Les entreprises ont un rôle clé à jouer pour l’Education, c’est le principe et le projet de la Responsabilité Educative des Entreprises promu par VersLeHaut depuis quelques années. Or, parmi les enjeux éducatifs du monde du travail, la formation des salariés représente un enjeu clé mais souvent mis de côté. En effet, elle reste souvent perçue comme une parenthèse dans le parcours professionnel, un processus externalisé, alors-même qu’elle pourrait être une expérience continue et intégrée à l’expérience du travail. Le modèle de l’entreprise apprenante invite à considérer la montée en compétences comme un véritable projet collectif : celui d’une entreprise véritablement formatrice, qui fait grandir les femmes et les hommes et qui embrasse, en conséquence, une vocation citoyenne.
C’est la thèse d’Attaa Ben Elafdil, co-fondatrice de l’association Mouvement T, qui a contribué à notre dernière étude portant sur les dimensions éducatives du travail, dans son dernier chapitre en particulier : Autonomie, autogestion, andragogie, une révolution de l’apprentissage au travail.
La responsabilité éducative de l’entreprise est une responsabilité de tous vers tous
L’ambition du Manifeste pour la Responsabilité Educative publié par VersLeHaut en 2019 était de rendre visible un fossé existant entre les mondes éducatif et économique et en contrepied, de valoriser des actions menées par les employeurs en faveur de l’éducation : formation continue, accueil de stagiaires et alternants, partenariat école-entreprise, mécénat, soutien à la parentalité…
Ces actions, qui sont illustrées d’exemples et vouées à essaimer, sont classées en 3 grandes catégories :
- lorsqu’elles engagent l’entreprise dans son cœur de métier,
- lorsqu’elles concernent l’entreprise en tant qu’employeur actuel ou futur
- et lorsqu’elles mettent l’entreprise au service de l’intérêt général.
Le Manifeste pour la Responsabilité Educative des Entreprises est à retrouver ici !
Les initiatives menées par l’entreprise pour l’éducation recensées à l’époque étaient déjà nombreuses, mais éparses. Depuis, la REE a encore fait du chemin.
Les initiatives menées par l’entreprise pour l’éducation recensées à l’époque étaient déjà nombreuses, mais éparses. Depuis, la REE a encore fait du chemin.
L’apprentissage par exemple, dont le nombre de contrats a explosé depuis 2018, est un formidable outil de lien entre les générations. Il constitue une réponse concrète à la crise de sens et au désengagement silencieux qui se propagent parfois dans nos organisations. Il figure le grand retour des entreprises dans la formation initiale : elles financent désormais 20 % de la dépense d’enseignement supérieur (Cereq, 2024). Mais il est essentiel de mieux accompagner cette implication, en formant davantage les maîtres d’apprentissage et en leur proposant une valorisation salariale.
La crise démographique que s’apprête à traverser l’Europe – dès 2035, les plus de 65 ans seront plus nombreux en France que les moins de 25 ans1 – rebat de toute façon les cartes de l’insertion professionnelle. Il est désormais dans l’intérêt des entreprises de développer des politiques de recrutement et de fidélisation spécifiquement adressées aux jeunes générations.
Les organisations apprenantes : un nouvel horizon pour la REE
Le concept d’organisation apprenante, popularisé par Arie de Geus2 et inspiré des travaux de Peter Senge3 constitue un cran supplémentaire dans l’ancrage de la REE et l’envisage de manière plus organique.
Ce modèle repose sur l’idée que l’apprentissage organisationnel transforme à la fois les individus et l’organisation elle-même. Il met tout le monde sur un pied d’égalité : il suppose que le savoir n’est plus une exclusivité détenue par un seul individu, mais qu’il est partout, en constante évolution, porté par le collectif dans son ensemble.
L’idée d’organisation apprenante suppose que le savoir n’est plus une exclusivité détenue par un seul individu, mais qu’il est partout, en constante évolution, porté par le collectif dans son ensemble
L’approche de l’organisation apprenante repose sur deux principes essentiels : apprendre à apprendre et apprendre à former. Il ne s’agit plus uniquement d’acquérir des connaissances, mais aussi de développer la capacité à chercher, comprendre et transmettre. Toutes les parties-prenantes de l’organisation en deviennent des parties-apprenantes.
Les organisations apprenantes sont souvent comparées à des systèmes vivants. Comme dans un organisme multicellulaire, chaque membre est lui-même attentif et réactif à son environnement. Aujourd’hui, 40% des salariés du secteur privé en France travaillent dans des organisations qui pourraient être qualifiées d’organisations apprenantes. Mais le modèle a du mal à se généraliser et accuse un léger recul (2 points) depuis quelques années.
Aujourd’hui, 40% des salariés du secteur privé en France travaillent dans des organisations qui pourraient être qualifiées d’organisations apprenantes.
Plutôt que de considérer la formation comme une contrainte administrative, les organisations apprenantes la placent au cœur de leur fonctionnement, avec des dispositifs innovants :
- Des espaces d’apprentissage ouverts, où chacun peut partager son expertise.
- Une culture de la transmission, où les collaborateurs deviennent eux-mêmes formateurs.
- Une reconnaissance des savoirs issus de l’expérience, favorisant la progression sociale.
Certaines entreprises ont déjà amorcé cette transition en adoptant un modèle d’organisation apprenante. Depuis 2009, Leroy Merlin a entrepris une transformation profonde pour devenir une organisation apprenante. Les résultats sont mesurables : certaines actions de formation ont permis une augmentation de 25 % du chiffre d’affaires sur des produits spécifiques. Au-delà de ces gains financiers, cette approche améliore le niveau d’engagement des collaborateurs (réduction de l’absentéisme, maintien de la performance dans des contextes de forte mutation).
Poser la question du rôle sociétal de l’entreprise
L’apprentissage collectif déborde souvent du cadre de l’acquisition des compétences pour englober des dimensions plus profondes et plus sociales : construction identitaire, sentiment d’appartenance, sociabilisation, sécurité psychologique, définition de la relation au travail… Il pose la question du rôle sociétal de l’entreprise.
Ainsi, l’apprentissage en collectif forme des individus capables d’exister pleinement dans le collectif de travail et en dehors. Le collectif de travail devient un vecteur d’émancipation. Il permet de s’affranchir de certaines injonctions productivistes et offre un cadre où la coopération et la reconnaissance priment sur la simple logique de rendement. Ainsi l’exprime Nicolas Framont, sociologue français et spécialiste des conditions de travail : “Partout où l’on exerce ses compétences en coordination avec celles des autres, où l’on s’entraide, où l’on crée quelque chose (un service, un objet, une œuvre d’art), on ressent la joie et la force du collectif.” 4
Ces nouvelles formes d’organisations sont plus adaptées et plus réactives aux réalités d’un monde incertain et soumis aux fluctuations (climatiques, géopolitiques, socio-économiques). Le niveau élevé de collaboration et de coopération participe fortement à la résilience et à la durabilité de l’organisation.
Le niveau élevé de collaboration et de coopération participe fortement à la résilience et à la durabilité de l’organisation.
Pablo Servigne, ingénieur agronome et docteur en biologie, s’est spécialisé dans l’étude de la résilience des systèmes socio-écologiques. Il a notamment coécrit le Petit traité de résilience locale5, qui explore les stratégies permettant aux communautés de renforcer leur capacité à absorber les chocs et à se transformer face aux crises. Dans cet ouvrage, Servigne et ses co-auteurs mettent en avant plusieurs facteurs clés de résilience, tels que la diversité des ressources, la modularité des systèmes, l’autonomie locale, la capacité d’apprentissage et l’entraide.
Prolongeant ce raisonnement, le chercheur Thomas Coutrot a récemment démontré un lien significatif entre faible autonomie au travail et abstention électorale. Comme il l’explique : “Quand on n’a pas de marge d’initiative, quand on a un travail extrêmement répétitif et cadré, on façonne une personnalité qui se sent impuissante à peser sur son destin et ne voit pas l’intérêt à se déplacer pour aller voter. Il y a un lien très net entre l’abstention et l’absence d’autonomie au travail »6.
En favorisant l’apprentissage en autonomie et en collectif, les entreprises contribuent à façonner des individus confiants, engagés, et soutiennent la participation sociale et citoyenne.
1 ONU, 2025
2 Arie Geus, The Living Company: Growth, Learning and Longevity in Business, Harvard Business School Press, 1997
3 Senge, P. M. La cinquième discipline : L’art et la manière de créer des organisations qui apprennent. Eyrolles, 2015
4 Nicolas Framont, Vous ne détestez pas le lundi, Les liens qui libèrent, 2024
5 Agnès SinaÏ, Raphaël Stevens, Hugo Carton, Pablo Servigne, Petit traité de résilience locale, Editions Charles Léopold Mayer, 2015
6 Thomas Coutrot, Le bras long du travail, IRES, n°01-2024