La musique est l’objet culturel favori des jeunes français, et sa création ne cesse de s’ouvrir et de changer. Ce terrain, connu des éducateurs et des spécialistes comme une clef majeure du développement des enfants, est pourtant encore orphelin d’une politique ambitieuse mêlant musique et éducation.

La dernière note de la France Music Week s’est jouée samedi dernier. A l’issue de ce nouveau pari de diplomatie culturelle, la musique revient au cœur des ambitions de notre politique culturelle, avec notamment l’annonce d’un plan de financement de 500 millions d’euros de 2025 à 2030 pour la filière. Sans doute une bonne occasion pour remettre en lumière les enjeux éducatifs portés par les habitudes culturelles et la pratique musicale des jeunes.

Un contexte de transformation des usages

Comme l’a rappelé la ministre de la culture à l’ouverture de cet événement de promotion de la filière musicale française, le rap français s’exporte (très) bien : il est le premier produit de l’industrie nationale, domestiquement comme à l’export. Celui-ci est pourtant apparu à la fin des années 80 comme une partition subversive, jouée par son berceau de classes populaires souvent issues de l’immigration, et faite d’un verbe critique des institutions. Mais depuis IAM et les premiers albums de MC Solaar, le genre a dépassé les positions de ses pionniers. Et si il fut un haut-lieu d’éducation populaire et une contre-culture dont la voix a porté, le rap français est à présent également un objet de consommation de masse. Ainsi, certaines des productions les plus en vue véhiculent les valeurs du star-system que sont le consumérisme, l’accumulation et l’individualisme forcené auprès d’une jeunesse en quête de repères et d’idéaux.

Cette transformation a lieu en même temps que grandit l’ouverture culturelle des classes supérieures, qui perturbe le ton de la théorie de la légitimité culturelle bourdieusienne : si autrefois musique populaire et musique savante étaient des objets de distinction de classe, la même pop américaine et le même rap français ont su conquérir les jeunes de tous milieux. Dans le même temps, la massification de l’accès à l’écoute et à la création se poursuit grâce aux plateformes de streaming et aux outils numériques. La découverte musicale des jeunes se conjugue aux algorithmes, réseaux sociaux et playlists tandis que la radio n’en finit pas de perdre son souffle.

La musique, terrain d’éducation

“Ce concert, ça adoucit la vie… Les enfants de l’IME étaient bien, dans leur élément. Merci.” Témoignage d’une mère sur un concert par Les Concerts de Poche.

La musique a pleinement sa place dans le parcours éducatif de l’enfant. Dans l’intérêt d’abord des apprentissages fondamentaux : notre rapport de 2021, “L’éducation, tout un art !”, exposait que la proximité avec la musique pour les enfants, de l’écoute inspirante jusqu’à la pratique régulière, porte des vertus pédagogiques. La recherche en a identifié de longue date les bienfaits : cognitifs  (QI, mémoire, langage, mathématiques), socio‑émotionnels  (estime de soi, esprit de groupe, inclusion) et motivationnels (plaisir, engagement, autonomie) . 

Les recherches de Barbara Tillmann, spécialiste en neurosciences au CNRS, y témoignent : “[…] le langage et la musique partagent beaucoup de caractéristiques dans leur traitement : la hauteur, le timbre, la dimension temporelle. Ainsi, les ressources neuronales sont partagées pour le traitement de la musique et celui du langage, et la pratique de la musique peut faciliter le traitement du langage.”

 “le langage et la musique partagent beaucoup de caractéristiques dans leur traitement : la hauteur, le timbre, la dimension temporelle. Ainsi, les ressources neuronales sont partagées pour le traitement de la musique et celui du langage, et la pratique de la musique peut faciliter le traitement du langage.”

Barbara Tillmann, spécialiste en neurosciences au CNRS

Sur le terrain aussi, nous mettions en lumière des initiatives vertueuses. Ainsi, le dispositif “Un violon dans mon école” porté par la Fondation Vareille a montré des résultats marquants, puisque les petits violonistes obtenaient des résultats deux fois meilleurs que ceux des non-violonistes lors de tests de vocabulaire et de syntaxe. Preuve que la pratique musicale peut participer pleinement à enrayer des difficultés scolaires précoces susceptibles de muer en déficits et décrochages.

Quand musique rime avec éducation au numérique

L’industrie musicale prend aujourd’hui un virage numérique bien identifié, tant du point de vue de la création, que de la promotion ou de la distribution. Cette proximité ouvre également une opportunité pour se saisir des enjeux technologiques par le biais de l’approche musicale. Ainsi, l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique), rattaché au Centre Pompidou, développe des ateliers d’initiation numérique et au son à destination des classes en région parisienne. 

De 6 à 18 ans, les jeunes y explorent l’intelligence artificielle appliquée au son, ateliers de sound-design et de lutherie numérique, découverte du binaural et des environnements immersifs, codage sonore interactif, etc. Et leur objectif ? “Intégrer et décoder les mutations technologiques et culturelles de la société, pour éclairer l’alliance entre créativité et automatisation, et se réapproprier le compagnonnage humain-machine.”1 Complétés d’enseignements sur le streaming et la manipulation consciente de l’algorithme des plateformes, en classe de Technologie par exemple,

Ce parcours marquerait le temps d’une éducation tournée vers les pratiques culturelles des jeunes, qui souhaite faire émerger de nouveaux talents, mais d’abord répondre à leurs besoins, alors que à l’ère de la musique numérisée, les mécanismes de distinction sociale se sont déplacés du “quoi” au “comment”.2

Des ponts entre culture populaire et savoirs 

Et si on prenait au sérieux le mot d’ordre du Ministère A.M.E.R., groupe pionnier du rap français : “Le savoir est une arme, et je sors toujours armé” ? Donner aux jeunes des outils pour préparer l’avenir peut se faire en prenant appui sur leur attrait pour les musiques populaires et leurs textes évocateurs. 

De nombreuses expériences d’usage du rap (et autres chansons contemporaines) en salles de classe, en proposant explications et mises en perspectives, sont la preuve que donner une vraie place à la culture déjà acquise des jeunes est un levier puissant pour guider leurs apprentissages sur des sujets complexes tels que le travail, l’argent ou le métissage. Un exemple frappant : le projet Hip Hop Citoyens propose depuis 20 ans en Île-de-France des ateliers d’écriture rap, accompagnés d’échanges sur différents thèmes : discriminations, égalité, écologie ou histoire de la culture hip-hop.3

“Les élèves en sortent parfois secoués, souvent reboostés. Parce qu’ils parlent de ce qu’ils vivent. Et surtout, parce qu’on les écoute enfin.”4

Au-delà d’être de bons outils, ces approches ont la vertu essentielle de se mettre au niveau des jeunes en appréhendant leur quotidien, et par le biais de l’établissement scolaire, d’apporter une autre légitimité à leurs pratiques, qui comme nous l’exposions dans notre rapport de 2021, n’ont pas attendu l’école pour éclore.

Pour donner corps à ces perspectives, la puissance publique doit y orienter ces outils, et le Pass Culture est tout trouvé pour appuyer les éducateurs dans leur prise en main des musiques actuelles. En diminuant la part individuelle, dont les résultats dans la diversification des pratiques des jeunes ont été évalués par la Cour des Comptes comme très limités5, et en abondant la part collective versée aux institutions éducatives, de nouvelles pratiques d’éducation artistiques et culturelle seraient possibles : binômes artistes-enseignants, kits de création “clefs en main” sur le modèle des Micro-Folies6, rencontres territoriales d’écriture, etc. Et tout cela, davantage au diapason des jeunes, pour que chacun trouve son rythme.

Léon Prévost,
étudiant à l’université en sciences politiques



 1 “Ateliers numériques”, Ircam https://www.ircam.fr/transmission/actions-culturelles/ateliers-numeriques
2 Webster, J. (2019), “Music on-demand: A commentary on the changing relationship between music taste, consumption and class in the streaming age”, Big Data & Society, 6(2)
3 “Le rap devient éducatif”, Kalash.fr, 13 mars 2025
4  ibid.
5  Rapport de la Cour des Comptes sur le Pass culture https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-12/20241217-Premier-bilan-pass-Culture_0.pdf 
6  Vidéo de présentation du dispositif Micro-Folies https://www.youtube.com/watch?v=yLxzt0ITa5c