Dans la Loire, une école pas comme les autres fait rimer chant choral et émancipation. Intégrée au cursus scolaire, la Maîtrise du conseil général de la Loire montre comment la musique peut devenir un véritable outil éducatif, bien au-delà de l’apprentissage du chant ou d’un instrument.

Repères
¤ 89% des 15-24 ans estiment que la musique occupe une place importante dans leur vie (Baromètre du CNM, 2023).
¤ 41% des jeunes de 12-18 ans pratiquent ou ont pratiqué un instrument de musique ou le chant (Baromètre AgiSon, 2020).
¤ 7,5% de l’ensemble des collégiens suivent un enseignement facultatif de chant choral de 72 heures annuelles en 2019 d’après la fédération des chorales scolaires.

Une maîtrise, c’est un ensemble vocal composé de voix d’enfants, mais c’est surtout un dispositif qui permet à des jeunes chanteurs de mener de front leurs études et une formation musicale complète. Créée il y a plus de trente ans à Montbrison, celle du conseil général de la Loire détonne dans le paysage des maîtrises françaises. « Sa spécificité c’est qu’elle est publique, laïque et gratuite », explique Quentin Guillard, chef de chœur. « C’est un ovni. Pas de projet religieux, pas de projet de production, pas de projet de servir un but autre que celui de l’éducation artistique. »

Comme les dix autres maîtrises françaises, la maîtrise de la Loire fonctionne selon le principe du mi-temps pédagogique. Les élèves du collège suivent leurs cours généraux le matin avec les autres élèves du collège Mario Meunier à Montbrison. Les seuls cours dont ils sont dispensés sont les cours de musique et d’art plastique.  L’après-midi, ils rejoignent le centre musical Pierre Boulez pour une formation artistique intensive. Chant choral bien sûr, mais aussi technique vocale, danse, théâtre, création musicale…Les lycéens suivent leur cours normalement au lycée et ont un emploi du temps aménagé pour avoir deux après-midis par semaine consacrées à la musique.

Un dispositif financé par le département de la Loire qui permet à ces jeunes de bénéficier d’un enseignement artistique de haut niveau. Cependant, pour Quentin Guillard, « l’objectif n’est pas de faire de nos élèves une élite musicale. Notre but, c’est d’utiliser la pratique artistique comme vecteur d’éducation. »

Un projet éducatif par et pour le territoire

La maîtrise de la Loire ne se contente pas d’offrir une formation musicale d’excellence à ses élèves. Elle porte une ambition plus large : faire de la musique un levier éducatif à l’échelle de tout le département.

D’un côté, elle remplit sa mission première : donner la possibilité à des enfants passionnés de pratiquer la musique de manière intensive. Et pour cela, elle tente de rendre cet enseignement artistique accessible à tous.  « On ne favorise absolument pas les élèves qui ont un bagage musical », confirme Quentin Guillard. La condition, c’est plutôt d’avoir très envie de chanter et de ne pas avoir de problèmes vocaux. Par exemple, cette année, sur le groupe des sixièmes, seule une petite moitié d’élèves étaient déjà musiciens. Cela est rendu possible notamment grâce aux interventions des enseignants de la maîtrise dans les écoles afin de faire connaitre le dispositif et de réveiller des vocations.

« On accompagne des gens qui ont envie mais qui n’ont pas forcément les compétences ou qui ne se sentent pas forcément légitimes »

De l’autre, elle accompagne l’ensemble du territoire ligérien pour démocratiser l’accès à cette pratique artistique. « On accompagne des gens qui ont envie mais qui n’ont pas forcément les compétences ou qui ne se sentent pas forcément légitimes », explique Quentin Guillard.

Cette mission territoriale se décline concrètement à travers la formation des musiciens intervenants en milieu scolaire (MIMS) sur tout le département. L’équipe de la maîtrise les forme sur l’utilisation de la voix comme vecteur de développement des apprentissages. Mais c’est aussi auprès des enseignants que s’exerce cette mission d’accompagnement. « L’idée, ce n’est jamais d’aller dans une école pour faire à la place des enseignants. On y va en se disant : je vais coconstruire le projet avec l’enseignant, je vais l’aider à se sentir en capacité d’animer ce projet choral. »

Les élèves maîtrisiens eux-mêmes deviennent acteurs de cette démocratisation culturelle. Ils participent régulièrement à des projets qui portent la musique vers ceux qui en sont le plus éloignés. Les jeunes musiciens se sont par exemple rendus dans un Institut médico-éducatif pour des concerts adaptés. Pour Quentin Guillard, ce projet se décline de trois façons : « il forme nos jeunes musiciens à la rencontre de la différence et aux réalités sociales de leur territoire, il porte la culture vers ceux qui en sont éloignés par les contraintes du handicap, et il révèle des capacités insoupçonnées qui transforment le regard des soignants eux-mêmes. Au-delà du concert, c’est un partenariat durable qui naît, où chacun découvre ce qu’il peut apporter et recevoir. »

Une formation qui résonne au-delà de la musique

Apprendre à faire équipe

Si la maîtrise de la Loire forme indéniablement de bons musiciens, elle développe avant tout des compétences qui dépassent largement le cadre artistique. La pratique chorale, par sa nature même, exige une écoute mutuelle et une coordination permanente qui forgent des aptitudes précieuses pour la vie en société.

« S’il y a bien une chose que les maîtrisiens savent bien faire, c’est collaborer, pour créer quelque chose en équipe », observe Quentin Guillard. Cette capacité à travailler ensemble ne s’improvise pas. Elle se construit répétition après répétition en collectif, mais aussi lors des projets de création artistique pendant lesquels les jeunes musiciens peuvent être amenés à écrire, chorégraphier, mettre en scène ou composer ensemble.

« S’il y a bien une chose que les maîtrisiens savent bien faire, c’est collaborer, pour créer quelque chose en équipe »

Pour Guillemette, c’est même ce qu’elle a le plus retenu de sa scolarité : « Ce que j’ai principalement appris, ce n’est pas la musique : c’est le vivre ensemble, comment s’adapter à un groupe et faire en sorte que tout le monde fonctionne bien ensemble. » 

Au-delà de ces savoir-être, la pratique musicale ouvre également les horizons. « Il y a aussi l’idée qu’on n’apprend pas seulement à faire, mais on apprend aussi par la culture, plein d’aspects qui sont extrêmement différents. C’est une ouverture sur le monde », souligne Quentin Guillard.

Grandir et gagner en confiance

La pédagogie de la maîtrise repose sur un principe fondamental : faire confiance aux élèves pour qu’ils gagnent progressivement en autonomie et en responsabilité. Cette approche se matérialise notamment dans le spectacle de troisième, véritable aboutissement du parcours, où chaque élève se réalise tour à tour comme chanteur choriste, soliste, comédien et danseur.

« Pendant le spectacle de troisième, on passe d’enfants qui jouent à des adultes qui jouent. On est vraiment professionnels », témoigne Léandre, élève de troisième. Cette exigence professionnelle, loin d’être intimidante, devient source de fierté et de confiance. « C’était notre premier gros projet, on apprend un texte, on a des costumes, des répétitions intensives, plusieurs représentations, des solos…c’est vraiment un souvenir marquant et valorisant », se souvient Guillemette.

La multiplicité des situations de représentation habitue progressivement les jeunes à s’exposer devant les autres. Cette confrontation répétée à des regards différents développe une aisance qui dépasse largement le cadre musical. « On le voit bien : après leur parcours à la maîtrise, passer à l’oral devient facile pour beaucoup de nos élèves », observe Quentin Guillard. L’apprentissage de la scène forge ainsi une compétence transversale précieuse et pas toujours suffisamment travaillée pendant un cursus scolaire classique : savoir prendre la parole en public.

Cette confiance acquise déborde largement le cadre artistique et a par exemple permis à Guillemette de se projeter plus sereinement dans ses projets futurs. « J’ai l’impression que la maîtrise m’a donné une confiance dans les relations humaines. Avoir été écoutée, avoir vu mes idées prises en compte, ça m’a donné envie de travailler dans la culture », confie Guillemette.

Quand chanter permet de prendre l’air 

« On est moins attaché au collège car on n’y va que le matin. Ça fait du bien car à la maîtrise, tu ne penses plus aux contrôles ou aux devoirs, tu te concentres sur la musique », explique Léandre. Ce témoignage révèle comment la pratique musicale permet à ces jeunes de respirer dans un environnement où ils peuvent se recentrer sur ce qui les passionne, en dehors du cadre scolaire habituel. Cette « respiration » est essentielle dans le parcours de ces adolescents. « Avoir une pratique artistique, c’est intéressant à plein de niveaux, c’est moins scolaire, ça permet de prendre l’air. Et puis ça peut faciliter le scolaire ensuite, derrière », raconte Quentin Guillard.

« Les adultes de la maîtrise cassent le schéma habituel : ils créent une relation de confiance où tu respectes naturellement leur autorité parce qu’elle s’exerce différemment. »

Mais ce qui frappe le plus les élèves, c’est la qualité particulière du lien qui se tisse avec les adultes encadrants. « Les adultes de la maîtrise cassent le schéma habituel : ils créent une relation de confiance où tu respectes naturellement leur autorité parce qu’elle s’exerce différemment. Tu sais qu’ils sont là pour t’apprendre, pas pour te juger », témoigne Guillemette en indiquant que c’est un lien qu’elle n’a quasiment jamais retrouvé ailleurs.

Bien sûr, les élèves maîtrisiens ne sont pas exempts du stress scolaire, des défis de l’adolescence et de l’anxiété qui peut parfois toucher les jeunes de leur âge. Cependant, la pratique musicale leur offre des outils précieux et un environnement propice pour développer leur résilience. « Moi j’étais d’un naturel très stressé, je le suis toujours ! Mais on m’a donné des clés : les outils concrets comme la respiration, le yoga, apprendre à gérer mes émotions, et surtout un environnement où j’étais écoutée, soutenue et responsabilisée sans pression. Ces clés, je les utilise encore aujourd’hui », témoigne Guillemette.

Et si la musique n’était finalement qu’un prétexte ? Dès que l’enfant se retrouve au cœur d’un projet qui lui parle, il apprend mieux, développe sa solidarité et construit sa confiance tout en affirmant son individualité. Plus encore, cette pratique collective offre aux jeunes un lieu précieux, en dehors de la famille et de l’école, dans lequel ils peuvent grandir autrement.

Elise Wagner