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Les fameuses 298 abayas de cette rentrée ont réactivité le débat sur l’uniforme, éternel serpent de mer des pédagogues. Il est vrai qu’au regard de toutes les subtilités de jurisprudence que soulèvent le voile hier, l’abaya et le qamis aujourd’hui, l’uniforme semble incarner une réponse nette, tranchante, qui séduit majoritairement à droite, mais pas seulement : en janvier dernier, 59% des Français se disaient favorables à son rétablissement. Emmanuel Macron, dans la continuité de sa politique éducative territorialisée, propose d’avoir recours à des “expérimentations” et à une “évaluation” en ce sens. Cependant, il est évident que derrière ce souci d’homogénéisation des apparences, l’adoption de cette réforme poserait au moins autant de questions qu’elle n’en résoudrait.

Neutraliser l’origine socio-économique des élèves, est-ce possible ?

Premier argument en faveur de l’accusé : un tel vêtement gommerait, chez les élèves, les marqueurs sociaux discriminants. Il est indéniable que les marques jouent auprès des jeunes un rôle trop important, d’autant plus que la mode change au rythme effréné des réseaux sociaux et que l’on est pleinement en mesure de connaître aujourd’hui, l’impact dévastateur de la fast fashion sur l’environnement. Pour autant, il est difficile d’assurer avec certitude que les jeunes ne trouveront pas des stratégies de contournement pour revendiquer leur appartenance sociale. Les détails de la tenue – montre, chaussures, bijoux, mais aussi l’état de leurs vêtements, sauront en dire beaucoup sur l’origine des élèves. Du reste, si comme le propose Emmanuel Macron, on exige d’eux une “tenue unique” de type “jean, tee-shirt et veste”, et non un uniforme précis, il est évident que la marque dudit jean ou tee-shirt sera déterminante pour les intéressés et que cette question sera loin d’être résolue.

Par ailleurs, dans le cas où l’institution se chargerait directement de fournir aux élèves leur tenue, la question du prix et du payeur se pose. Elle n’est pas neutre : les estimations donnent un montant de 300 euros à investir par élève et par an dans l’uniforme ; une somme qui ne se substitue pas vraiment aux dépenses allouées à d’autres vêtements. Comme pour la cantine, un système de bourse, ou d’aide apportée par la collectivité, devra alors s’imposer afin que l’école républicaine reste entièrement gratuite.

Durcir le code vestimentaire, est-ce ouvrir le dialogue sur les religions ?

La plus vive interrogation qui soulève l’actualité est celle, derrière l‘uniforme, d’une forme d’homogénéisation de l’élève, par ce que le ministre Jean-Michel Blanquer avait maladroitement qualifié de “tenue républicaine” en 2020 – désirant d’ailleurs faire référence à une tenue “correcte”. Il est vrai que les questions de décence et laïcité se trouveraient directement reléguées au second plan. Mais, encore une fois, couvrira-t-il vraiment un élève des pieds à la tête, jusqu’à neutraliser tout ce qu’un adolescent voudra faire savoir de lui ? On touche ici au point le plus sensible. Dans un certain nombre d’établissements l’année dernière, des principaux partaient en quête de bandeaux “trop larges”, qui se rapprochaient subtilement du voile. Résoudra-t-il cette question, ainsi que celle que posent régulièrement les élèves un peu perdus dans les subtilités réglementaires : « pourquoi a-t-on le droit de porter une médaille et non une kippa ? » Rappelons qu’en France les bijoux qualifiés de “non ostentatoire” par la loi de 2004, sont autorisés à l’école. Rappelons également qu’au Royaume-Uni, où l’uniforme est de mise dans la grande majorité des établissements, les élèves sont simplement autorisés à venir avec un voile, une kippa, un dastar ou autre signe d’appartenance religieuse, tant que l’uniforme est correct.

La prise en compte du contexte national, et en particulier de notre approche française de la laïcité, est incontournable dans le choix d’un code vestimentaire scolaire. Si cette spécificité française demeure, l’uniforme fera office de pansement sur une jambe de bois.Car notre laïcité est assez complexe et veut que, pour contribuer à la liberté de culte de tous, chaque élève soit contraint de se faire discret. Elle engendre tabous et incompréhensions entre les murs des établissements publics, à tel point que ces questions sont devenues presque inabordables. Pourtant la religion ou l’absence de religion est un sujet important dans la vie domestique, culturelle, collective des Français, qui devrait pouvoir être discuté sans craintes de revendications ou attaques. Il faut pouvoir éduquer au débat et apprendre ce qui fait la spécificité d’une famille, d’une culture, et à bien comprendre la loi française à cet égard.

Renforcer la cohésion entre les élèves et construire une identité collective, pourquoi pas… mais quelle identité ?

En évoquant l’uniforme, des projections empreintes de la culture anglo-saxonne viennent à l’esprit : Harry Potter abordant les couleurs de Poudlard, des équipes d’aviron ou de water-polo brandissant fièrement l’effigie de leur école… A cela, on ne peut opposer qu’un argument : saurons-nous nous approprier ces habitudes, qui sont loin d’être ancrées dans notre patrimoine ? Pourquoi pas !

En revanche il ne faut écarter un autre risque : si comme en Angleterre, les établissements ont le choix d’imposer l’uniforme ou pas, une fracture politique se creusera entre eux. Il a été proposé il y a quelques jours de réserver l’uniforme aux quartiers prioritaires de la ville (sous-entendant d’ailleurs que la question de la laïcité ne se pose nulle part ailleurs) : pour le coup, il s’agirait de stigmatiser un peu brutalement des communautés entières d’élèves. Dans la continuité de ces interrogations, un autre risque se présente : faire de l’uniforme l’étendard politique d’un établissement. Car on se doute qu’il faudra statuer de son style, sa coupe et sa couleur. A qui reviendra le privilège : chefs d’établissement, conseils communaux, départementaux ? Saisiront-ils cette occasion pour se montrer réactionnaires ? Ou au contraire inclusifs ? D’autres feront-ils voter les élèves ? Les parents ?

Dans tous les cas, le consensus sera difficile à atteindre, preuve qu’il ne s’agit pas que de parler chiffon et que derrière l’évocation d’images d’Epinal, de vraies questions politiques se posent.

Camille De Foucauld

Cheffe de projet VersLeHaut

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