« Engagez-vous » : les jeunes inégalement armés pour répondre à l’invitation

Les dispositifs d’engagement rencontrent un franc succès auprès des jeunes. Au-delà d’une dimension militante, la démarche leur ouvre également des perspectives d’insertion professionnelle et d’acquisition de compétences valorisées par les entreprises. Raison de plus pour s’interroger sur l’universalité de ces dispositifs et les possibilités réelles d’accès pour les plus vulnérables.

Le débat sur l’égalité des chances se focalise sans doute trop exclusivement sur le parcours académique des jeunes. Les dispositifs d’engagement – ensemble d’initiatives destinées à promouvoir leur participation à la vie citoyenne et démocratique – méritent également d’être sondés pour déterminer dans quelle mesure ils permettent d’offrir à tous des trajectoires répondant au mieux à leurs aspirations et besoins d’inclusion sociale.

La fin du Service national et l’avènement du Service civique ont marqué le début d’une nouvelle ère pour l’engagement des jeunes qui se matérialise aujourd’hui par un ensemble disparate de dispositifs et d’actions englobant tout le spectre socio-culturel, du Parcours civique de Sciences Po aux EPIDE. La récente création du Contrat d’engagement jeune traduit également une extension vers l’univers professionnel.

Cet emballement souligne donc la nébulosité du concept. Et puisque « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », le think-tank VersLeHaut a choisi de se pencher sur les modalités et les significations de cet engagement « nouvelle génération » en sondant le point de vue des jeunes, de leurs parents et des dirigeants d’entreprise, dans son baromètre Jeunesse&Confiance, publié tous les ans depuis 2016 en partenariat avec l’institut Opinionway (les données chiffrées ci-dessous en sont extraites).

Dans un contexte de montée des inquiétudes vis-à-vis de l’avenir, la notion d’engagement révèle un déplacement singulier. S’ils se disent préoccupés par des enjeux globaux – climatiques, migratoires, économiques, sanitaires – les jeunes plébiscitent un « pouvoir d’agir » et de changer les choses dans leur environnement quotidien : famille, école et sport, notamment.

Face aux difficultés, c’est d’ailleurs au plus près que les jeunes recherchent un appui. En premier lieu sur leur famille, à une écrasante majorité (88 %). D’où une réelle corrélation entre soutien familial et confiance dans l’avenir : les jeunes qui disent pouvoir compter sur leur famille sont plus optimistes que la moyenne (+ 6 points).

Ce recours premier aux ressources de proximité accentue les difficultés de ceux qui n’en disposent pas ou peu. Les appréhensions à l’égard de l’avenir sont ainsi largement liées aux difficultés d’accès à un environnement sécurisant : offres de soins, opportunités culturelles, etc. Les études supérieures jouent à ce titre un rôle discriminant : les diplômés de bac +2 ou davantage sont 77 % à être optimistes pour leur avenir, contre 60 % des titulaires d’un CAP.

Une frange « pessimiste » de la jeunesse cumulerait donc toutes les difficultés : à l’écart des grandes villes et des parcours valorisés, en panne d’insertion professionnelle, pouvant peu compter sur un soutien familial, éloignée des ressources essentielles pour construire l’avenir.

Dans ce contexte, l’aspect militant de l’engagement doit être nuancé. S’insérer dans un tissu relationnel, construire un réseau sur lequel s’appuyer pour son parcours, sont autant de motivations supplémentaires pour sauter le pas. La frontière entre insertion et engagement peut alors se révéler ténue ce qui n’est pas sans provoquer un déplacement de notre regard sur les possibilités ouvertes aux jeunes dans ce domaine.

D’autant que l’expérience de l’engagement contribue à développer des compétences, telles la confiance en soi et le sens du travail en équipe, fortement valorisées dans le monde professionnel mais souvent moins considérées dans les cadres d’apprentissage classiques – école, université. L’engagement peut donc s’inscrire dans la continuité et la complémentarité des parcours d’apprentissage formel.

Les dirigeants d’entreprises ne s’y trompent pas : une majorité identifie l’engagement bénévole comme une ressource pour le développement de compétences ajustées aux besoins des entreprises. C’est d’autant plus intéressant qu’ils ne sont que 20 % à considérer que l’enseignement reçu à l’école est adapté aux réalités du monde du travail.

Dans ce contexte, l’engagement est-il en passe de devenir une figure obligée des parcours éducatifs, à l’instar des pratiques des universités américaines ? Pour un système éducatif français qui reste très centré sur l’école et les savoirs fondamentaux, la diversification des apprentissages constitue une tendance intéressante.

Cependant, le risque existe d’une normalisation par le haut, qui verrait l’enseignement supérieur imposer ses canons aux jeunes les plus en difficultés, ceux qui ne disposent justement pas des ressources – motivation, information, encadrement, soutien familial – pour « s’engager ».

Par ailleurs, tous les jeunes ne s’engagent pas de la même manière, ni sur les mêmes sujets. A côté des démarches socialement valorisées, source de distinction, il ne faut pas occulter l’action invisible de jeunes aidants familiaux, par exemple, qui remplissent un rôle essentiel mais difficile à mettre en lumière.

Il est donc essentiel que les institutions publiques mesurent les opportunités mais aussi les limites que recouvrent les évolutions de l’engagement, pour ne laisser personne sur le bord du chemin. C’est dès l’école que les jeunes doivent pouvoir identifier des possibilités de participation à la vie citoyenne, pleinement inscrites dans leur parcours de formation, mais aussi d’accompagnement pour ceux qui, pour mille et une raisons, ne peuvent s’appuyer sur leur environnement immédiat. Ce n’est qu’à cette condition que l’école pourra tenir la promesse républicaine et devenir le « réseau de ceux qui n’en ont pas ».

Stephan Lipiansky, Chef de projet alliances éducatives de VersLeHaut,
le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation