Près de 80 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification et 60 000 mineurs ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi[1], avec des répercussions durables sur leur avenir professionnel et social. Face à cette réalité, il devient crucial d’identifier les solutions pour accompagner chaque jeune vers sa réussite.

« Je savais qu’il me fallait un aspect professionnel, qu’on me donne du sens à ce que je fais. »

VLH : Je crois savoir que c’est ta première année au collège Saint-Jacques. Avant d’y entrer comment vivais-tu tes années de collège ?

Timéo : Je le vivais mal, parce que les professeurs ne nous écoutaient pas. Ils ne s’adaptaient pas du tout à nous.

J’ai eu beaucoup d’histoires à partir de la 5eme, je faisais plein de bêtises. Mais quand j’essayais de me ressaisir et d’en parler avec les profs, ils ne voulaient rien entendre. Je devais me conformer à ce qu’ils m’imposaient, alors que ça ne me convenait pas du tout. Ils ne prenaient pas en compte ce que je disais.

Isabelle : En fait, on lui demandait de s’adapter au système scolaire alors que le système scolaire classique ne lui convient pas. Il aurait fallu que ce soit le système qui s’adapte à Timéo, notamment si on veut qu’il fournisse des efforts.

VLH : Comment as-tu découvert le programme 4R[2], qui soutient les jeunes en situation de décrochage pour construire une vie professionnelle épanouissante ? Et peux-tu nous raconter ce que ça t’a apporté ?

Timéo : J’ai fait beaucoup de progrès. Avant, je ne travaillais pas du tout. L’année dernière, je faisais un peu le bazar, c’est vrai. Mais même quand j’essayais de bien travailler, on me disait quand même que je faisais le bazar, alors que parfois, c’était faux.

En fait, j’ai été viré de mon collège à la fin de l’année de 4eme. J’ai donc cherché un autre établissement pour l’année suivante avec ma mère. Cette fois-ci je voulais plutôt partir dans le professionnel, alors on a cherché une 3eme prépa métier.

Après plusieurs rendez-vous avec mes parents dans différents établissements, on nous a fortement conseillé le dispositif relais 4R des Apprentis d’Auteuil. J’ai donc eu rendez-vous au collège Saint-Jacques qui propose ce dispositif et ça s’est bien passé.

Isabelle : Sa maman a joué un rôle essentiel (il n’a plus de contact avec son papa). Elle est auto-entrepreneuse et Timéo a réalisé grâce à elle l’investissement que son activité demandait. Je pense que ça a fini par le motiver à bien travailler à l’école pour se donner toutes les chances d’avoir un métier qui lui plaît vraiment.

VLH : Vu comment ton année de 4e s’est terminée, est-ce que tu étais inquiet avant de faire ta rentrée ?

Timéo : Non, parce que je ne suis pas quelqu’un de timide. C’est plutôt au niveau de comment ça allait se passer en cours que j’étais inquiet, notamment vis-à-vis des professeurs.

Mais en fait, dès le début, les profs s’adaptaient. Si on n’arrivait pas à comprendre quelque chose, ils nous l’expliquaient d’une manière. Et si ça ne fonctionnait pas, ils essayaient d’une autre manière, puis encore une autre, jusqu’à ce qu’on comprenne.

« Les profs cherchaient toujours à trouver une réponse à notre problème. Ils s’adaptaient. »

VLH : Tu as rencontré des difficultés depuis le début de ta scolarité au collège Saint-Jacques ?

Timéo : Oui, au début je refusais de travailler.

Isabelle : Au début de l’année, c’était très compliqué avec Timéo. Il était en refus total de travail : dès qu’on lui donnait un stylo ou une feuille, c’était la crise. Il “pétait des câbles”, essentiellement parce qu’il avait des grosses difficultés au niveau du graphisme (écriture). Je pense qu’il n’était pas du tout à l’aise pour faire quoi que ce soit à l’écrit.

La deuxième difficulté, c’est qu’il n’avait pas trouvé de sens dans les apprentissages. Il ne comprenait pas pourquoi on lui demandait de faire ça. En début d’année, on a passé un temps fou avec lui parce qu’à chaque demande, c’était « pourquoi, pourquoi, pourquoi ? ». On devait toujours tout lui expliquer.

Mais en prenant le temps de lui dire pour chaque notion (nouvelle ou non), comment cela lui servira dans le métier qu’il souhaite il a pris conscience que les apprentissages scolaires sont indispensables à la réussite professionnelle.  Nous l’avons valorisé au quotidien, on lui rappelait ses progrès depuis le début de l’année et le félicitait régulièrement, et là ça été le déclic.

Maintenant, il travaille très bien. C’est vraiment le jour et la nuit, même au niveau de l’écriture. En début d’année, ce qu’il écrivait était complètement illisible. Maintenant, il nous fait des copies doubles !

VLH : Quand on sait qu’en 2023, 100 000 jeunes ont arrêté le collège, est-ce que tu penses que tu aurais pu en faire partie ?

Timéo : Oui, j’y ai pensé car ça se passait mal dans mon ancien collège. Ça me semblait inutile d’y aller. Comme je faisais des bêtises, j’étais souvent seul en classe et j’avais des récrés en décalé, j’étais puni. Je me sentais découragé car rien n’allait dans mon sens et je ne me sentais pas écouté.

En fait, ce chiffre ne me choque pas, il y a des collèges qui font zéro effort. Le décrochage ce n’est pas une bonne chose, mais je comprends que des élèves craquent.

VLH : Est-ce que tu penses faire des choses plus intéressantes dans ton nouvel établissement par rapport à un collège « normal » ?

Timéo : Complètement. Par exemple on a fait une coopérative, on a fabriqué des bougies écologiques qu’on a ensuite revendues. C’est professionnalisant, j’ai pu en apprendre plus sur la vente, en plus j’ai trouvé ça génial que ce soit pour une coopérative. Et les cours sont intéressants car ils sont adaptés à nous et donc on apprend mieux.

VLH : De ce que j’ai compris du dispositif 4R tu as pu faire des stages, c’est bien ça ?

Timéo : Oui, en fait, on est vraiment orienté vers le professionnel. Au début, au collège, on nous explique comment faire un CV et comment se présenter. Ensuite, on doit faire nos recherches seuls. Au début, j’avais un peu peur, je ne savais pas comment ça allait se passer, mais finalement ça a été.

J’ai fait 10 stages d’une semaine : en pâtisserie, en restauration, en vente dans des enseignes comme Jeff de Bruges et Gémo. Ce que j’ai préféré, c’était mon stage chez un fleuriste, j’ai surtout aimé le contact avec les clients, apprendre de ma tutrice et réaliser des bouquets.

VLH : Tu as déjà des idées pour ton orientation après ta 3e ?

Timéo : J’ai vraiment aimé mon stage chez le fleuriste. Du coup, je voudrais faire un CAP fleuriste en apprentissage après ma 3e, j’ai déjà quelques pistes pour mon entreprise d’accueil.

Isabelle : Lorsque Timéo a décidé et a compris qu’il aimait le métier de fleuriste, je lui ai dit de chercher le diplôme qu’il pourrait préparer l’année prochaine pour suivre cette voie. Il devait aussi chercher l’établissement, et je lui ai conseillée d’aller aux portes ouvertes avec ses parents pour s’inscrire.

VLH : Tu sembles beaucoup apprécier cette formation, professionnalisation, c’est que c’est “concret”, tu voyais vraiment ce que ça allait donner pour toi plus tard ?

Timéo : Oui, c’est ça. Chacun a trouvé un parcours adapté à ses spécificités. Je savais qu’il me fallait un aspect professionnel, qu’on me donne du sens à ce que je fais. Je ne voulais pas qu’on me donne à écrire des trucs qui ne vont pas me servir. Quand c’est orienté vers le professionnel, qu’on t’apprend à faire des CV, des lettres de motivation, tu te dis que c’est beaucoup mieux, car c’est concret. A l’inverse des cours généraux, où je savais que ça n’allait pas bien se passer.

Isabelle : On adapte au maximum à chaque jeune. Il existe une base de départ où ils travaillent leur CV, leur lettre de motivation. En fait, on les guide, on les amène à postuler par exemple, mais l’objectif final est de les rendre autonomes.

Alors au fur et à mesure, ils affinent leurs demandes en fonction de leurs envies, et ils font toutes leurs démarches, appellent les entreprises, suivent leur planning de stage, etc.

VLH : Tu recommanderais ce dispositif à d’autres jeunes ?

Timéo : Oui, mais pas toujours. Pour ceux qui en ont vraiment besoin, notamment les décrocheurs, ou ceux qui ont d’autres difficultés, par exemple les jeunes neurodivergents. Mais si c’est juste pour se professionnaliser, non.

Timéo est un exemple parmi d’autres de l’importance de la valorisation des parcours scolaire autres que le collège dit classique ou les études longues. Permettons à chaque adolescent de trouver un environnement dans lequel ils pourront mobiliser leurs talents.

Propos recueilli par Sarah Boucharbia


[2] 4R : Remobilisation, Raccrochage, Réorientation et Réussite.


[1] education.gouv.fr