“Donné à tout le monde, ne sert à rien, trop facile”… Les critiques du bac sont nombreuses et les interrogations sur son avenir prolifèrent dans l’espace public et médiatique. La place du bac est pourtant centrale dans notre système éducatif, sur le plan des trajectoires individuelles comme sur celui de l’organisation de l’école.
Un rite de passage
Le baccalauréat ne marque pas seulement l’aboutissement d’un parcours scolaire ; il symbolise également l’entrée dans la vie adulte et citoyenne. Ce n’est pas un hasard si, dans de nombreuses langues européennes, cette épreuve finale est désignée par un terme dérivé de la notion de « maturité » (maturité en Suisse et en Belgique, maturità en Italie, matura dans le pays d’Europe centrale et orientale), ni si elle coïncide, pour la plupart des élèves, avec l’âge de la majorité.
À la sortie d’un système scolaire commun, les élèves s’engagent dans des trajectoires diverses, mais sont supposés avoir acquis des savoirs-être essentiels pour exercer leur citoyenneté de manière éclairée et responsable, et pour construire de façon autonome un projet personnel, académique ou professionnel.
« Le rituel offert par le baccalauréat est irremplaçable : sa nature même d’examen national, passé au même instant et sur les mêmes sujets par tous les candidats, en fait un rituel à la fois social et égalitaire »
Commission des affaires culturelles du Sénat, 2008
Le bac est également un moment de forte intensité émotionnelle, vécu comme un véritable rite de passage. Dans de nombreux pays, cette transition est d’ailleurs marquée par des fêtes ou des cérémonies symboliques — bals, remises de diplômes, célébrations collectives — qui témoignent de l’importance sociale et affective de cette étape.
En France, bien que ces manifestations soient plus discrètes, le fait de se confronter à une épreuve nationale conserve une portée symbolique puissante : il s’agit d’un moment partagé, à haute valeur intégratrice. La Commission des affaires culturelles du Sénat soulignait ainsi, dans un rapport de 2008, que « le rituel offert par le baccalauréat est irremplaçable : sa nature même d’examen national, passé au même instant et sur les mêmes sujets par tous les candidats, en fait un rituel à la fois social et égalitaire ».
Un examen national qui inspire à l’international
Le diplôme du bac permet la reconnaissance officielle des connaissances et compétences acquises au cours de l’enseignement secondaire. Son caractère uniforme sur l’ensemble du territoire national garantit une reconnaissance équitable de ces acquis, tant auprès des universités que des employeurs, en France comme à l’étranger.
Dans un éclairage publié en 2016 sur Les grands débats du baccalauréat, le CNESCO rappelle que, contrairement aux polémiques françaises autour d’une éventuelle suppression du bac, la tendance internationale va dans le sens inverse : de plus en plus de pays adoptent des évaluations externes sur le modèle français. Ainsi, la mise en place d’un examen national en fin de scolarité secondaire s’est généralisée au sein de l’OCDE, la proportion de pays concernés ayant doublé entre 1995 et 2015 pour atteindre les deux tiers des membres cette année-là.
La mise en place d’un examen national en fin de scolarité secondaire s’est généralisée au sein de l’OCDE, la proportion de pays concernés ayant doublé entre 1995 et 2015 pour atteindre les deux tiers des membres cette année-là.
CNESCO, 2016
Par ailleurs, le CNESCO rappelle que l’effet de la conduite des examens nationaux sur l’amélioration du niveau scolaire général et la réduction des inégalités a été démontré par la recherche. La référence externe incite tous les enseignants à suivre les mêmes programmes et à viser des objectifs communs, y compris dans les établissements les plus défavorisés, ce qui conduit à un nivellement général des résultats par le haut.
Cependant, ces effets positifs dépendent de la qualité des épreuves : elles doivent couvrir un large champ disciplinaire et permettre d’évaluer des compétences complexes. À l’inverse, des examens trop simplistes (type QCM) peuvent entraîner des effets pervers : appauvrissement des contenus, pédagogie répétitive, recentrage sur les seuls savoirs évalués (teaching to the test), comme cela a été observé en Angleterre et aux États-Unis.
À ce titre, le baccalauréat français, par sa diversité disciplinaire et la complexité de ses épreuves, correspond à un modèle d’évaluation propice à des apprentissages riches et à de meilleurs résultats pour les élèves.
Un même bac, des parcours différents
La généralisation du baccalauréat a longtemps été perçue comme un progrès social majeur, permettant d’harmoniser les exigences scolaires à l’échelle nationale et d’atténuer les inégalités entre établissements et territoires. Ce nivellement par le haut repose sur un principe fondamental : l’universalité du diplôme, garantissant un socle commun de connaissances et d’opportunités.
Mais cette promesse repose elle-même sur un processus historique de démocratisation du baccalauréat, engagé notamment à partir des années 1980 avec la politique des « 80 % d’une génération au bac » portée par Jean-Pierre Chevènement. Alors qu’en 1985 seuls 29,4 % d’une génération obtenaient le bac, en 2024 ils sont 79,4%[1].
Pourtant, si le bac est aujourd’hui obtenu par près de 80 % d’une classe d’âge, les parcours restent très différenciés, car cette hausse spectaculaire résulte en grande partie de l’introduction et de l’essor de voies alternatives au bac général : le bac technologique et surtout le bac professionnel. En 2024, seuls 43,1 % d’une génération décrochent un bac général, contre 16,1 % un bac technologique et 20,2 % un bac professionnel[2].
Sous l’étiquette commune de « baccalauréat » coexistent désormais trois diplômes dont les contenus, les modalités d’évaluation, l’organisation des enseignements et surtout la finalité diffèrent sensiblement.
Un même diplôme, des trajectoires inégales ?
Le bac général continue de remplir son rôle historique de tremplin vers l’enseignement supérieur long : d’après les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, plus de 90 % de ses titulaires s’y inscrivent[3].
Le bac technologique occupe une position hybride. Il vise à la fois une insertion professionnelle rapide et une poursuite d’études, généralement en filières courtes et professionnalisantes : 20% de ses titulaires mettent fin à leur parcours scolaire tandis que 40% d’entre eux choisissent de continuer leurs études en STS.
Le bac professionnel, quant à lui, est conçu comme une qualification finale destinée à une entrée directe sur le marché du travail. Pourtant, cette orientation est de moins en moins tranchée : 50 % des bacheliers professionnels poursuivent des études, en majorité en BTS (34 %). Leurs parcours y sont toutefois marqués par des difficultés : seuls 50 % d’entre eux valident leur BTS en deux ans, contre 66 % des bacheliers technologiques et 81 % des bacheliers généraux[4].
Le bac professionnel ne remplit pas non plus pleinement sa promesse d’insertion directe dans l’emploi : six mois après l’obtention du diplôme, seuls 45 % des jeunes qui n’ont pas poursuivi d’études ont un emploi. De surcroît, les perspectives d’emploi varient considérablement selon la spécialité du bac professionnel obtenu. Ces chiffres soulignent les limites d’un diplôme qui peine à s’imposer comme une véritable alternative crédible aux voies générale et technologique, même s’il pourrait le devenir à condition de repenser ses objectifs et son accompagnement.
Derrière l’unification apparente d’un diplôme national, se cache une fragmentation des parcours et des débouchés.
En apparence, le fait que la grande majorité d’une génération obtienne désormais le bac pourrait faire croire à une réduction des inégalités scolaires. Effectivement, si l’on s’en tient à une distinction binaire entre bacheliers et non-bacheliers, les inégalités semblent effectivement avoir reculé.
Mais en affinant l’analyse selon le type de baccalauréat obtenu, on observe une persistance, voire une reconfiguration, des inégalités sociales[5].
Autrement dit, les inégalités ne se sont pas effacées avec la généralisation du baccalauréat ; elles ont simplement changé de forme. Là où elles étaient autrefois verticales — entre bacheliers et non-bacheliers — elles sont désormais horizontales : tous obtiennent un bac, mais pas le même, et tous ne donnent pas accès aux mêmes opportunités.
Derrière une égalité de façade se cache une sélection bien réelle ; derrière une uniformité apparente, une différenciation profonde des parcours. C’est sans doute cette tension entre l’idéal d’un diplôme commun et la réalité des trajectoires qu’il produit qui alimente la défiance croissante envers un diplôme avant perçu comme un levier d’ascension sociale.
Un diplôme au cœur des paradoxes éducatifs
Finalement le baccalauréat continue de structurer en profondeur les parcours au lycée : choix de filières, de spécialités, d’options, rythme de travail… nombre de décisions prises par les élèves sont orientées par les attentes liées à cet examen. Loin d’être un simple aboutissement, il constitue un cadre de référence quotidien qui façonne les trajectoires scolaires bien en amont de la terminale.
Mais dans le même temps, son rôle en tant que « passeport » vers l’enseignement supérieur tend à s’effacer au profit de la logique de sélection portée par Parcoursup. Ce ne sont plus tant les résultats au bac que la construction, dès la seconde, d’un parcours « cohérent » et valorisable — au regard des attendus implicites des formations post-bac — qui conditionne l’accès à l’enseignement supérieur.
Dès lors, l’enjeu ne se réduit plus à l’obtention du diplôme. Il s’agit de composer un profil stratégique, de faire les bons choix au bon moment, souvent sous contrainte, pour espérer être retenu dans les formations visées. Dans ce contexte, le bac devient un point de passage de plus en plus formel, dont la valeur réelle dépend largement des formations qu’il permet — ou non — d’intégrer.
Mais alors, n’attend-on pas trop du baccalauréat ? Il lui est demandé d’assurer à la fois l’unification et la diversification des parcours, de garantir une formation commune tout en orientant les élèves vers des voies multiples, parfois très inégales en termes de débouchés. Il est censé constituer une référence commune pour tous les élèves, tout en devant s’adapter aux exigences croissantes de l’enseignement supérieur et aux évolutions du monde du travail.
Jusqu’où la formation commune peut-elle — ou doit-elle — aller ?
Cette tension entre mission d’unification et exigences de diversification invite alors à déplacer le regard : plutôt que de se demander si le bac remplit encore son rôle, on peut engager la réflexion sous un autre angle — celui de la formation commune qu’il est censé sanctionner.
Car si le bac doit à la fois certifier un socle partagé de connaissances et permettre des orientations vers des voies de plus en plus spécialisées, jusqu’où cette formation commune peut-elle — ou doit-elle — aller ? Cette interrogation devient d’autant plus pertinente que les parcours au lycée se construisent désormais très tôt, et que les choix effectués dès la seconde influencent fortement les opportunités d’orientation.
Le débat sur le bac est révélateur de tensions plus profondes sur l’organisation du système éducatif : la durée, toujours uniforme, de l’enseignement obligatoire malgré l’hétérogénéité croissante des parcours ; la coexistence de voies différenciées mais hiérarchisées ; ou encore les mécanismes de reproduction sociale à l’œuvre dans les processus d’orientation.
Eva Kolbas, Elise Wagner
[1] Niveau d’éducation de la population, INSEE, 2021, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432451?sommaire=5435421#tableau-figure2.
[2] Note d’information n°25.5, Depp, 2024.
[3] Etat de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°17, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 2023.
[4] Le devenir des bacheliers professionnels qui poursuivent des études, Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
[5] Mathieu Ichou, Evolutions des inégalités au lycée : origine sociale et filières, Cnesco, 2016.