De la fugue à l’incarcération, le parcours de Nora a été tout sauf linéaire. Malgré plusieurs interruptions scolaires et une scolarité en détention, elle est aujourd’hui auxiliaire de vie et mère d’une petite fille. Son histoire, qu’elle nous partage, est celle d’une jeune femme qui a su faire preuve de résilience et de détermination pour transformer les épreuves en étapes.
Pour préserver son anonymat, le prénom a été modifié.
« On n’avait plus rien, même les profs ne venaient même plus. Elles disaient qu’elles venaient et on attendait et au final, il n’y avait personne. »
Un parcours fracturé
Lorsqu’on demande à Nora de se présenter, elle va directement à l’essentiel : « j’ai 21 ans, une fille d’un an et demi, et je suis auxiliaire de vie à Nice. » De cette courte phrase, on comprend que son parcours est beaucoup plus dense et sinueux. Peut-être parce qu’elle a cette manière de dire les choses d’une traite, comme si elle ne voulait pas s’étaler sur sa vie. Pourtant, elle a accepté cet échange. Donc pour comprendre ce qu’elle a vécu, on accepte d’emblée qu’elle en gardera une partie pour elle.
Et effectivement, Nora a traversé de nombreuses étapes dans sa vie qui l’ont faite grandir. Vite. Trop vite ?
Elle a été placée à l’âge de 13 ans dans un foyer d’accueil à Strasbourg. « C’était après une longue fugue, d’un an. Lorsqu’ils voulaient me ramener chez ma mère, j’ai dit non, alors on m’a placé » précise-t-elle en ajoutant que sa mère « est très toxique, quand on se voit peu ça va mais vivre chez elle, c’était plus possible. » Elle a fait ce choix pour se protéger. A ce moment-là, elle n’était déjà plus scolarisée, « je n’ai fait ni 4ème, ni 3ème ».
Cette période marque un tournant pour Nora. Elle se retrouve très éloignée de sa famille, placée dans le Nord-Est de la France alors qu’elle vit dans le Sud-Est, le manque de ses deux sœurs se ressent. Les jeunes confiés connaissent souvent des difficultés scolaires plus marquées, avec des parcours heurtés, jalonnés de redoublements ou de déscolarisation. Elle n’y échappe pas et semble même s’y enfoncer. Non seulement elle n’est plus scolarisée mais « au foyer, il n’y a pas de limite » explique-t-elle en ajoutant que les fugues se poursuivent. C’est là-bas qu’elle commence à fumer aussi, par exemple.
C’est à ses 16 ans que la sentence tombe : elle sera incarcérée dans un des 6 établissements pénitentiaires pour mineurs de France.
C’est à ses 16 ans que la sentence tombe : elle sera incarcérée dans un des 6 établissements pénitentiaires pour mineurs de France, 12 mois. En France, moins de mille jeunes sont incarcérés à ce jour. Il y a quelques années, Nora faisait partie de cette minorité. Elle parle de cette période de manière assez floue, « ça remonte un peu ».
La scolarité, une contrainte ?
La scolarisation des jeunes est obligatoire jusqu’à leurs 16 ans, qu’ils soient incarcérés ou non. Et jusqu’à leurs 18 ans, une formation doit leur être dispensée. Pourtant l’organisation de la scolarité en prison rencontre de nombreux obstacles. Les problèmes d’effectifs de l’administration pénitentiaire ou le « primat de la logique sécuritaire »[1] entravent ces obligations.
Bien que les horaires de cours soient fixes, et devraient tourner autour de 25h de cours (ou formation), les jeunes ne peuvent pas toujours y assister. Entre les rendez-vous médicaux ou ceux au parloir avec leur avocat, les priorités ne sont pas toujours à la salle de classe. Mais les contraintes ou réticences ne viennent pas forcément des jeunes qui sont d’ailleurs décrits comme « très demandeurs » dans la dernière étude de la DPJJ[2]. Résultat : ils n’ont souvent que « quelques cours par semaine » explique Nora. On parle de « 3 ou 4 heures avec un peu de tout, de l’anglais, du français » précise-t-elle. La moyenne nationale tourne, elle, autour de 5 ou 6h aujourd’hui[3].
Pour Nora, une autre contrainte – plus exceptionnelle – s’ajoutait : la crise du COVID. Les confinements et les restrictions sanitaires ont frappé plus durement qu’à l’« extérieur ». Pendant cette période, elle raconte : « On n’avait plus rien, même les profs ne venaient même plus. Elles disaient qu’elles venaient et on attendait et au final, il n’y avait personne. »
L’impossible rentrée scolaire
Le caractère extraordinaire de la rentrée scolaire, pour beaucoup d’élèves, perd de sa superbe dès lors qu’on l’aborde sous l’œil de la scolarité en prison. Parce que le jeune qui se retrouve en situation de placement éducatif au sein de la PJJ[4] peut l’être à n’importe quel moment de l’année. Et pouvons-nous dire alors qu’il y fait sa rentrée scolaire comme les autres ?
Pour ceux encore scolarisés, – et on observe depuis quelques années qu’ils sont de plus en plus dans ce cas – notamment dans des bacs pro ou techno, cette détention produit une « double rupture »[5] : avec leur environnement quotidien et dans leur scolarité. Pour les autres, cette détention induit une « double peine »[6) : l’enfermement et l’obligation scolaire.
Et puis… Difficile de faire sa rentrée des classes quand on ne sait même pas dans quelle classe on est. Dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, les groupes sont mouvants et instables… Les mineurs en détention restent en moyenne 4,9 mois[7]. Mais la durée de leur placement n’est pas la seule raison.
Difficile de faire sa rentrée des classes quand on ne sait même pas dans quelle classe on est.
Le critère de composition d’un groupe n’est que rarement le niveau scolaire ou l’âge mais plutôt la prévention des risques de violence. Nora témoigne en ce sens : « on était obligé d’être deux groupes parce que certains ne s’entendaient pas, […] on avait entre 14 et 18 ans. »
En réalité, l’école en détention semble moins viser à faire vivre une rentrée qu’à préparer, en creux, celle d’après — qu’elle soit scolaire ou professionnelle. Nora n’a pu suivre que très peu de cours, difficile de considérer que ce sont ces temps-là qui lui ont permis de « raccrocher ».
En fait, ce sont plutôt les quelques activités extrascolaires, à vocation éducative, qu’elle a eu avant le confinement, qui ont joué un rôle. Elle a passé l’ASSR2 par exemple et son expérience m’a faite sourire : « j’étais pas du tout prévenue, on m’a réveillé un matin on m’a dit “tu passes l’ASSR2“, j’ai dit ok et je l’ai eu ». Elle a aussi eu des ateliers de médiation animale avec des chiens, des serpents. Ces « à côté » ont contribué à lui donner un bagage pour préparer sa sortie.
Se construire après
Après sa sortie, Nora a dû reconstruire un parcours, entre volonté de s’en sortir et obstacles personnels et structurels. « L’éducatrice en prison, elle m’a reçu une fois. Elle m’a dit que j’aurais un éducateur en dehors. Et celle du dehors, je l’ai vu 2 fois avant la sortie : une fois pendant la détention, une fois le jour de la sortie. Après de moins en moins, mais j’ai encore des liens avec elle » confie Nora. Son travail était de favoriser et accompagner l’insertion scolaire ou professionnelle de Nora.
Quand elle m’explique qu’elle a repris le lycée dans cette même temporalité, on a le sentiment que Nora trouve sa voie. En effet, à sa sortie elle retourne dans une maison d’enfants où elle suit des séances d’équithérapie. Le contact avec les chevaux lui fait du bien. Et c’est dans la famille d’accueil qui l’héberge à la campagne qu’elle entame un CAP[8] agricole palefreniers-soigneur en alternance avec le centre équestre à côté. Bien qu’elle ira au bout de ce cursus, à la campagne puis en ville, elle ne continuera pas dans ce domaine. Ce n’était pas l’envie qui manquait mais sa situation personnelle. « Je suis tombée enceinte, ma mère m’a proposé de revenir. La campagne c’est beaucoup de contrainte, moi en plus y a pas de papa et je savais que je voulais garder le bébé ». Après quelques mois chez sa mère, elle est allée dans un foyer pour femmes enceintes puis, après l’accouchement, elle trouve un logement grâce à un centre maternel. Et s’oriente vers le métier d’auxiliaire de vie parce que les horaires de
crèches « c’est compliqué et c’est le seul métier où les horaires sont modulables ». Bien qu’elle n’aime pas particulièrement son travail, elle nourrit la conviction que c’est temporaire.
A la fin de l’échange, je lui demande si elle a des regrets. Nora répond sincèrement qu’elle n’en a pas. Scolairement, elle a décroché mais elle a su trouver une formation qui lui plaisait et aller jusqu’au bout. Personnellement, sa fille est sa plus grande fierté. Familialement, ses relations avec sa mère se sont apaisées et ses sœurs lui rendent régulièrement visite. Elle sait qu’elle n’a pas pris le chemin le plus facile, mais ne le regrette pas. Elle exprime quand même une pointe d’agacement lorsqu’elle m’explique que son incarcération peut remettre en cause la sincérité de ses propos : « ça m’embête parce que ça va me suivre toute ma vie. Un policier m’avait interrogé lorsque j’avais demandé le placement de ma petite sœur, et il m’a parlé de mon propre casier. »
Mais ça ne l’empêche pas d’avancer, de grandir, de s’épanouir aujourd’hui. Nora a 21 ans, elle est une maman solo mais indépendante. Elle sait qu’elle a grandi vite, et vécu mille vies, mais elle « compte bien en vivre mille autres » !
Portrait réalisé par Alexanne Bardet
[8] Certificat d’aptitude professionnelle
[7] Ibid.
[4] Protection Judiciaire des Jeunes.
[5] L’école en prison. Conditions d’enseignement et expériences scolaires des mineurs détenus, DPJJ, juin 2024.
[6] Ibid.
[1] « À la prison pour mineurs de Marseille, le droit à l’éducation gravement menacé », OIM, mars 2025.
[2] L’école en prison. Conditions d’enseignement et expériences scolaires des mineurs détenus, DPJJ, juin 2024.
[3] « Faut-il durcir la justice des mineurs ? » débat du 7/10 sur France Inter, 5 mai 2025.