« Avant, au dîner, tout le monde avait les yeux baissés sur son téléphone. Maintenant, on les met dans le Croc’Écran… et on discute. » Mahé, 7 ans, résume à sa manière le cœur du projet. Née en 2024 dans les bureaux de Bayard Jeunesse, l’initiative Croc’Écran est une réponse concrète à une question que se posent aujourd’hui des millions de parents : comment reprendre la main sur les écrans sans punir ni culpabiliser ?
Un rituel familial pour reprendre la main
Chaque foyer français compte en moyenne dix écrans. Les enfants y passent des heures, les parents aussi, souvent sans s’en rendre compte. « On sait qu’on est trop sur notre téléphone, mais on a besoin de ce genre d’ateliers pour se mettre en action », confiait une mère lors d’une animation à Strasbourg.
C’est pour répondre à cette fatigue numérique croissante, et à cette envie de réinventer les liens familiaux, que le projet a vu le jour. Le principe est d’une simplicité désarmante : fabriquer en famille une boîte décorée – le Croc’Écran – dans laquelle on dépose les téléphones à des moments choisis, pour se reconnecter… entre humains. Ce geste symbolique devient un rituel familial, soutenu par un kit complet : une histoire illustrée à lire ensemble, un livret parental, un défi de 21 jours à relever et afficher sur le frigo, des autocollants récompenses et des ressources pédagogiques.
« On ne diabolise pas les écrans. On apprend à les apprivoiser », insiste Damien Giard, directeur des produits numériques chez Bayard Jeunesse. L’objectif n’est pas de retirer les outils numériques de nos vies – mission impossible ! – mais de redonner du sens à leur usage. « La boîte devient un médiateur, un déclencheur de discussions sur ce qu’on regarde, sur le temps qu’on passe, sur ce qu’on partage vraiment. »
L’innovation réside dans cette approche positive : plutôt que de fixer des interdits, proposer des alternatives. Plutôt que de pointer les dérives, célèbrer les moments de reconnexion. « C’est le coup de pouce ludique pour décrocher », résume une animatrice des ateliers.
Petit outil, grandes ambitions
Depuis novembre 2024, plus de 500 000 kits ont été diffusés via les magazines Bayard (Pomme d’Api, Images Doc, Astrapi…). Des ateliers ont été organisés dans des écoles, des centres d’accueil, des médiathèques, des centres sociaux, souvent en partenariat avec le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) ou l’Association Générale des Enseignants des Écoles et classes Maternelles publiques (AGEEM).
« C’est formidable de voir des parents qui n’osaient pas dire “non” aux écrans retrouver confiance dans leur autorité parentale »
Éducatrice de Marseille
Le Croc’Écran devient aussi un outil de lien social et d’inclusion numérique. Aux côtés du spécialiste de la formation Réseau Canopé, Bayard Jeunesse a déjà mené des ateliers pilotes dans lesquels les familles découvrent qu’elles peuvent avoir prise sur leur environnement digital, qu’elles ne sont pas condamnées à subir. « C’est formidable de voir des parents qui n’osaient pas dire “non” aux écrans retrouver confiance dans leur autorité parentale », témoigne une éducatrice de Marseille.
Fort de ces premiers résultats, un partenariat avec la Fondation EDF va permettre d’élargir considérablement le dispositif : formation d’animateurs locaux, mise à disposition de kits pédagogiques et organisation d’ateliers parents-enfants dans plusieurs quartiers prioritaires des régions Grand-Est et Auvergne Rhone-Alpes. L’objectif est d’accompagner, d’ici deux ans, plusieurs milliers de familles dans un usage plus raisonné des écrans et de pérenniser cette démarche au cœur même des territoires.
Le projet s’accompagne d’une étude nationale inédite sur la technoférence – ces micro-interruptions créées par les écrans dans les relations parents-enfants. Psychologues, neuroscientifiques et enseignants-chercheurs de trois universités ont rejoint le comité scientifique pour mesurer l’impact du dispositif et proposer des pistes d’action fondées sur la recherche.
Cette dimension scientifique distingue Croc’Écran des initiatives purement militantes. « Nous voulons objectiver les effets, comprendre ce qui fonctionne vraiment pour les familles », explique Marie Danet de l’Université de Lille. L’ambition ? Faire évoluer les représentations sociales des écrans et apporter aux familles des repères fondés sur la science autant que sur l’expérience terrain.
Un prétexte à la créativité
L’initiative a suscité un engouement créatif surprenant. Bayard Jeunesse a lancé un partenariat avec la marque POSCA pour inviter des artistes à customiser des Croc’Écrans d’exception. Ces créations uniques, qui seront exposées lors du congrès de l’AGEEM, montrent que la déconnexion peut être source d’inspiration et de beauté, transformant un simple objet utilitaire en œuvre d’art.
Avec Croc’Écran, Bayard Jeunesse ne propose pas une injonction de plus, mais un souffle. Une manière de dire aux familles : « Vous avez le droit de ralentir. De créer vos propres règles. De rire, de lire, de bricoler, de vous ennuyer ensemble. »
La boîte n’est qu’un prétexte – le vrai trésor, c’est ce qui se passe quand les téléphones dorment. Les regards qui se croisent à nouveau. Les conversations qui reprennent. Les fous rires qui éclatent. Les silences apaisés. Parfois, c’est tout ce qu’il faut pour rallumer les regards, et faire jaillir ces étincelles de lien si précieuses. Car au fond, Croc’Écran ne parle pas d’écrans. Il parle de nous.
Lors de réunion de soutien à la parentalité, nous proposions le panier dans l’entrée. Les enfants comme les parents devaient poser leur téléphone portable dedans avant 21 heures. Tout le monde devait jouer le jeu. J’ai souvent remarqué que c’était les parents qui étaient souvent les plus réticents. Nos enfants sont les “éponges” de nos comportements. Plus que les discours, c’est notre façon d’être qui éduque. Super cette boîte croc’ écran. Un outil supplémentaire à proposer de suite autour de nous.