Plusieurs publications récentes suggèrent les indices de profondes transformations en cours de la condition enseignante :

La première émane de la DEPP et est relative aux profils des nouveaux enseignants recrutés au cours de la campagne des concours de l’Education nationale en 2022. Elle souligne le recul de la part des étudiants dans les admis, qui constituent traditionnellement 60% des admis aux concours externes et dont la part se replie de près de 20 points à moins de 40% dans le premier degré et à 53% dans le second degré. Au bilan, en ajoutant les reconversions professionnelles, les nouveaux professeurs des écoles sont désormais une majorité à disposer d’une expérience professionnelle préalable.

Par ailleurs, dans un rapport commun, l’association EcolHuma et le think tank Terra Nova plaident pour une réforme de la formation continue des enseignants sur le modèle des personnels de santé. Ils proposent d’allouer 100 heures par an à chaque enseignant, répartis entre formations institutionnelles délivrées par les académies, actions de formation locales dans les établissements et auto-formation, notamment au travers des outils numériques disponibles.

Enfin, le Conseil d’évaluation de l’école se penche sur la Lesson studies, une méthode de formation des enseignants mise en place au Japon dans le cadre de l’effort public massif pour l’enseignement entrepris à la fin du XIXème siècle. Largement issus d’autres professions, les enseignants japonais ont formé leurs pratiques professionnels au sein de petits groupes de pairs, fondés sur l’observation et le partage de bonnes pratiques. Cette méthode, dont les résultats probants ont suscité l’intérêt des chercheurs et de nombreux développements dans les pays anglo-saxons, inspire les « constellations » mises en place dans le cadre du plan mathématiques et du plan français en 2019 et 2020.

Au bilan, les conditions de recrutement et de formation des enseignants soulignent l’ampleur des transformations en cours de la condition enseignante.

Au-delà des aspects salariaux qui ont largement occupé le devant de la scène, les enquêtes successives menées auprès des enseignants soulignent en effet les effets d’une véritable crise de sens de l’enseignement. Tandis que les sciences sociales et les évaluations internationales pointent les promesses non tenues de l’école, en particulier à l’endroit des enfants les moins favorisés, les enseignants sont souvent isolés et démunis face à la succession d’injonctions sociétales souvent éloignées de leur domaine de compétence et de leur expertise professionnelle.

Cette situation met en évidence les limites d’un enseignement exclusivement fondé sur la transmission et la légitimité académique. La figure traditionnelle de l’enseignant, dont l’écriture élégante ouvrait à la craie les chemins de l’instruction aux écoliers de Doisneau, se trouve singulièrement dépourvue face à des enfants dont la situation et les besoins éducatifs se sont diversifiés et complexifiés sous l’aiguillon de la massification scolaire et de l’inclusion.

Les difficultés de l’école et les évolutions de la société voient ainsi l’arrivée croissante de nouveaux profils d’enseignants, qui disposent d’une expérience professionnelle préalable et rejoignent les métiers de l’enseignement dans le cadre d’une reconversion.

C’est particulièrement vrai dans les académies franciliennes où les étudiants ne comptent que près d’un quart des effectifs admis au concours de professeurs des écoles, et en outre-mer, notamment à Mayotte où ils ne sont que moins de 20% des admis. Par ailleurs, dans le second degré, le recul de la part des étudiants parmi les admis favorise une part plus importante d’hommes. Enfin, dans les disciplines scientifiques, plus du quart des enseignants sont issus de reconversions professionnelles. Cette part monte à plus de 50% dans l’enseignement professionnel.

En conclusion, le modèle français de l’enseignant de carrière, fondé sur les concours de la fonction publique, une formation initiale universitaire et les garanties attachées au statut, apparaît remis en cause par des évolutions profondes, qui sont bien davantage le fruit des évolutions de la société que celui des décisions politiques et administratives.