Une visite dans une classe de grande section de maternelle en pédagogie Montessori

L’enseignant est invité à double titre à exercer une autorité sur l’enfant. Son statut d’éducateur et sa mission de transmission d’un savoir le place d’emblée en situation d’autorité. Par ailleurs, il ne peut remplir sa fonction que s’il parvient, selon l’expression consacrée, à « gérer » sa classe. C’est-à-dire amener un groupe d’enfants à suivre sans dispersion un cadre pédagogique défini.

Néanmoins, l’évolution des regards portés à la fois sur la figure de l’enfant et sur le processus éducatif peut contribuer à plonger l’enseignant dans un certain trouble. En effet, il subit une injonction à être plus attentif à la singularité de chaque enfant, à sa parole, à ses besoins en termes d’apprentissage. Sa légitimité repose moins qu’avant sur son savoir – qu’il aurait vocation à délivrer uniformément à tous les enfants – que sur sa capacité à faire progresser l’enfant.

Dans ces conditions, comment s’assurer que l’autorité exercée – les règles fixées en classe, les instructions données à l’enfant, les contraintes qu’on lui impose – participe effectivement à l’apprentissage et ne relève pas de l’arbitraire ?

L’enseignant peut avoir l’impression d’être plongé dans ces questionnements à l’occasion de chaque acte d’autorité, chaque situation à gérer. Le stéréotype du « maître » sur son estrade, exigeant en toute légitimité déférence, silence et écoute de la part de ses élèves, ne fait plus sens. La recherche d’une juste posture d’autorité s’impose à de nombreux enseignants.

Un cadre pédagogique propice à l’autonomie de l’enfant

Ce trouble peut pousser l’enseignant à rechercher un cadre pédagogique qui s’inscrit en adéquation avec ses aspirations en matière d’exercice de l’autorité. C’est notamment ce qui a amené Armelle Peyron, professeure des écoles et présidente de l’association Public Montessori, à s’intéresser aux pédagogies nouvelles pour sa propre pratique d’enseignante.

« J’ai vraiment eu l’impression d’être catapultée devant une classe sans véritable formation ! Je n’ai pas eu le loisir d’observer comment les autres enseignants gèrent leur classe. Avant de découvrir la pédagogie Montessori, je me posais beaucoup de questions. J’avais du mal à trouver des règles pour la classe qui soient justes pour les enfants. »  

Armelle Peyron

Elle m’a invité à venir observer une matinée de travail dans sa classe de grande section d’une école maternelle du XVIIIème arrondissement de Paris. Classée REP, l’école bénéficie d’un dispositif d’encadrement renforcé. Ainsi, cette classe a la chance de disposer de deux enseignantes, Armelle et sa collègue Aurélie Prost, et d’une ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), Abi Diedhou, pour 22 élèves.

Le travail en classe est organisé selon des principes inspirés de la pédagogie Montessori. Les élèves disposent d’une grande autonomie dans leurs choix d’activités du moment qu’ils respectent un nombre restreint de règles de vie en commun et d’objectifs pédagogiques. Ainsi, ils doivent chuchoter, être attentifs à ne pas gêner les autres, toujours ranger le matériel dès qu’ils ont terminé leur activité, etc. Par ailleurs, un plan de travail précise qu’ils doivent pratiquer au moins un atelier de langage, un de mathématiques et un d’écriture.

L’espace de travail est constitué de quelques tables disposées autour de la salle afin de laisser libre une grande partie du centre de la pièce. Ainsi, les enfants pourront y disposer des tapis qui leur permettront de pratiquer certaines activités au sol. Ils sont libres de circuler et peuvent changer d’espace au gré des activités.

Ils peuvent également se rendre aux toilettes un par un sans demander l’autorisation à condition d’indiquer, à l’aide d’une étiquette, qu’ils sont sortis. Ainsi, les enseignantes savent qui est hors de la classe et leurs camarades sont prévenus qu’ils doivent attendre le retour de l’enfant pour y aller à leur tour.

Observations d’une matinée de classe

Les règles sont en grande partie respectées par les enfants durant la matinée. L’habitude de chuchoter a été installée durant les trois premières semaines de l’année et nécessite peu de rappels. Les enfants vont spontanément chercher le matériel qui est mis à leur disposition dans la classe. Vie pratique, création artistique, mathématiques, langage, écriture, géographie, lecture, histoires à écouter, etc. Une grande variété d’activités sont proposées, toutes en libre accès.

Chaque atelier est associé à un matériel prêt à l’emploi dont l’utilisation a été auparavant présentée à l’enfant par une enseignante. Les enfants ont pour consigne de n’utiliser que le matériel dont on leur a déjà expliqué l’usage. Il peut s’agir pour l’enfant d’associer des objets aux étiquettes où sont écrits leurs noms, de dénombrer des quantités à l’aide de perles, d’écrire une phrase de son choix avec un ensemble de lettres en bois, etc.

La grande autonomie dont fait preuve la majorité des enfants permet aux enseignantes et à l’ATSEM de prendre du temps avec certains d’entre eux pour leur présenter une nouvelle activité, les accompagner dans leur travail, ou vérifier qu’ils ont réussi à compléter leur tâche. Les enfants viennent régulièrement solliciter les trois adultes pour leur montrer leur travail, venir chercher un conseil ou, parfois, leur rapporter un problème.

Parfois, les enfants sont invités – par une note de triangle jouée par l’enseignante – à venir constater la réussite de l’un d’entre eux. Ce matin, une élève a écrit une phrase complète avec ses lettres en bois- « Papa é maman sé kan kon nachet lé zoizo » – qui sera lue par un camarade.

« Les enfants sont de plus en plus autonomes, ils savent ce qu’ils doivent faire. Ils progressent énormément. L’ambiance de classe est beaucoup plus calme. »

Abi Diedhou

Lorsque, peu fréquemment, un enfant adopte un comportement inadapté (par exemple, en ne rangeant pas son matériel), il est rappelé à l’ordre par une adulte. Il lui est alors demandé quelle règle il n’a pas respecté, pourquoi cette règle est importante et il est invité à reprendre le cours de ses activités. Si quelques rappels de ce type interviennent durant la matinée, ils sont relativement rares.

Ce temps d’autonomie dure un peu moins de deux heures. A 10h15, les enseignantes demandent aux enfants de ranger tout le matériel – ce qu’ils font plus ou moins rapidement – et de venir s’asseoir en cercle au centre de la pièce pour un temps collectif. Aujourd’hui, il s’agit d’une histoire, Ajdar de Marjane Satrapi, que leur lit Armelle.

Ce temps collectif est plus exigeant pour les enfants auxquels il est demandé de rester assis, en silence, et d’être attentifs. La plupart d’entre eux y parviennent sans être gagnés par la distraction. Seul un enfant éprouvera vraiment des difficultés à tenir ce temps et se verra proposer une échappatoire. Au bout de 20 minutes, le temps collectif laisse place à la récréation où chaque élève est invité à tour de rôle à quitter la classe pour aller se préparer.

L’autorité du cadre : une respiration pour l’enseignant

La particularité de la pratique de l’autorité au sein de cette classe repose en grande partie sur une relation de confiance entre adultes et enfants dans un cadre clair et facile à appréhender. Tout le matériel qui est à portée de l’enfant lui est autorisé (du moment qu’il sait s’en servir et qu’il correspond à sa progression dans les apprentissages). L’enfant n’a donc pas constamment à se tourner vers un adulte pour être autorisé à pratiquer telle ou telle activité.

Les règles de base sont simples, ont été expliquées et justifiées aux enfants et s’imposent à la fois à eux et aux adultes. Tout comportement non approprié peut être identifié par rapport à ces règles simples.

L’enfant est peu soumis à des contraintes qui peuvent faire naître chez lui une résistance. On ne lui impose pas un planning d’activité (mis à part le temps collectif). Il a tout loisir d’observer ce que font les autres si lui-même n’est pas prêt à commencer une activité. Les activités étant individuelles, elles sont adaptées au rythme de progression de l’enfant. L’adulte est donc mis dans une position d’appui et de proposition mais assez rarement d’imposition.

Pour autant, la liberté dont jouissent les enfants est très rigoureusement encadrée par l’environnement. Le matériel qui leur est accessible est entièrement tourné vers des apprentissages. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les enfants ne le détournent pratiquement pas de sa fonction. Le matériel est savamment pensé pour orienter l’activité de l’enfant. En ce sens, l’autorité est incarnée bien plus par le cadre formel (le matériel pédagogique, l’espace de la classe, les règles posées au départ et consultables à tout moment sur le mur de la salle) que par l’adulte.

Un pacte de confiance

La grande force du cadre proposé dans la classe d’Armelle Peyron est de favoriser la mise en place d’un pacte de confiance avec l’enfant. L’autonomie dont il jouit apparait comme une manifestation de la croyance de l’adulte en sa capacité de réussite. Le fait de lui fournir un matériel adapté, de ne pas le mettre en situation d’échec – chaque nouvelle activité proposée n’introduit qu’une petite difficulté supplémentaire par rapport à ce qu’il sait déjà faire – est également une façon d’obtenir la confiance de l’enfant.

« Quand on propose une activité à l’enfant, on la lui explique de A à Z. Par exemple, une addition est présentée en entier, jusqu’au bout, et on lui demande de refaire. On lui montre tout ce qu’on veut voir. Il n’y a pas de piège. »

Armelle Peyron

On note également un réel souci de limiter au maximum l’exercice arbitraire de l’autorité de l’adulte – qui peut affecter véritablement la confiance que lui porte l’enfant. Les remarques – positives comme négatives – cherchent à s’appuyer sur des éléments objectifs (les règles de la classe, les critères de réussite des activités).


Quel enseignement tirer de cette visite ? L’articulation entre approche pédagogique et posture d’autorité des adultes dans cette classe de maternelle n’a pas vocation à constituer une « solution » toute faite. Les choix opérés par Armelle Peyron et Aurélie Prost sont largement nourris par leurs expériences respectives, des rencontres marquantes, leurs parcours de formation continue.

Par ailleurs, les enfants ont été pour la plupart d’entre eux exposés à ce cadre pédagogique depuis leur entrée en maternelle. La réussite de l’expérience tient également largement à la construction dans la durée d’une relation de confiance entre l’enfant et l’adulte. Armelle Peyron a ainsi eu l’occasion de travailler avec les enfants dans les années antérieures.

Le temps long et la continuité des relations et des pratiques constituent donc des éléments déterminants dans l’exemple ici abordé. La tentation d’y voir un modèle immédiatement réplicable doit donc être largement modérée.

Il n’en demeure pas moins que leur démarche est inspirante parce qu’elle constitue une illustration concrète de la façon dont la logique des apprentissages et la détermination du cadre d’autorité peuvent être pensés ensemble, avec une attention toute particulière à la qualité de la relation éducative entre adultes et enfants.  


EN COMPLÉMENT : une conférence en ligne proposée par l’association « Public Montessori » qui permet d’approfondir la logique de l’articulation entre liberté et discipline au sein de ce cadre pédagogique : https://www.public-montessori.fr/reunion-thematique-la-liberte-est-au-coeur-de-la-pedagogie-montessori

Stephan LIPIANSKY

Chef de projet alliances éducatives