LE POINT DE VUE DE GUILLAUME PREVOST

Nous allons remettre l’autorité au cœur de l’école », annonçait le ministre dès sa prise de fonction. Les mesures annoncées contre le harcèlement s’inscrivent largement dans cette restauration : déplacement des élèves harceleurs, suppression des téléphones portables, suspension des réseaux sociaux.

Si l’intérêt pour le harcèlement et ses drames apparaît légitime, cette « séquence » politique et le branle-bas médiatique qui l’accompagne suscitent un malaise entêtant. Quelles conséquences aura ce vacarme sur des adolescents inquiets du regard des adultes ?

En particulier, les interpellations dans des établissements révèlent une tentation de criminaliser les enfants et jettent la confusion sur les responsabilités des adultes.

Est-il raisonnable de faire porter sur les seuls « harceleurs » la responsabilité d’un phénomène qui doit autant à l’environnement et à l’effet de groupe qu’à la volonté de nuire d’adolescents souvent eux-mêmes en difficulté ? Il est bien hasardeux de trancher le nœud des querelles des enfants et l’intervention mal ajustée des adultes peut être source de blessures et d’injustices, surtout si elle se borne à rechercher des coupables. Qui d’entre nous n’a pas fait cette expérience ?

Au surplus, quand bien même le coupable pourrait être ainsi désigné, est-il raisonnable d’exposer aussi massivement des enfants à la furia médiatique ?

Est-ce justice de les incriminer de reproduire ce que nous leur donnons sans cesse comme modèle sur les réseaux sociaux ou à la télévision ?

D’après une étude récente, près de la moitié des 6-10 ans détiennent un smartphone. Nous sommes-nous demandés si nos enfants sont toujours prêts à utiliser ces outils dont nous connaissons tous le caractère obsédant et envahissant ? La majorité numérique ayant été fixée à 15 ans par le législateur, la cohérence ne commande-t-elle pas de déconseiller aux familles d’équiper leurs enfants avant cet âge, à l’image des campagnes « pas d’écran avant 3 ans » ?

Le harcèlement a aussi des racines en dehors de l’école. Peut-on raisonnablement expliquer l’empathie à nos adolescents tout en continuant à laisser les publicitaires exploiter leurs vulnérabilités ? « Sauve la daronne », scandait récemment une publicité pour inciter les jeunes à « gagner gros », dans une chorégraphie sans scrupule qui voyait une mère de famille modeste propulsée de son HLM à une piscine de Miami par la grâce des paris en ligne de son merveilleux bambin. Où est passée la retenue indispensable à la légitimité de l’autorité ?

Au bilan, notre soudaine émotion est-elle le signe d’une légitime ambition éducative ou relève-t-elle de gesticulations d’adultes d’abord soucieux d’asseoir leur position ? L’autorité éducative demeure liée à l’engagement de prendre soin de l’enfant, de l’accompagner. Elle trouve sa légitimité dans les réponses apportées à ses besoins – aupremier rang desquels sa sécurité physique, affective et psychologique. Les difficultés de notre jeunesse nous rappellent notre responsabilité de protéger les enfants des outrances de la société du spectacle et des injonctions de la consommation de masse. Elles nous commandent de mieux accompagner les adolescents dans la formation de leur personnalité à un âge où ils doivent acquérir la confiance indispensable à l’exercice de leur liberté. Cet effort suppose de mieux associer les familles à l’effort éducatif de l’école et de cesser d’opposer des légitimités dont la cohérence est essentielle à la sécurité de l’enfant.

L’autorité doit toujours viser à faire grandir là où le pouvoir peut parfois diminuer en ne cherchant qu’à soumettre. Si elle perd cette boussole, elle restera peut-être une autorité, mais elle n’aura plus rien d’éducatif.

Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut.