Depuis deux jours, les résultats de Parcoursup sont dans toutes les têtes : celle des élèves de terminale, de ceux qui se réorientent, celle des enseignants mais aussi des parents. La phase des résultats est souvent assimilée à un ascenseur émotionnel, devenant pour certains le moment le plus stressant du lycée, avant même le baccalauréat. On a décidé de questionner un expert du sujet pour mieux comprendre ce que les premiers concernés ressentent et tirer les fils de ce système considéré comme opaque et imparfait. C’est vers Alban Mizzi qu’on s’est tourné.
Après un mémoire de recherche en master et une thèse en doctorat sur le « moment » parcoursup pour les élèves en filière générale et technologique, Alban Mizzi, sociologue, élargit son enquête aux élèves dans le professionnel. |
Pourquoi avoir instauré Parcoursup, en 2018, en remplacement d’APB ?
Le système éducatif français est conçu pour différencier les élèves, reflétant ce que Vincent de Gaulejac appelle « la lutte des places ». Il est marqué par une forte méritocratie scolaire, où l’école joue un rôle compétitif et sert principalement à trier les élèves. Ils sont, en principe, égaux à l’entrée et inégaux à la sortie – ce qui détermine leur position sociale et professionnelle. Pourtant, il est évident que les élèves ne partent pas tous sur un pied d’égalité dès le début.
« L’école est régie comme un marché. »
Et l’école est régie comme un marché : tous les établissements ne se valent pas, toutes les filières ne se valent pas, ce qui biaise encore davantage le principe méritocratique de l’Ecole en France.
Le projet Parcoursup a été initié en réponse aux limites du système précédent, Admission Post-Bac (APB), dont l’utilisation du tirage au sort pour l’affectation des élèves était fortement critiquée. A quoi bon faire des efforts toute sa scolarité si c’est le hasard qui décide de nos études supérieures ? APB avait un algorithme manipulable qui pouvait pénaliser les élèves sincères. L’algorithme était construit autour de trois critères principaux :
- Un bonus pour le premier vœu (dans certaines formations),
- La proximité géographique,
- Et enfin, le tirage au sort comme troisième critère.
Ce système était basé sur un présupposé fort : un nombre excessif de bacheliers s’orientaient vers l’université sans réflexion approfondie, entraînant un taux élevé d’échec et de décrochage. Les décideurs politiques diagnostiquent une crise au sein des universités et ont introduit, par ce nouveau système, la sélection à l’université.
Qu’est ce qui est le plus critiqué dans Parcoursup ?
Parcoursup est souvent critiqué pour deux raisons principales : sa longueur et son opacité.
La principale cause de cette longueur est l’absence de hiérarchisation des vœux. Les élèves ne peuvent pas classer leurs préférences, ce qui peut entraîner des délais prolongés pour l’affectation.
Concernant l’opacité, elle provient principalement des algorithmes locaux utilisés par les formations. Ces algorithmes, parfois exportés sur des fichiers Excel, permettent de classer les candidats. Les établissements ne sont pas tenus de rendre publics leurs algorithmes ou critères de sélection. Bien que le secret des délibérations soit protégé par la loi, certaines formations choisissent de publier leurs critères. L’opacité n’est pas due à la localisation du processus, mais plutôt au fait que les formations peuvent ne pas divulguer leurs méthodes de fonctionnement.
« J’irais même dire que, d’une certaine façon, c’est la part humaine qui fait que c’est opaque. »
J’irais même dire que, d’une certaine façon, c’est la part humaine qui fait que c’est opaque. Les réunions de sélection se déroulent à huis clos, sans enregistrement audio ou vidéo. Lors de ces réunions, des éléments comme la réputation du lycée d’origine des candidats peuvent être pris en compte, bien que cela ne soit jamais officiellement mentionné comme critère dans les fiches de formation publiées.
Comment les élèves vivent-ils cette « épreuve » comme vous l’appelez dans votre thèse ?
Dans ma thèse, j’ai suivi une cohorte d’une trentaine d’élèves issus de divers horizons : urbains, ruraux, d’établissements publics et privés. Mon étude qualitative s’est concentrée sur l’estime de soi des élèves et a cherché à identifier l’épreuve morale que représente Parcoursup pour eux.
« Parcoursup est un moment précis où les élèves doivent (re)définir leur avenir à travers un dispositif technique. »
Les résultats montrent que Parcoursup est bien plus qu’une simple procédure : c’est une épreuve au sens philosophique, où les défis individuels des élèves sont intimement liés à des enjeux sociétaux plus larges. Ce processus relie des questions sociales et historiques, telles que la sélection scolaire, l’individualisation de l’éducation et le passage à l’âge adulte, apparaissant comme un moment charnière. C’est un moment précis où l’individuel et le collectif s’entremêlent, et où les élèves doivent (re)définir leur avenir à travers un dispositif technique.
Pour beaucoup d’élèves, Parcoursup reste une formalité. Cependant, comme les élèves sont inégaux face aux critères tels que le lieu de résidence, l’établissement ou le sexe, des logiques sociales entrent en jeu et certains en payent le prix fort. Ces logiques se manifestent dans Parcoursup et agissent comme une épreuve, reflétant aux élèves des images d’eux-mêmes et de la société.
A titre d’exemple, la procédure est longue, stressante, amenant certains candidats à accepter une proposition qu’ils ne désirent pas forcément pour se défaire de ce moment. Pour d’autres, le refus sur des candidatures, sans explication, peut donner le sentiment aux élèves que c’est leur personne qui a été rejeté. Les élèves se présentent en tant que personnes, avec tout ce qu’ils sont. Ils ne savent pas si les formations n’ont regardé que les notes ou s’ils ont considéré autre chose. Alors les élèves ont l’impression que c’est eux, dans leur totalité, qui ont été rejeté.
Et les parents ?
Parcoursup est aussi une affaire de parents. Ils partagent souvent le désarroi de leurs enfants. Bien sûr, tous les parents ne sont pas impliqués de la même manière, tout comme leur niveau d’implication et de stratégie peut varier dans la scolarité en général. Mais pour ceux qui s’investissent pleinement, Parcoursup peut également être vécu comme une épreuve voire une violence.
On en fait quoi alors de Parcoursup ? On garde tout ? On jette ?
Les gens ne font pas confiance à Parcoursup. Ils ne faisaient pas plus confiance à APB à cause du tirage au sort, même si c’était seulement le troisième critère.
En attendant, il est possible de faire des pas supplémentaires, que ce soit vers plus de transparence ou moins de temps d’attente. Des efforts sont déjà en cours, comme l’amélioration des fiches de formation et l’optimisation du site web. Mais la transparence ne devrait pas se limiter aux étapes préliminaires. Des jeunes et des parents témoignent de la violence qu’ils ressentent face aux réponses des formations : « en attente », « refusé(e) ». Alors obtenir des explications détaillées par les formations, notamment sur les raisons et les critères de leurs décisions, pourrait être une avancée intéressante à envisager.
Concernant les temps d’attente, ils devraient être moins longs cette année. Le système de hiérarchisation des vœux a été réintroduit à partir de la phase complémentaire. Il a fallu huit ans pour mettre en œuvre une bonne idée qui existait déjà sur la plateforme précédente. La nouvelle plateforme sera plus rapide, et c’est un point positif, mais ce n’est pas une innovation du gouvernement. »
Pour aller plus loin, on vous invite à découvrir la tribune d’Alban Mizzi dans LeMonde sur « Des pistes pour rendre Parcoursup moins angoissant ».