Directeur des programmes de la Croix-Rouge française et ancien délégué général de VersLeHaut, Marc Vannesson consacre son parcours à l’éducation et au soutien aux familles. Dans cet entretien, il revient sur la création du think tank, la nécessité de bâtir une véritable société éducatrice et l’importance d’associer pleinement les parents au projet éducatif.
VersLeHaut : Est-ce que tu peux te présenter ?
Marc Vannesson : Je suis Marc Vannesson, directeur des programmes de la Croix-Rouge française.
VLH : Tu étais là à la création de VersLeHaut en 2015. À quoi ressemblait le paysage éducatif à ce moment-là et qu’est-ce qui vous a poussés à lancer ce projet ?
MV : Ce qui nous a poussés, c’est avant tout un sentiment d’injustice. Le constat d’une grave crise éducative en France, qui touchait d’abord les jeunes les plus fragiles. Nous avions envie de nous engager pour faire bouger les lignes, mais pas sur un mode de dénonciation. Nous voulions nous inspirer de ce qui marche déjà, de ce que les éducateurs portent sur le terrain, et nourrir ainsi le débat public et la réflexion des acteurs de l’éducation.
VLH : Qu’est-ce que vous vouliez changer ou faire émerger dans le débat public ?
MV : L’idée que l’éducation est vraiment l’affaire de tous. On est tous éducateurs : ce n’est pas seulement la responsabilité de l’école.
Toute la société doit se mobiliser pour relever le défi éducatif.
VLH : VersLeHaut se positionne comme un trait d’union entre recherche et terrain. Est-ce que ça existait déjà à l’époque ? Ou était-ce un vide à combler ?
MV : L’éducation, en France, a trop souvent été un champ de bataille idéologique, avec des débats sur des concepts abstraits, éloignés de la réalité du terrain. L’ambition de VersLeHaut, c’était d’associer les acteurs de terrain, les jeunes, les familles, les experts, non pas pour des grands débats théoriques, mais pour apporter des réponses concrètes, à partir de ce qui marche déjà.
VLH : Quelle est, selon toi, la plus grande force de VersLeHaut ?
MV : La confiance de ses partenaires. Ce qui m’a toujours marqué, c’est la diversité des personnes qui gravitent autour de VersLeHaut : enseignants, éducateurs, parents, personnalités très différentes… Tous ont fait confiance au think tank pour partager cette envie de relever ensemble les défis éducatifs.
VLH : Aujourd’hui, tu es en charge de l’éducation et du soutien aux familles à la Croix-Rouge française. En quoi ce rôle prolonge-t-il tes engagements à VersLeHaut ?
MV : J’ai voulu passer de la théorie à la pratique. Avec VersLeHaut, j’ai vu beaucoup d’expériences de terrain, et dans mes fonctions actuelles, je peux m’en inspirer. Je mesure aujourd’hui à quel point les travaux de VersLeHaut sont utiles dans un rôle plus opérationnel, où j’ai moins de temps pour réfléchir et analyser.
Avec VersLeHaut, j’ai vu beaucoup d’expériences de terrain, et dans mes fonctions actuelles, je peux m’en inspirer.
VLH : Concrètement, ça t’aide vraiment au quotidien ?
MV : Oui, énormément. Quand j’étais délégué général de VersLeHaut, je ne mesurais pas toujours l’impact de ce qu’on produisait. Je me disais parfois : « C’est évident ce que je dis, je n’invente rien ». Aujourd’hui, en étant plongé dans l’opérationnel, je vois combien ces analyses font gagner du temps, aident à voir plus clair et à créer des alliances. Et ça, c’est essentiel : face à l’ampleur des défis éducatifs, personne n’a la solution tout seul.
VLH : Le soutien aux familles a longtemps été absent ou marginal dans les politiques éducatives. Pourquoi est-ce un enjeu si central pour toi ?
MV : J’ai souvent eu l’impression qu’on faisait l’éducation sans les familles, voire contre elles. On donnait parfois le sentiment que si les inégalités existaient, c’était uniquement la faute des familles, et qu’il fallait « extraire » les enfants de leur milieu. Or j’ai vu, notamment grâce aux travaux de VersLeHaut, que le plus efficace était d’accompagner et de renforcer les parents. Ce sont eux les premiers acteurs de la lutte contre la pauvreté et l’ignorance. Plutôt que de les culpabiliser, il faut leur redonner confiance et les conforter dans leur rôle.
VLH : Selon toi, comment mieux articuler l’action de l’école avec celle des familles et des associations ?
MV : Il y a déjà beaucoup de belles initiatives. Ouvrir l’école aux parents est essentiel, pas dans une logique de « clients » mais dans une logique d’alliance éducative. Même les parents les plus éloignés de l’école, qui ont parfois vécu des échecs scolaires, peuvent jouer un rôle clé auprès de leurs enfants. L’école doit leur dire qu’elle compte sur eux, même s’ils ne maîtrisent pas toujours la lecture ou l’écriture.
VLH : Tu parles souvent de “société éducatrice”. As-tu vu cette idée progresser ces dernières années ?
MV : Oui, même s’il reste beaucoup à faire. VersLeHaut a contribué à desserrer l’étau qui faisait peser toute la responsabilité sur l’école. On a aujourd’hui une vision plus large : l’éducation n’est pas que l’affaire de l’Éducation nationale. Les entreprises aussi ont une responsabilité éducative, et si tout le monde agit ensemble, on avancera.
VLH : Quelles approches te paraissent les plus efficaces pour accompagner les familles ?
MV : Tout ce qui renforce les compétences parentales et favorise les échanges entre parents. Les faire se rencontrer, partager leurs expériences, ça ne coûte presque rien et les effets sont incroyables. Quand on voit le coût du placement d’un enfant, on se dit qu’investir dans la prévention serait bien plus efficace et bénéfique pour les enfants.
VLH : Et si tu devais projeter VersLeHaut dans les 10 prochaines années ?
MV : Continuer à porter le combat pour une société éducatrice. Un des grands défis, ce sera d’engager les meilleurs talents des nouvelles générations dans l’éducation. On a besoin de jeunes qui s’engagent auprès des jeunes. Investir dans l’intelligence artificielle est utile, mais il faut aussi investir dans l’intelligence humaine, l’intelligence du cœur. C’est ça, l’avenir.
Propos recueillis par Marion Denis