Classements et milieu social prendraient trop de place… en classe 

Le temps, la pratique, la persévérance sont les premiers facteurs d’apprentissage chez l’enfant, leviers bien plus influents à long terme que les prédispositions intellectuelles. C’est pourtant loin d’être acquis chez la plupart des élèves, en témoigne le combat quotidien des enseignants  face à ce type d’affirmations : « J’y vais au talent », « Je ne serai jamais bon en chimie, je ne suis pas doué, c’est tout ».  

Les élèves s’auto-déterminent et se résignent. Si l’on admet facilement que leur confiance en eux, ou le regard que leur portent leurs parents, jouent un rôle important dans cette fabrique de performance ou d’auto-censure, est-ce aussi le cas de leur classe sociale, et de la conscience plus ou moins construite ou pressentie qu’ils en ont ?  

C’est ce que s’attache à prouver par l’affirmative le chercheur à l’Université de Poitier Sébastien Goudeau, intervenu mercredi dernier lors de la conférence de consensus sur l’évaluation au Centre National d’Etude des Systèmes Scolaires (CNESCO). En mettant en lumière quatre études marquantes réalisées auprès de groupes d’enfants, il illustre les axes de cette recherche. 

L’influence des stéréotypes de genre et de classe sur la note 

Pour répondre à cette interrogation, le chercheur réalise un premier test au sein d’un groupe d’élèves : dans un contexte affirmé comme « évaluatif » : La note est prise en compte dans le bilan de l’élève. Or, on constate que les enfants issus de classes populaires réussissent moins bien l’évaluation.  


Si au sein du même groupe et pour la même épreuve, le test est présenté aux élèves comme « formatif » (la note n’a pas d’importance, c’est le raisonnement qui est ici observé), cette mesure ne se vérifie plus. Au contraire, le ratio est légèrement inversé en faveur des élèves issus des milieux populaires. 

Ainsi, la « pression évaluative » perturbe la performance, et l’oriente dans le sens de la reproduction des stéréotypes sociaux : dans un cadre évaluatif, des élèves de classes populaires réussissent moins bien. 
 
Sans surprise, les stéréotypes de genre jouent également sur la performance : une autre étude voit un groupe d’élèves recopier une figure géométrique à l’identique, selon la consigne. Dans le cas d’une épreuve dite de géométrie, les garçons présenteront de meilleurs résultats ; les filles surperformeront au contraire si l’on présente ce même exercice comme relevant … de l’art plastique.  

Conclusion : la construction de l’évaluation est aussi importante que son contexte. Ce constat amène à la question fondamentale suivante : pourquoi évaluer ? 

Le stress de la comparaison sociale : coûteux pour le raisonnement 

L’émulation et la compétition sont loin d’être neutres en termes de conséquence sur l’efficacité des apprentissages. Intuitivement, on présume qu’elles provoquent, en fonction des personnalités, stimulation ou nervosité, bénéfices ou blocages.  

Interrogés, les élèves penchent de toute façon du côté de la compétition, ou du moins de la comparaison de leur performance : par un classement sur le bulletin, ou une moyenne chiffrée – raison pour laquelle le principe de la classe sans notes est très peu populaire auprès des collégiens.  

A l’inverse, les études tendent à montrer que la comparaison sociale génère un stress, toujours nocif – un postulat qui va à contre-courant de l’idée qu’il existe un « bon » ou un « mauvais » stress. La situation ici observée se retrouve, à peu de choses près, illustrée par le long-métrage « L’école est à nous » d’Alexandre Castagnetti (octobre 2022), mettant en scène les pratiques iconoclastes d’une enseignante qui s’interroge sur le vrai objectif de ses cours.  

Dans une scène du film, on comprend que la classe est sans le savoir constituée d’un groupe d’élèves « avantagés » (ils se sont davantage entraînés à l’évaluation), et d’un groupe « désavantagé » face à une épreuve qui les met, par son contenu, sur un pied d’égalité. 

On compare les effets d’un changement de contexte : si l’on a demandé aux élèves de lever la main lorsqu’ils ont terminé l’épreuve, faisant apparaître publiquement leur performance, les résultats de l’ensemble sont négativement impactés. Si les élèves ont rendu leur copie tous en même temps, sans donner une idée de leur temps de travail, la classe en bénéficie. En effet dans le premier cas, la panique s’est répandue chez ceux qui n’ont pas la même aisance dans l’épreuve : ils s’en trouvent déstabilisés, et leurs résultats en pâtissent. En contrepartie, ils réalisent qu’ils ne sont pas seuls maîtres de leurs résultats, qu’un contexte sécurisant facilite largement. 

Prendre, demander garder la parole : une question de positionnement social dès  tout petit 

On réalise à quel point, dès la maternelle, la performance des élèves est perméable à la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur catégorie sociale, constituée de mille signaux inconscients.  

L’observation des interactions informelles chez les tout petits fait apparaître une corrélation entre leur milieu d’origine et 4 facteurs :  

  • la fréquence de leurs prises de parole au sein d’un groupe ; 
  • leur propension à couper la parole aux autres 
  • la durée de leur prise de parole mais aussi  
  • la fréquence des interactions provoquées par les instituteurs.  

Triste réalité, constitutive du déterminisme social désormais affiché comme spécialité française : le sentiment d’être socialement ou culturellement défavorisé est si prégnant chez les jeunes enfants qu’il joue non seulement sur leur performance de manière négative, mais induit aussi les éducateurs à l’assimiler puisqu’ils interrogent statistiquement moins les élèves issus des classes populaires. 

En interrogeant les élèves de maternelle sur leur vision de l’intelligence, Sébastien Godeau affirme qu’à cet âge-là, il est évident que « plus on parle, plus on est intelligent ».  

La boucle est bouclée. 

 
Recommandations de VersLeHaut :  

  • En tant qu’éducateur, prendre le temps d’aborder en profondeur, auprès des enfants la notion d’intelligence et de réussite. On ne soupçonne pas les préjugés que l’on peut se forger au plus jeune âge. 
  • En tant qu’enseignant, toujours réfléchir à l’échelle de la société, et non de la classe – ne jamais sous-estimer l’importance du contexte.  
  • Dans une classe : pourquoi ne pas essayer de constituer des groupes d’élèves homogènes en fonction de leur facilité à prendre la parole ? 

Retrouvez les études de VersLeHaut sur le sujet :  

L’école à la recherche d’un nouveau souffle

Éducation & Immigration : arrêtons le gâchis pour réussir ensemble

Pour aller plus loin, un ouvrage de W.Lignier et J.Pagis, L’Enfance de l’ordre, revient sur les perceptions des différences sociales par les enfants. 

Camille De Foucauld

Cheffe de projet chez VersLeHaut