Quitter son pays – et son continent – était pour María José le prix à payer pour accéder à une formation d’excellence en mécanique quantique. Depuis la cour ensoleillée de l’École Normale Supérieure, elle raconte, dans un anglais impeccable, son expérience d’étudiante étrangère en France en 2025. Dans un contexte où les Etats-Unis ferment leurs portes aux étudiants et chercheurs étrangers, son témoignage rappelle qu’attirer les jeunes talents dans les universités françaises est possible, mais à quelques conditions : simplifier les démarches administratives, proposer un accompagnement logistique et pédagogique et surtout, faire vivre une culture d’accueil et de l’acceptation des différences, dans les institutions comme au quotidien.
A la recherche d’une formation de haut niveau
VLH : Pourrais-tu me parler de ton parcours scolaire jusqu’à ton arrivée en France pour tes études ?
Je viens de Celaya, une petite ville à 4 heures de Mexico, dans l’Etat de Guanajuato. A l’image de mes trois grandes sœurs parties après le lycée, je n’ai jamais envisagé de rester dans ma ville natale après le bac. Nos parents nous ont toujours encouragées à être autonomes.
C’est au lycée que je me découvre une passion pour la physique. J’aime relever des défis, faire des choses difficiles mais intellectuellement stimulantes. Pendant ma licence à Instituto tecnológico y de estudios superiores de Monterrey (ITESM), j’ai compris que je voulais poursuivre un master de physique théorique ailleurs. Cette discipline est mieux reconnue à l’international. Au Mexique, les disciplines appliquées, comme l’ingénierie ou la chimie, sont davantage valorisées. Je n’avais donc que le choix de me conformer à un domaine moins passionnant ou chercher des formations ailleurs.
VLH : Comment as-tu choisi la France ?
Quand l’occasion s’est présentée de partir en échange pendant ma licence, j’ai choisi la France parce que je parlais déjà un peu la langue. J’aimais bien le pays aussi, je l’avais découvert à 17 ans lorsque j’ai visité une de mes sœurs qui travaillait à Grenoble. En plus, le partenariat proposé était avec l’Ecole Polytechnique, une école réputée.
C’est pendant cet échange que je suis vraiment tombée amoureuse de la France. Cela m’a permis d’entrer ensuite en master à l’ENS[1]. En France, il y a une obsession avec les grandes écoles et y étudier est vraiment un atout.
Ces rentrées qui ont tout fait basculer
VLH : Tu as vécu deux rentrées scolaires en France, d’abord en échange en Polytechnique, puis en septembre dernier en Master à l’ENS. Comment se sont-elles déroulées ?
La première était un peu horrible ! A mon arrivée, sans internet et avec des instructions peu claires, j’ai eu du mal à trouver le campus. Puis, je me suis sentie un peu à l’écart des autres étudiants internationaux, tous venant d’Europe. Mais ensuite, ça s’est arrangé.
Mais à l’ENS cette année, tout a été beaucoup plus simple : on nous a bien accueillis, bien informés, et l’école m’a aidée pour les démarches, le logement et la bourse mensuelle, sans laquelle je ne pourrais être ici.
Plus généralement, changer de pays implique aussi d’autres exigences et prérequis académiques. À l’ENS, le rythme est soutenu et les examens exigeants. Je me rends compte que ma formation au Mexique ne m’a pas bien préparée pour tous les sujets qui sont traités dans mon master. Mais les professeurs sont investis et nous encouragent. C’est dur, mais je suis contente : j’apprends beaucoup, c’est ce que je voulais.
VLH : Pour les étudiants étrangers, la rentrée peut être très stressante. Comment as-tu vécu cet aspect-là de la transition ?
Avant même d’arriver en France, on doit attendre que l’école nous adresse les documents nécessaires pour postuler au visa. Sans ça, on ne peut ni acheter un billet d’avion ni trouver un logement. Je trouve que parfois il peut y avoir un manque de considération des besoins des étudiants internationaux à ce niveau-là.
A mon arrivée en France, j’ai été un peu submergée par les démarches à faire en peu de temps : les APL [aide personnalisée au logement], Améli, la CVEC [Contribution de vie étudiante et de campus]… Personne n’explique dans quel ordre procéder, et tous les sites sont en français, ce qui complique encore les choses.
Au Mexique, même dans les écoles très prestigieuses, les gens s’entraident beaucoup. J’ai été surprise en venant en France de découvrir que les gens ne partageaient pas vraiment ce réflexe.
VLH : Déménager dans un autre pays pour les études veut également dire reconstruire une vie ailleurs, y compris une vie sociale. Comment se passent les relations avec tes camarades français ? As-tu pu nouer des amitiés ?
Honnêtement, je pense que les étudiants français ne sont pas très enclins à nouer des amitiés avec les étudiants étrangers. On peut être camarades, on peut manger ensemble et beaucoup sont gentils. Mais une fois le semestre fini, ils ne cherchent pas vraiment à se revoir. Beaucoup sont originaires de Paris et ont déjà leurs cercles d’amis. La gentillesse et la solidarité des Mexicains me manque beaucoup. Au Mexique, même dans les écoles très prestigieuses, les gens s’entraident beaucoup. J’ai été surprise en venant en France de découvrir que les gens ne partageaient pas vraiment ce réflexe.
La vie en France de l’installation à l’enracinement
VLH : Une partie de la communauté scientifique en France est alarmée par la stagnation voire la baisse de la représentation des femmes dans certains domaines scientifiques comme la physique et l’ingénierie[2]. Qu’en penses-tu au regard de ta propre expérience ? Est-ce différent d’être une scientifique en France par rapport au Mexique ?
J’en ai discuté récemment avec une doctorante qui m’a expliqué que, même si en France les femmes sont de plus en plus nombreuses en doctorat, les postes permanents restent majoritairement occupés par les hommes.
Mais je pense quand même que la situation est meilleure en France qu’au Mexique. Quand j’ai dit à mon père que je voulais étudier la physique, il m’a répondu que c’était « un métier d’homme ». Ce qu’il voulait dire est qu’étudier la physique en tant que femme allait être difficile pour moi. Dans un certain sens, il avait raison.
J’ai l’impression qu’au Mexique, une fille en physique doit presque cacher sa féminité pour être prise au sérieux par ses camarades garçons, ce qui est moins le cas en France. Globalement, je trouve les normes sociales moins strictes et les jeunes plus matures et confiants sur certains sujets.
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la France : je voulais avoir une vie personnelle à côté du travail.
VLH : Qu’est-ce qui te plaît en France ?
En ce moment, je suis en stage de recherche dans un labo, et je suis étonnée par le rapport plutôt détendu qu’ont les Français au travail. Si tu as besoin d’une pause, tu peux prendre un café au soleil pendant une demi-heure et revenir sans problème. A mon travail au Mexique, si je me levais trois fois pour aller aux toilettes, mon chef me disais que je perdais trop de temps. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la France : je voulais avoir une vie personnelle à côté du travail.
Je pense que le temps de repos est aussi particulièrement important en recherche. Parfois, il faut pouvoir décrocher et revenir le lendemain avec un regard frais pour mieux analyser les données. La recherche, ce n’est pas simplement : « voici une idée et voici les résultats », mais surtout « ces résultats sont-ils intéressants ? Pourquoi oui, pourquoi non ? Qu’est-ce qu’ils nous apprennent ? ».
VLH : Plus généralement, comment vis-tu le fait d’être étrangère en France ?
Pour moi, être étrangère en France n’est pas si difficile, parce que ma langue et ma culture sont plutôt similaires à celles en France, ce qui facilite l’accueil et l’adaptation. En revanche, pour mes amis indiens par exemple, tout est différent : la langue, la religion, la cuisine… Et j’ai déjà vu qu’ils peuvent être traités différemment que moi ! Ce qui est dommage, parce qu’il y a beaucoup de personnes talentueuses qui n’ont pas envie de venir en France à cause de ce genre d’expériences. L’idée de pouvoir être prise pour cible alors que tu as sacrifié autant pour venir ici, c’est dur.
Je fais de la recherche pour la France, pas pour le Mexique. L’idée de pouvoir être prise pour cible alors que j’ai sacrifié autant pour venir, c’est dur.
D’autres rentrées en France… ou rentrer chez soi ?
VLH : Qu’attends-tu de la rentrée prochaine ? Plus largement, quelles sont tes perspectives pour l’avenir ? Veux-tu rester en France ?
Je voudrais vraiment utiliser ce master comme un tremplin dans le monde académique, faire un doctorat et puis trouver un poste postdoctoral, idéalement en France, pour profiter de l’environnement de recherche en Europe.
À terme, la question de rester en France ou de rentrer au Mexique est une épée à double tranchant. D’un côté, je veux offrir à mes enfants, si je décide d’en avoir, les opportunités qu’offre la France — qu’ils puissent grandir dans un environnement où une fille qui aime les sciences puisse se sentir à sa place, qu’elle ait confiance en elle, qu’elle ose prendre des risques et aller plus loin que moi. Mais d’un autre côté, je tiens profondément à ce qu’ils puissent, comme moi, grandir en tant que Mexicains.
Interview réalisé par Eva Kolbas
[2] « Sciences : où sont les femmes ? », Rapport de l’Académie des Sciences – le 18 juin 2024, https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rapport_femmes_science.pdf
[1] Ecole normale supérieur