Lancée par l’OCDE, l’enquête TALIS (Teaching and Learning International Survey) interroge périodiquement des dizaines de milliers d’enseignants dans plus de 40 pays sur leur formation, leurs conditions de travail et leur rapport au métier. L’édition 2024 vient éclairer la situation française : un corps enseignant toujours habité par le sens de sa mission, mais il est atteint par une insatisfaction globale des conditions de travail.
Surtout, il est marqué par un manque de reconnaissance qui se rapproche de la défiance à l’égard de l’institution. Ce paradoxe dit quelque chose de la santé globale de notre système éducatif et de l’importance d’alimenter la conviction avec laquelle les enseignants exercent leur métier.
Un métier profondément investi de sens…
Les chiffres de TALIS sont optimistes quant au métier en soi. Non seulement la quasi-totalité d’entre eux (neuf enseignants sur dix) se disent souvent heureux lorsqu’ils exercent mais ils sont aussi convaincus de l’importance de leur mission : plus de 90% estime que leur fonction contribue à la société, à la lutte contre les inégalités, ou à influencer la génération future. Ces données témoignent d’un engagement moral, social et civique profond, de la conscience de leur rôle véritablement éducatif, au-delà de l’enseignement d’une discipline.
L’étude témoigne d’un engagement moral, social et civique profond des enseignants.
…mais en quête de réhabilitation
Pour ce qui est des conditions d’exercice du métier, l’enquête est beaucoup moins optimiste. En effet, entre 2018 et 2024, la proportion d’enseignants qui, s’ils le pouvaient, choisiraient à nouveau ce métier a reculé de huit points : 74 % à 66 % au collège, 76 % à 66 % à l’école élémentaire.
La part de ceux qui regrettent leur choix progresse, elle, de cinq points, atteignant désormais 13 % au collège et 12 % à l’école élémentaire.
Une érosion continue du sentiment d’appartenance et de la satisfaction associée au métier.
Ces chiffres traduisent une érosion continue du sentiment d’appartenance et de la satisfaction associée à l’exercice du métier. Seuls 59 % se disent satisfaits de leurs conditions de travail — un recul de 21 points depuis 2018… Et à peine 27 % jugent leur rémunération satisfaisante, soit douze points en dessous de la moyenne de l’OCDE. Concernant la formation, 49 % des enseignants au collège et 60 % à l’école élémentaire jugent que, globalement, celle-ci n’était pas de grande qualité !
Le métier reste porteur de sens, mais l’équilibre entre vocation et reconnaissance matérielle s’effondre. La dégradation des conditions d’exercice — isolement, manque de soutien, charges administratives, formation insuffisante — semble fragiliser jusqu’à l’identité professionnelle.
Réinsuffler de la confiance dans la profession : une priorité !
Ce fort attachement se heurte à un déficit de reconnaissance très net. C’est peut-être le chiffre le plus frappant de cette enquête : en France, à peine 4 % des enseignants estiment que leur métier est valorisé dans la société et que leur opinion est prise en compte par les décideurs — des niveaux parmi les plus bas des pays étudiés. Les enseignants du secondaire déclarent se sentir moins valorisés par l’environnement local que la moyenne internationale … avec une proportion de valorisation par les parents particulièrement basse ! Sur ce point l’étude TALIS est formelle : la France fait partie des mauvais élèves de l’OCDE. Seuls 10% des enseignants reconnaissent une collaboration avec les parents au moins une fois par mois pour enrichir les activités d’apprentissage des élèves (la moyenne de l’OCDE est de 25%). On sait pourtant qu’une coéducation parents/profs solide participerait à dépasser ce sentiment de solitude professionnelle.
Voir notre article : Faire place aux familles à l’Ecole, un enjeu de société
La confiance dans l’institution éducative est un levier clé : quand un enseignant perçoit que l’institution le soutient (dans ses choix, sa liberté pédagogique), il est plus à même de mener un projet éducatif serein. Le manque de reconnaissance institutionnelle fragilise cette confiance fondamentale.
L’effet enseignant, un levier de réussite et d’équité scolaire
Car si les enseignants — premiers artisans du lien éducatif — perdent confiance, c’est tout l’édifice qui chancelle. Les élèves, eux aussi, s’attachent et persévèrent quand ils perçoivent que les adultes qui les entourent y croient encore. L’école ne peut donner du sens qu’à travers ceux qui la font vivre.
L’école ne peut donner du sens qu’à travers ceux qui la font vivre.
Cette alerte résonne fortement avec ce que la recherche en économie de l’éducationappelle l’effet enseignant. Les travaux empiriques, notamment ceux deChetty, Friedman et Rockoffaux États-Unis (2014), ont montré qu’un enseignant parmi les15 % les plus efficacesaméliore les résultats de ses élèves de10 % à 20 % d’un écart-type par an, avec des effets durables sur leurs trajectoires sociales et professionnelles1. Autrement dit,la qualité de l’enseignement n’est pas un facteur parmi d’autres : c’est le levier majeur de réussite et d’équité scolaire.
Camille de Foucauld
Image tirée du film «Un métier sérieux » de Thomas Lilti, 2023
Creator: DENIS MANIN – ©Cenis Manin