education” visent à démontrer les effets bénéfiques de l’éducation artistique sur le développement et le bien-être des jeunes. En particulier, ils soulignent que l’éducation artistique investie dans les processus d’apprentissage est structurellement différente de l’éducation traditionnelle. L’art répond de manière transversale aux quatre occupations de l’enfance : conversation, recherche, la fabrication d’objets et l’expression artistique. Ainsi, le développement de ces capacités psychomotrices est largement bénéfique et assure l’épanouissement de l’enfant dans son ensemble par la formation d’un citoyen doté d’un sens aigu de la responsabilité sociale.

Le Rwanda, frappé par un génocide opposant les deux ethnies principales du pays, Tutsi et Hutu, connaît aujourd’hui grâce aux tribunaux populaires gacaca un rétablissement de l’unité et de la confiance parmi les Rwandais, et la réaffirmation de leur capacité à trouver leurs propres réponses à des questions apparemment insolubles. La création d’un lien social entre les futurs adultes grâce à cette innovation est le terreau favorable à une paix durable. Afin d’espérer une relation apaisée après la fin du conflit russo-ukrainien, un travail de rapprochement des romans nationaux russes et ukrainiens diamétralement opposés, doit aussi s’effectuer. Paix et éducation étant intrinsèquement liés.

 

 

Oscar Leroy
Chargé d’études

Références

Albane Buriel, Sylvie Morais, Monique Loquet (2019), “Arts education in emergency humanitarian aid: educational issues with young people living in camps in conflict areas in the Middle East”, In-SEA Seminar Art Education: Conflicts and Connections, La Valette, Malta

Dana Burde, Ozen Guven, Jo Kelcey, Heddy Lahmann, Khaled Al-Abbadi (2015), “What Works to Promote Children’s Educational Access, Quality of Learning, and Wellbeing in Crisis-Affected Contexts”, Inter-agency Network for Education in Emergencies, Department for International Development

Indra Versmesse, Ilse Derluyn, Jan Masschelein & Lucia De Haene (2017), “After conflict comes education? Reflections on the representations of emergencies in ‘Education in Emergencies’”, Comparative Education, vol. 53, n°4, pp. 538-557.

UNICEF (2022), “UNICEF Geneva Palais briefing note on the situation of children in Ukraine and neighbouring countries”, unicef.org

UNICEF (2022), “Lebanon: The Learning Passport and non-formal education for vulnerable children and youth”, Education Case Study, unicef.org