Qu’est-ce que ça change, d’apprendre dans un collège hors contrat ? Comment vit-on une rentrée scolaire quand on choisit une voie alternative ? Dans cette interview croisée, trois collégiennes de « L’Autre Collège », établissement parisien, partagent leur enthousiasme, leurs doutes et leur regard sur une scolarité singulière.
Pour préserver leur anonymat, les prénoms ont été modifiés.
« Franchement, “hors contrat” ça ne m’évoque rien. Pour moi, c’est plutôt “alternatif” qui veut dire quelque chose. »
VLH : En France, il existe des écoles publiques, des écoles privées sous contrat et des écoles privées hors contrat. Ces dernières n’ont pas de contrat passé avec l’État au sens de la Loi Debré de 1959. Elles accueillent 4% des élèves inscrits dans le privé, soit une minorité d’élèves dont vous faites partie. Pourquoi avoir choisi un collège hors contrat ?
Jade : Je ne suis jamais allée dans une école classique. J’étais déjà dans une école avec une pédagogie Freinet[1] avant, donc ça me paraissait naturel de continuer dans un établissement alternatif.
Margot : Moi, j’ai fait la première partie de ma scolarité dans une école primaire classique. Ensuite, je suis allée dans une école alternative. C’est là-bas que j’ai rencontré Jade et elle m’a parlé de L’Autre Collège alors j’ai eu envie de la suivre. Je savais que je ne voulais pas aller dans un collège « normal », et ça me rassurait de savoir que je connaitrais au moins une personne.
Louma : J’ai fait une scolarité classique jusqu’à la mi-année dernière. Mais j’ai développé une phobie scolaire. Je n’ai jamais vraiment « kiffé » l’école, je ne me sentais pas à ma place. Le collège, c’était horrible, trop de travail… J’ai arrêté d’y aller. Ma psy m’a parlé du hors contrat et elle connaissait L’Autre Collège. J’ai fait une semaine d’essai et je me suis tout de suite sentie bien.
VLH : Qu’est-ce que ça vous évoque le terme de « hors contrat » ?
Louma : Franchement, « hors contrat » ça ne m’évoque rien. Pour moi, c’est plutôt « alternatif » qui veut dire quelque chose. En gros, ça veut dire que ton établissement n’est pas soutenu par l’État, mais tu as une plus grande liberté pédagogique. Il y a quand même des règles, des horaires à respecter, un socle de connaissances de base à acquérir…
Dans le classique, tu es noté, contrôlé, sanctionné. Tu as une peur constante. Ici, on apprend à notre rythme. Les cours sont moins pesants.
Jade : Je n’aime pas trop ce terme non plus. Et puis, le fait de dire qu’on n’a pas à suivre le programme, ça laisse penser qu’on ne fait rien, qu’on n’apprend rien. Alors que c’est faux ! A L’Autre Collège, on a moins d’heures de travail académique, mais quand on a cours de maths par exemple, on est hyper concentrés et hyper investis.
Louma : Les gens qui ne connaissent pas disent souvent « Ah, t’as pas de devoirs ? » comme si hors contrat voulait dire qu’on n’apprenait pas. Mais c’est surtout que ce n’est pas ça qui est important. Ici, c’est plus concret. Quand on arrive, on est un peu perdus, on a peur de ne rien apprendre. Mais finalement, on apprend énormément, sans notes ni bulletins. On manipule, on s’entraine, on est toujours actif.
Margot : Dans le classique, tu es noté, contrôlé, sanctionné. Tu as une peur constante. Ici, on apprend à notre rythme. Les cours sont moins pesants. On a des activités très variées, comme des ateliers « podcast » ou « trouve ton stage ». On fait du théâtre aussi, et on a plusieurs fois par semaine un temps « projet perso ». On choisit ce sur quoi on veut travailler sur le temps long (une semaine, un mois, plusieurs mois) et c’est un projet libre à chacun !
VLH : Qu’est-ce que ça change dans la relation avec les adultes ?
Margot : On a quatre enseignants. Trois sont salariés, et la directrice est bénévole. Les parents participent aussi, ils doivent venir aider au moins une demi-journée par semaine. Ça parait peu mais en même temps, on est 20 élèves de la 6ème à la 3ème.
Louma : Dans le classique, on est très solitaire. Il y a une distance avec les adultes. Ici, s’il arrive quelque chose à quelqu’un, même si on n’est pas hyper proches, on est solidaires, on se soutient.
Jade : À L’Autre Collège, on est un peu « forcés » d’être amis avec des gens qu’on n’aurait pas choisis dans un autre contexte, et ça nous ouvre à l’autre. On est peu d’élèves et d’adultes donc certaines barrières tombent, ça fait du bien.
VLH : L’Autre Collège articule un temps de travail académique formel assez court avec des temps de projets très longs. Quand on vient du classique, on peut avoir des appréhensions. Vous en aviez, vous avant la rentrée ? Et vos parents ?
Louma : Moi, c’était de l’émerveillement. Je souhaite à tout le monde d’avoir une expérience comme ça. Mes parents, eux, projetaient leurs peurs sur moi, surtout parce que je suis phobique scolaire. Et puis ils avaient peur que je n’apprenne rien ici. Maintenant, ils voient que j’apprends vraiment, que je me sens bien alors ils me soutiennent et soutiennent le projet de l’école. Même mon frère a rejoint l’Autre Collège, en cours d’année, il est en 6ème.
Margot : Mes parents étaient stressés aussi. Ils craignaient qu’avec des enfants un peu agités, on n’apprenne pas. Il y a eu des échanges avec la directrice, Marie-Laure, ça a beaucoup aidé à les rassurer.
Jade : Chaque jour, on a une matière principale – français, mathématiques, histoire-géographie, espagnol ou anglais. Il y a 1h30 à 2h de cours, puis on travaille sur des projets ou on fait des ateliers. C’est vrai que ça peut sembler peu mais quand je suis arrivée, c’était une ambiance unique. On jouait tout en apprenant. Et puis, durant les heures académiques, on est très concentrés, on se donne à fond parce qu’on sait que c’est court. Ces deux années, je ne les oublierai jamais, c’est sûr.
Durant les heures académiques, on est très concentrés, on se donne à fond parce qu’on sait que c’est court.
VLH : Comment vous imaginez la suite ?
Louma : L’année prochaine, je vais dans un lycée alternatif, Diagonale. C’est un peu plus classique puisque le matin, on a quatre heures de cours. Mais l’après-midi, c’est soit art, soit ciné-théâtre. J’avais pensé retourner dans le classique, mais ça aurait été compliqué, il aurait fallu faire des tests pour être sûr que j’ai le niveau académique requis. Comme je ne suis même pas sûre d’en avoir envie, je ne voulais pas m’infliger ça.
Jade : Moi, je sais juste que j’aimerais baigner dans l’art, mais je ne sais pas encore quoi exactement. Je me laisse du temps.
Margot : Je rêve de voyager, d’être avec les gens, de faire du théâtre… D’ailleurs l’an prochain, je retourne dans un collège classique, j’ai envie de changement, de rencontrer plus de monde. Je me sens bien ici, on est en tout petit comité et c’est chouette mais je crois que j’ai envie d’élargir mon cercle de connaissances.
VLH : Un dernier mot sur L’Autre Collège ?
Jade : C’est un collège qui nous pousse à aller au bout de nos envies.
Margot : Oui, ici on est encouragés à essayer, à tester. Même si après on décide de retourner dans le classique, on sait qu’un autre type d’apprentissage est possible.
À écouter Jade, Margot et Louma, on comprend que le hors contrat n’est pas une solution miracle, mais une alternative qui peut redonner du souffle à des jeunes en rupture ou en quête de sens. Ce type de scolarité suscite souvent des craintes, notamment aux parents, comme le coût, l’absence de programme imposé, un manque de reconnaissance. Mais il offre aussi des espaces pédagogiques et des pratiques centrées sur l’élève et son projet qui peuvent donner des pistes pour repenser l’école.
Propos recueillis par Alexanne Bardet
[1] La méthode Freinet est basée sur la pédagogie active. Parmi les points clés de cette méthode pédagogique on trouve : le tâtonnement expérimental, l’expression libre, la correspondance entre classes, le journal scolaire, un rythme d’apprentissage individualisé, la coopération entre pairs, l’école ouverte sur la vie, l’organisation coopérative de la classe, ou encore un aménagement de l’espace conçu pour favoriser la coopération.