La capacité des professionnelles à se sentir en confiance dans la poursuite de leurs missions repose en grande partie sur leur sentiment de compétence. Pour poursuivre leurs missions, elles doivent pouvoir bénéficier d’une formation – initiale et continue – adaptée à la profondeur de leurs fonctions : accompagnement de l’enfant dans son développement, adaptation aux spécificités de chaque enfant, conseils et soutien aux familles. Ce qui n’est pas toujours le cas. Encore trop largement tournée vers la dimension sanitaire, la formation des professionnelles s’avère également très hétérogène selon les métiers exercés.

Prêtes à se jeter dans le grand bain ? La formation initiale en question !

Des formations en décalage avec les missions

Interrogée par l’Institut Choiseul dans le cadre d’une étude consacrée à l’accueil des jeunes enfants, Josette Serres, docteure en psychologie du développement, dresse un diagnostic sévère : « actuellement, il existe deux mondes distincts : d’un côté, celui des chercheurs qui sont à la pointe de la recherche sur le développement du bébé, notamment en France, et de l’autre côté, la formation. […] Il est essentiel de reconnaître que les jeunes enfants sont des êtres en devenir, dotés de compétences à acquérir. Cette perspective doit guider les pratiques et orienter la formation de tous les professionnels[1]. »

La recherche sur le développement du jeune enfant et la formation des professionnelles apparaissent comme deux mondes distincts

Un récent rapport parlementaire abondait également dans un sens voisin en suggérant que « la formation initiale doit […] être rénovée en faisant plus de place aux neurosciences, au soutien à la parentalité, à l’éveil culturel et à la prise en charge des enfants en situation de handicap[2]. »

Derrière ce constat d’un décalage entre la formation des professionnelles et les exigences du développement du jeune enfant se dissimule en réalité plusieurs questions distinctes : le niveau de formation effectif des professionnelles de la petite enfance, les exigences réglementaires et le contenu des connaissances.

Des niveaux de compétences disparates

Les compétences exigées pour exercer une profession au contact des jeunes enfants sont historiquement davantage tournées vers le domaine sanitaire que vers celui d’une approche psycho-éducative. Ce décalage caractérisait en particulier la formation du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) Petite enfance qui a été remplacé en 2019 par le CAP Accompagnant éducatif petite enfance. L’objectif étant précisément de renforcer le volet éducatif – éveil et animation notamment.

Le niveau effectif de formation des professionnelles de la petite enfance est très divers. Si les éducatrices de jeunes enfants ou les infirmières-puéricultrices disposent d’un diplôme de niveau 6 (équivalent à une licence ou une première année de master), les auxiliaires de puériculture, assistantes maternelles ou garde d’enfants à domicile ont souvent de leur côté un diplôme de niveau 3 (certificat d’aptitude professionnelle ou équivalent). Certaines professionnelles ne sont pas diplômées. Le volume horaire de formation requise est très disparate. Ainsi, les assistantes maternelles suivent un volume horaire de formation moindre par rapport aux détentrices du CAP Accompagnant éducatif petite enfance.

Ces différences de qualification ne se retrouvent pas forcément chez les pays voisins. Ainsi, au Portugal, environ la moitié des professionnels de la petite enfance ont un diplôme de niveau Master[3]. En Suède, 40% des personnels travaillant dans le préscolaire (1-6 ans) ont un diplôme d’enseignant et sont d’ailleurs rémunérés au même niveau que les enseignants de primaire[4].

Chez les assistantes maternelles, la part des non-diplômées a diminué de moitié en quinze ans

Néanmoins, des progrès en termes de niveau de formation ont été atteint ces dernières années. Ainsi, concernant les assistantes maternelles, l’Observatoire national de la petite enfance note que « la part des sans diplôme a diminué de 18 points, passant de 40 % à 22 % entre 2003 et 2019 selon l’enquête Emploi » et qu’elles recourent plus largement à la formation continue en 2019 qu’en 2005 (+ 14 points)[5].

Au fil de l’eau, un besoin de Renforcement des savoirs et pratiques

Aller à la rencontre des besoins des professionnelles

La question de la formation apparaît d’ailleurs comme un élément important de la professionnalisation des assistantes maternelles. Ainsi, les auteures d’une étude sur les maisons d’assistantes maternelles (MAM) notaient chez elles « une appétence à se former et un souci de renouveler leurs propositions d’activités aux enfants, aspects qui participent de leur professionnalisation et de leur reconnaissance en tant que professionnelles de la petite enfance[6]. » 

Ce besoin de formation continue ressenti par les assistantes maternelles se heurte parfois à leur isolement et leur éloignement des structures adaptées. C’est le cas en particulier des Relais petite enfance (RPE) qui proposent des modules aux assistantes maternelles mais qui ne sont pas toujours accessibles notamment en zones rurales. D’où la nécessité de proposer aussi des dispositifs itinérants comme le fait, par exemple, l’Union départementale des associations familiales d’Ille-et-Vilaine (35). Le Relais petite enfance n’occupe pas un espace fixe mais investit des lieux déjà existants pour pouvoir proposer des ateliers d’éveil ou d’analyse de pratique en itinérance sur deux communes du département.

Dès 2016, le rapport rédigé par Sylviane Giampino, psychologue de l’enfance et Présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, préconisait de « prendre en compte l‘évolution des savoirs sur le jeune enfant et adapter ceux-ci à l’actualité de la condition du jeune enfant » et de « former aux méthodes de travail qui ne séparent pas le soin, l’éducatif, le relationnel, l’affectif[7]. »

La formation continue a un effet direct sur la qualité des interactions et le développement des enfants

Selon une récente revue de littérature sur le développement du jeune enfant, « la formation continue est jugée par un certain nombre d’auteurs comme le prédicteur le plus fiable et robuste de la qualité des interactions éducateur∙trice∙s‐enfants, et le seul indicateur de qualité structurelle dont on puisse dire actuellement avec un fort degré de confiance qu’il a un effet direct sur le développement des enfants[8]. »

Base commune et continuité des pratiques

Au-delà de la période 0-3 ans, se pose la question d’une base commune de connaissances et de pratiques pour l’ensemble des professions qui participent à l’accompagnement du jeune enfant. Ainsi, en plus des professionnelles exerçant en EAJE ou en accueil individuel, les principaux métiers concernés sont ceux de l’école maternelle. Les professeurs des écoles, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) ou les professionnels de l’animation intervenant sur les temps périscolaires sont donc concernés par ces enjeux de formations propres à la petite enfance. D’ailleurs le CAP Accompagnant éducatif petite enfance est aujourd’hui le diplôme privilégié pour le recrutement des ATSEM.

Au-delà de la formation initiale, se pose la question de la continuité des pratiques et des outils. Le décalage dans l’approche du métier entre professionnelles de la petite enfance et professeurs des écoles constitue d’ailleurs une difficulté pour les enseignants qui devront travailler avec les enfants les plus jeunes. Au point parfois d’avoir le sentiment de devoir « désapprendre » leur métier[9].

A ce titre, les expériences de dispositifs passerelles qui permettent dans une même unité les interventions conjointes d’éducatrices de jeunes enfants, ATSEM et enseignantes sont remarquables en ce qu’elles facilitent la circulation des pratiques. Malheureusement, de telles initiatives demeurent largement marginales aujourd’hui.


[9] Garnier, Pascale, et al. “L’accueil des enfants de 2 à 3 ans. Regards croisés sur une catégorie d’âge dans différents lieux d’accueil collectif.” Revue des politiques sociales et familiales 120.1 (2015): 9-20.


[8] Dossier d’étude 215 de la CNAF, Revue de littérature sur les politiques d’accompagnement au développement des capacités des jeunes enfants.


[7] Sylviane Giampino, Développement du jeune enfant. Modes d’accueil. Formation des professionnels, rapport remis Laurence Rossignol, Ministre des familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, 2016.


[6] Pascale Garnier, Catherine Bouve, Martine Janner-Raimondi, Les maisons d’assistantes maternelles : des pratiques professionnelles hybrides entre accueils individuel et collectif, Dossier d’étude de la CNAF n°227, 2022.


[5] Observatoire national de la petite enfance, L’accueil des jeunes enfants, 2023.


[3] Catherine Collombet, L’accueil du jeune enfant en Espagne, Italie et Portugal : la sortie du modèle de la mère au foyer, Caisse nationale des Allocations familiales, Mission des relations européennes, internationales, et de la coopération, 2019.

[4] Commission européenne, « Quality of employment in childcare, country report, Sweden ».


[2] Les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, rapport fait au nom de la délégation aux droits des enfants, présenté par les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago, 2023.


[1] Jean Spiri, Le secteur privé et l’accueil collectif des jeunes enfants, Notes stratégiques de l’Institut Choiseul, 2023.