Clarisse et son conjoint ont choisi l’instruction en famille pour leur fils Célestin. Une décision prise après une première expérience scolaire difficile, et qui s’inscrit dans une vision de l’éducation où les apprentissages s’ancrent dans la vie quotidienne, loin du rythme imposé des rentrées, vacances et passages de classe. Récit d’un parcours qui interroge notre conception du temps scolaire.

Célestin a quatre ans. Et pourtant, ce mois de septembre n’est pour lui pas synonyme de rentrée scolaire. Car Célestin ne va pas à l’école. Il fait partie des quelques milliers d’enfants qui suivent une instruction en famille. Une solution alternative à l’école qui demeure très marginale – elle concerne officiellement moins de 1% des enfants en âge d’être scolarisés – mais qui nous interpelle sur notre tendance à compartimenter les temps de l’enfant. Au moment où les vacances se terminent et où le pays tout entier se met en ordre de bataille pour affronter la rentrée, autorisons-nous une petite parenthèse dans une famille où la rentrée n’aura pas lieu.

Une première rentrée… et une sortie précoce

Si Célestin ne poussera pas cette année la porte de l’école, il en a déjà fait une première expérience. L’année de ses trois ans, il a intégré une école hors-contrat alternative. Une structure de petite taille, volontairement conçue pour accueillir peu d’enfants — pas plus de 18 — avec un taux d’encadrement élevé, trois adultes pour sept puis onze enfants. Un cadre soigneusement choisi par ses parents pour se porter à la hauteur des besoins particuliers de Célestin.

Tout avait été soigneusement préparé par sa mère, Clarisse. Accompagnée par des professionnelles de l’enfance, elle avait anticipé sa première rentrée scolaire : livres, visite de l’école, photos des moments de la journée… Le premier mois se passe bien. Célestin est le plus jeune, un adulte est souvent disponible pour lui. Mais peu à peu, les choses se dégradent : réveils en pleurs après chaque sieste, refus d’aller à l’école au moment de partir le matin. Malgré plusieurs rendez-vous avec l’équipe pédagogique, ils peinent à répondre à ses besoins. D’autant plus depuis La Toussaint, plusieurs autres enfants ayant rejoint l’école, en cours d’année. En janvier, Clarisse sent qu’il va falloir trouver une autre solution. En mars, les parents déscolarisent leur fils. « Je privilégie sa santé mentale », affirme-t-elle simplement.

Vivre, apprendre, transmettre : une instruction ancrée dans le quotidien

La plongée dans l’univers de l’instruction en famille (IEF) se fait un peu dans l’urgence. Clarisse aurait souhaité privilégier cette solution dès le départ – « c’était mon premier choix » confie-t-elle. L’école alternative avait été choisie comme en entre-deux après discussion avec son conjoint qui était moins favorable à l’IEF. Mais dorénavant, le choix est assumé par les deux parents et il faut anticiper la prochaine rentrée scolaire.

Car désormais l’IEF est soumise à une autorisation préalable. Il faut donc monter un dossier qui contient tout un volet pédagogique. Clarisse se renseigne énormément, s’entoure, intègre des groupes locaux en Isère et à Lyon[1].

En septembre 2024, la rentrée arrive. Et Célestin n’est pas à l’école. C’est officiellement sa première année d’instruction en famille. Pour marquer le coup, plusieurs familles de la région organisent la “journée de la non-rentrée” au bord d’un lac. Clarisse et son fils y participent. C’est le coup d’envoi d’une année scolaire très différente de ce que vivent la plupart des enfants de son âge.

“On n’a pas préparé de rentrée, parce qu’on ne conçoit pas les choses en termes de vacances ou de cours. Il n’y a pas de coupure, c’est une continuité.”

Rapidement, Clarisse, qui assume la responsabilité de l’instruction de son fils, met en place un quotidien où l’instruction se mêle naturellement à la vie. “Il apprend énormément à partir de ses envies”, explique-t-elle. Des marrons ramassés dans la rue deviennent une leçon d’addition. Une boîte aux lettres en carton devient prétexte à la lecture : elle lui “poste” des mots. Avec une catapulte à lettres, il apprend l’alphabet en jouant. Un jour, ils fabriquent du pain ensemble : l’occasion de manipuler les chiffres. Le lendemain, la corvée de lessive offre l’occasion d’identifier les lettres du programme, de choisir la température. Le surlendemain, c’est la lecture du calendrier et sa suite régulière de nombres. “Chaque jour, il se passe quelque chose qui relève de l’apprentissage”, dit-elle.

Se porter au plus près du rythme de l’enfant

À l’écoute des besoins de son fils, Clarisse construit une approche pédagogique sur mesure. Elle s’inspire des travaux de Céline Alvarez, utilise les lettres magnétiques, suit les conseils d’une orthophoniste, Léa Helias, rencontrée sur les réseaux sociaux. Mais elle ne cherche pas à reproduire l’école à la maison.

L’apprentissage ne suit pas le calendrier scolaire, mais le rythme de Célestin. Clarisse documente les apprentissages dans un carnet hebdomadaire et suit les attendus du cycle 1 de l’Éducation nationale. Mais elle n’en fait pas une obsession. Elle assume de se fier à son ressenti, à privilégier l’épanouissement de Célestin aux attendus scolaire. Quitte à défier l’institution ! « On a parfois plus peur de la répression administrative que de voir nos enfants malheureux, c’est bizarre, non ? »

L’importance de l’entourage

La rentrée porte la promesse d’être entouré toute l’année d’un collectif d’enfant et d’adultes. Mais qu’en est-il pour Célestin qui ne connaîtra cette année ni la salle de classe, ni la cour de récréation ? Contrairement aux idées reçues, l’IEF n’est pas un isolement. “On se sent moins dans notre bulle que les gens le pensent. Et même moins que lorsqu’il était à l’école !”, dit Clarisse. Célestin grandit entouré d’une constellation d’adultes et d’enfants : une nounou qu’il adore (“Je voudrais qu’elle vive avec nous”), des copains qu’il voit chaque semaine, des visites organisées par plusieurs familles en IEF (ferme, château, expositions, cirque), des activités de pédagogie par la nature.

L’autorité n’est pas non plus monopolisée par ses parents. Célestin accepte d’être soigné par le père d’un ami après une piqûre de guêpe ; il suit les consignes lors d’activités encadrées ; il passe des journées chez des amis ; il voit régulièrement ses grands-parents, sa cousine, ses arrière-grands-parents, oncles et tantes malgré les sept heures de route qui les séparent. Clarisse insiste : “Il a naturellement différentes figures d’autorité. C’est moins ‘obligé’ qu’à l’école, mais il fait volontiers ce que les adultes lui proposent.”

L’IEF, pour elle, est d’ailleurs pleinement une aventure collective. Entre la nounou, les échanges avec d’autres familles, le partage d’outils pédagogiques sur les réseaux sociaux, le soutien de professionnels de l’enfance avec qui Clarisse travaille dans le cadre de son activité, elle se sent bien encadrée.

« Je ne veux pas l’enfermer dans une bulle. Je veux qu’il trouve son propre chemin, à son propre rythme. »

Au point de constater que la charge personnelle qu’elle pouvait redouter en s’engageant dans l’instruction en famille se révèle moins lourde que prévu. “Les gens s’imaginent qu’on est tout le temps épuisé. Mais c’est tout l’inverse : on n’a pas nos enfants qu’à l’heure du bain quand ils sont déjà fatigués de leur journée de classe. On peut partager des moments privilégiés où ils sont eux-mêmes pleinement disponibles. C’est moins épuisant pour nous. »

Une autre temporalité de l’enfance

Le plus grand bouleversement que l’IEF a apporté dans leur vie, c’est le rapport au temps. Il n’y a plus de rupture entre le temps scolaire et le temps familial, entre semaine et week-end, entre année et vacances. “Aujourd’hui, on n’a rien fait de scolaire. Mais dimanche, on va en faire, parce que ça viendra à ce moment-là”, résume Clarisse.

Même l’été est une continuité. Ils organisent des sorties au musée, planifient des activités avec des intervenants pédagogiques, poursuivent leur carnet d’apprentissage. “Le temps de repos est nécessaire, mais il ne se découpe pas comme dans le calendrier scolaire.”

Et pour septembre ? “On n’a pas préparé de rentrée, parce qu’on ne conçoit pas les choses en termes de vacances ou de cours. Il n’y a pas de coupure, c’est une continuité.”

La rentrée… un jour !

Célestin sait que d’autres enfants vont à l’école. Il écoute des podcasts qui se passent en classe, joue à faire comme s’il était à l’école avec ses copains. Il pose des questions : “elles dorment où, les maîtresses ?” Mais pour l’instant, il ne veut pas y retourner. “Quand je serai plus grand”, dit-il.

Et si un jour il décidait de faire sa rentrée ? Il la ferait alors en connaissance de cause, parce qu’il l’aura choisie. “On envisagera les choses en fonction de lui”, affirme Clarisse. Elle s’est déjà renseignée sur les solutions proposées par le Centre national d’enseignement à distance (CNED), sur les éventuelles classes passerelles que nécessiterait son retour dans le système scolaire. « Je ne veux pas l’enfermer dans une bulle. Je veux qu’il trouve son propre chemin, à son propre rythme. »

Quitte à prendre son temps : « Je ne me mets pas la pression. S’il passe le bac à 17 ou 19 ans, ça ne changera rien. »

L’histoire singulière de Célestin et de sa maman constitue un pas de côté par rapport à la vision usuelle de l’enfance organisée largement autour d’une succession d’étapes imposées – et qui peuvent être vécues comme autant de ruptures, en particulier durant la petite enfance. A l’heure où une Convention citoyenne se penche sur la question des temps de l’enfant, elle constitue un exemple d’une éducation conçue comme une exploration continue, guidée par la curiosité, les rencontres et la confiance.

Portrait réalisé par Stephan Lipiansky


[1] L’autorisation d’’instruction en famille est limitée à certains motifs précis relatifs à l’état de santé ou le handicap de l’enfant, la pratique intensive d’une activité sportive ou artistique, l’itinérance ou l’éloignement de tout établissement scolaire ou l’existence d’une situation propre motivant le projet pédagogique. C’est sur la base de ce dernier motif que la demande a été déposée par les parents de Célestin.