À Toulouse, la Maison des Familles accueille parents et enfants sans contraintes ni rendez-vous. Un lieu vivant où l’on tisse des liens qui font prendre confiance, grâce à des expériences collectives et des relations patiemment construites.
Repères ¤ Les dispositifs de soutien à la parentalité, gratuits pour la plupart, ne touchent que 10 à 15% des familles, notamment parce que leurs financements publics sont faibles (UNAF, 2022). ¤ 1/3 des parents affirment ne pouvoir compter que sur eux-mêmes concernant l’éducation de leurs enfants (Baromètre Jeunesse&Confiance, VersLeHaut, 2025). ¤ Il existe 22 maisons des familles actuellement en France. |
Au rez-de-chaussée du numéro 189 de la rue du Faubourg Bonnefoy, on découvre une maison où la porte est toujours ouverte. Ici, pas de badge, pas d’horaire imposé ni de formulaire à remplir : on entre et on sort quand on veut. C’est l’ambition profonde de la Maison des Familles de Toulouse, d’offrir un espace pensé d’abord pour que les familles se sentent « chez elles » — et ça change tout.
Nous parlerons principalement de « Mamans » dans cet article. Les pères ne sont pas pour autant absents, mais beaucoup moins présents. Ils occupent la Maison différemment, lors de temps forts notamment.
Un lieu de vie
Lorsqu’on pénètre dans la maison, on s’y sent bien. On ressent un subtil mélange de simplicité, avec des murs blancs et des meubles gris, et de générosité avec ces mêmes murs remplis de dessins, de mots, de mantras, des jouets débordent de l’espace dédié pour les enfants, une bibliothèque est remplie de jeux de société et la cuisine assez grande pour en faire un espace convivial.
C’est alors qu’on comprend que derrière cette apparente simplicité se cache un réel projet éducatif : offrir aux parents un lieu où ils peuvent expérimenter le vivre-ensemble, tisser de nouveaux liens et (re)trouver leur place. Et les familles le sentent qu’elles « sont chez elles ici. Rien ne se passe quand elles ne sont pas là », explique Charlène Senegas, responsable de la maison. Ce qui en fait un lieu vivant, c’est leur présence. Certaines ne font que passer, d’autres se posent plusieurs heures. Certaines mamans viennent avec leurs enfants pour qu’ils jouent, d’autre profitent de l’absence de leurs petits pour prendre un café entre mamans.
« Rien ne se passe quand les familles ne sont pas là. », Charlène Senegas
Charlène et Barbara, éducatrice de jeunes enfants de formation, s’occupent de la Maison des Familles depuis son ouverture, en 2019. Elles ont accueilli les premières mamans et gardent la porte ouverte aux nouvelles. L’accueil est anonyme et gratuit, la seule condition est d’être parent. La politique de la maison est alors adaptée à l’état d’esprit et aux besoins du moment des familles. Le 189 n’entend pas être un espace d’activités mais un lieu de vie où se construisent des liens – entre les enfants et les parents mais aussi avec les autres.
En effet, les familles qui fréquentent le 189 vivent souvent la précarité et l’isolement social. Beaucoup sont des mères seules ou éloignées de leurs proches. Elles confient d’ailleurs venir d’abord « pour leurs enfants », à la recherche d’activités qui pourraient les occuper (un atelier lecture, un temps de cuisine…). Mais ce qui fait la particularité de cette maison et l’importance de la relation qui se noue est qu’elles finissent par rester pour elles-mêmes.
Construire une relation plutôt que des activités
Certaines mamans sont là depuis l’ouverture de la maison, des « mamans de la première heure » comme elles se qualifient, en ajoutant même qu’elles ont construit la maison ! Et il y a un peu de vrai : « ce lieu existe parce qu’elles y mettent leur énergie, leurs idées et leur confiance », confie Charlène.
Barbara et Charlène ont alors bien compris que l’important était de leur laisser du temps. Le temps de franchir la porte, puis de revenir. Le temps de parler, de s’exprimer sur ce qu’elles vivent et veulent pour elles et leurs enfants. Enfin, laisser le temps de faire confiance pour s’investir dans la vie de la maison.
Elles viennent d’abord « pour leurs enfants » mais restent pour elles-mêmes.
Certes, il y a un planning. Mais il n’est connu que des familles qui fréquentent la maison. Et surtout, il n’est pas figé dans le marbre ! Les activités récurrentes comme la cuisine tous ensemble les mardis, peuvent être « zappées » si les priorités sont ailleurs pour les familles. L’équipe – salariées, bénévoles et stagiaires – n’imposent rien et construit avec. L’équipe « ne sait pas mieux » que les parents ni ne fait à leur place. Elle marche à leurs côtés.
« La relation est la priorité de la maison des familles » explique Charlène qui rajoute que « si on répond directement au besoin, on loupe l’étape qui nous sert à avoir une réponse ajustée et à aller plus loin que le besoin exprimé. » Dans un contexte où beaucoup de familles sont habituées à être perçues uniquement à travers leurs « manques » ou leurs difficultés, commencer directement par une réponse pratique — un rendez-vous médical, un accompagnement administratif, un soutien matériel — peut être vécu comme intrusif voire stigmatisant.
Créer et entretenir la relation prime parce qu’elle est un outil pour lever des freins, qu’ils soient exprimés clairement ou encore invisibles. Elle n’est pas un détour mais la condition nécessaire pour un véritable accompagnement. Et c’est cette relation horizontale qui va permettre de les soutenir dans certaines démarches. L’équipe va pouvoir « faire sécurité » pour ceux qui pourraient avoir du mal, mais sans jamais se substituer au parent.
Une confiance qui dépasse les murs de la maison
L’objectif premier est d’offrir aux parents une expérience positive : profiter d’une joie de vivre collective, découvrir la force de l’écoute et de l’entraide. À travers ces moments, ils reprennent confiance en eux, se sentent à leur place et légitimes, non seulement dans la maison, mais aussi au dehors. Petit à petit, ils se sentent capables d’aller échanger avec un enseignant, de participer à un conseil d’école, voire de devenir parents élus.
Dans cette maison, on n’apprend pas seulement à tisser des liens, on se prépare aussi à prendre sa place partout où se joue l’éducation de ses enfants.
Dans les discussions, l’école revient souvent : les inquiétudes face à la scolarité, les résultats de leurs enfants, les incompréhensions avec les enseignants. C’est un sujet prédominant même quand les enfants ne sont pas présents. Elles placent en l’école une importance particulière. Alors, lorsqu’elles rencontrent des difficultés, elles en parlent ensemble, relisent les histoires de chacune, se rassurent et s’entraident. Petit à petit, elles se sentent plus armées. Moins seules.
Les mamans parlent de la maison comme d’une « deuxième famille ».
Les mamans qu’on a rencontrées parlent de la maison comme d’une « deuxième famille », voire d’une « première » pour celles qui n’en ont pas. Elles y trouvent des amitiés solides, une écoute sans jugement. Et, entre les lignes, la conviction d’avoir elles aussi un rôle à jouer dans la réussite de leurs enfants et dans la vie collective.
À la Maison des familles de Toulouse, on ne « résout » pas un problème, on tisse d’abord un lien. On vient quand on veut, on reste le temps qu’on veut, et on apprend, peu à peu, à se sentir à sa place. Ce lien, c’est la première étape pour reprendre confiance. Et ce lieu, un véritable sas où la rencontre facilite l’accompagnement.
Alexanne Bardet